Côte d'Ivoire: la candidature de Gbagbo «est de l'ordre de la stratégie du PPA-CI»
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C'est le premier des poids lourds politiques à se positionner pour l'élection présidentielle de 2025 en Côte d'Ivoire. Le 9 mars, le PPA-CI, le Parti des peuples africains, a désigné l'ex-chef de l'État pour être leur champion. Problème, Laurent Gbagbo est sous le coup d'une condamnation pour l'affaire dite du « braquage de la BCEAO » (Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest) pendant la crise post-électorale de 2010/2011. De ce fait, Laurent Gbagbo est privé de ses droits civiques et est donc inéligible. Seule une amnistie présidentielle de son ex-rival Alassane Ouattara pourrait le remettre en selle. Ousmane Zina est professeur agrégé en sciences politiques à l'Université de Bouaké. Il est interviewé par Frédéric Garat.

RFI :Ousmane Zina, Laurent Gbagbo vient d'être désigné candidat à la présidentielle de 2025 par son parti, le PPA-CI, mais Laurent Gbagbo est, à l'heure où l'on se parle, inéligible du fait de sa condamnation à 20 ans de prison pour le braquage de la BCEAO. Aussi, on s'interroge, à quoi rime une telle désignation ?
Ousmane Zina : Oui, je pense que c'est de l'ordre de la stratégie du PPA-CI. Premièrement, il s'agit de maintenir la figure de Laurent Gbagbo et donc, c'est une sorte de réponse à ceux qui pensent que nous tendons vers la fin de carrière politique de Laurent Gbagbo. Ce qui permettrait effectivement au PPA-CI de continuer à mobiliser ses militants en faisant exister Laurent Gbagbo au cœur du jeu politique ivoirien. Deuxième stratégie : projeter Laurent Gbagbo comme candidat en 2025, pourtant inéligible jusque-là, c'est aussi une manière de faire le forcing politique pour ouvrir les négociations politiques, seule voie pouvant permettre à Laurent Gbagbo d'être réintégré sur la liste électorale parce que c'est une figure assez forte pour le PPA-CI. Maintenant, reste à savoir si c'est la bonne voie. Sachant bien que, aux dernières élections communales et régionales, le PPA-CI n'a pas fait un très bon score en dépit du fait que Laurent Gbagbo ait été mis en avant comme cette figure très forte du jeu politique ivoirien. On verra bien si cette stratégie marche ou pas.
Est-ce qu'il est le seul candidat potentiel au sein du PPA-CI ? Est-ce qu'il n'y a pas une alternative ?
Il y a sûrement d'autres figures, il y a d'autres cadres. Beaucoup d'anciens cadres du FPI sont restés avec Laurent Gbagbo, mais est-ce qu’il y a cette volonté de laisser émerger de nouvelles figures, de nouvelles personnes ? Je pense que la figure de Laurent Gbagbo est tellement imposante au cœur du PPA-CI que, pour l'heure, l'on ne voit pas une autre personne qui puisse le remplacer malgré des signes de fragilité annoncés par certains ici et là.
Justement, faire campagne, c'est aussi un exercice physique, on le sait. On a vu le « Woody », le garçon vaillant revenir fatigué de La Haye. Est-ce qu'il aura encore l'énergie pour cet exercice ?
Il est clair que ce n'est plus le « Woody ». Ce n’est plus le « Woody » que l'on a connu durant les années 2000, de 2000 à 2010. C'est un homme d'un certain âge et, il faut le souligner, qui a connu un moment de maladie. Ce n'est plus forcément le même Laurent Gbagbo, mais il reste l'homme politique fort qui a marqué l'histoire politique de la Côte d'Ivoire. Il y a encore des générations qui se reconnaissent en lui et je pense que ça compte. C'est une voix qui compte dans le jeu politique, c'est une voix qui porte également, et c’est à lui peut-être encore de faire les preuves de sa capacité à mobiliser, de sa parole politique, qui soit ténue et écoutée par des milliers de personnes, comme on l'a vu dans le temps. Et donc, il y a encore des preuves à faire et 2025 n'est pas loin, et il y a du travail au niveau du PPA-CI.
Du coup, on s'interroge sur l'attitude d’Alassane Ouattara en matière d'amnistie : soit il amnistie son meilleur ennemi et il endosse ainsi le rôle du grand réconciliateur de la Côte d'Ivoire, soit il n'y a pas d'amnistie et il écarte un candidat potentiellement dangereux pour son propre parti, le RHDP.
Cette disposition met clairement le président Ouattara dans une situation de maître du jeu politique. Dans tous les cas, il a un temps d'appréciation qui lui permettra de juger opportun d'aller vers l'amnistie et de se positionner comme grand réconciliateur et espérer récupérer cela dans le sens de ressources politiques qui soient utiles pour 2025. Ou alors, il estimera que c'est une génération qui passe, qu’il n’y a pas lieu de forcer quoique ce soit dans la mesure où lui-même estime que plusieurs signes d'apaisement ont été faits et que ça ne soit pas une urgence. De là où il se positionne, c'est plutôt une candidature à proposer pour le RHDP en 2025, ou sa propre candidature, qui est l'équation la plus compliquée. Maintenant, le jeu politique, c'est le champ des possibles et, en Côte d'Ivoire, ça évolue très, très vite. Il a le temps d'apprécier, il a les cartes en main, de voir ce qui a lieu de faire et qui soit dans le sens de l'apaisement d’une part, mais également qui soit utile pour le RHDP, pour son parti. L'idée étant, bien sûr, de conserver ce pouvoir en 2025.
Ousmane Zina, on est en train de parler de Laurent Gbagbo, qui a 78 ans, d’Alassane Ouattara, qui en a 82. 75% de la population en Côte d'Ivoire a moins de 35 ans. Alors, on connaît le poids du respect des anciens, mais est-ce que le jeune électorat ivoirien se retrouve à travers ces leaders politiques ?
Très clairement, le besoin de renouvellement générationnel s'impose en Côte d'Ivoire. On constate effectivement ce gap-là, notamment en observant les totaux d'abstention, en observant la participation de ces jeunes-là souvent très faible durant les élections. Je pense qu'il y a un besoin d’activer ce renouvellement générationnel, de le booster. Et, très clairement, ce sont les questions que ces jeunes se posent.
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