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Soudan: «À El-Geneina, la communauté massalit a fait l'objet d'un véritable nettoyage ethnique»

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Au Soudan, il n’y a toujours pas de trêve en vue dans le conflit qui fait rage depuis le 15 avril 2023 entre les deux généraux rivaux, Abdel Fattah al-Burhane et Mohammed Hamdane Daglo, et qui a plongé le pays dans le chaos. Depuis le début de la guerre, plus d'un demi-million de réfugiés sont arrivés au Tchad voisin. Une crise humanitaire d'une ampleur alarmante, mais qui souffre d'un profond déficit d'attention et de financements. Charles Bouessel, analyste Afrique centrale pour l'International Crisis Group (ICG), est l'invité de RFI.

Charles Bouessel, analyste Afrique centrale pour International crisis group.
Charles Bouessel, analyste Afrique centrale pour International crisis group. © Carol Valade/RFI
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Localité d'El-Geneina au Soudan.
Localité d'El-Geneina au Soudan. © RFI

RFI : Vous êtes ici à Ndjamena. Vous rentrez tout juste d'une mission dans l'est du Tchad, à la frontière soudanaise, où les réfugiés continuent encore d'arriver, près d'un an après le début du conflit. Qu'est-ce qui vous a le plus marqué lors de votre séjour là-bas ?

Charles Bouessel : La majorité de ces réfugiés ont été pillés. Beaucoup ont perdu des membres de leur famille, massacrés par les RSF [Forces de soutien rapide]. Les femmes, notamment, ont beaucoup souffert, les cas de viols sont innombrables. Cette crise s'ajoute à une situation socio-économique extrêmement difficile dans l'est du Tchad. La population locale souffre déjà de malnutrition, d'un manque critique d'infrastructures sanitaires. Et donc, vous imaginez que l'arrivée d'un demi-million de personnes en plus ne va faire qu'accentuer cette pression sur les ressources. Les points de tension les plus critiques sont, sans doute, l'accès à l'eau et au bois de chauffe. On m'a parlé de disputes et de bagarres autour de puits, dont le niveau baisse dangereusement. Les femmes également, les femmes de ces camps de réfugiés qui en sortent pour collecter du bois de chauffe, certaines d'entre elles se sont fait tabasser, voire violer à l'extérieur de ces camps. Avec toujours cette critique qu'elles font diminuer les ressources déjà rares des populations locales.

On parle d'un risque sécuritaire local, diriez-vous qu’il y a aussi un risque de tension politique ?

La majorité des réfugiés appartiennent à la communauté Masalit, qui a été violemment ciblée par les RSF. Cette communauté nourrit un esprit de revanche et certains commencent à recruter des milices d'autodéfense et les autorités tchadiennes craignent donc que ces recrutements ne perturbent une situation sociale déjà explosive.

Mais c'est aussi une zone où il y a, depuis longtemps, de nombreux trafics. On imagine qu'il y a également un impact sur cette économie informelle ?

Tout à fait. Il y a donc des trafics qui se sont développés de manière importante depuis l'éclatement du conflit soudanais. Peut-être les deux les plus notables sont le carburant et le trafic de produits pillés. On voit tous les jours d'importants camions de citerne libyens qui arrivent de la Libye jusqu'à Adré, qui déchargent ce carburant dans des fûts, que des pick-up chargent la nuit pour traverser la frontière et approvisionner la milice RSF en carburant.

Trafic de carburant, trafic de véhicules également ?

Effectivement, les trafics de véhicules volés au Soudan sont extrêmement importants. J'ai pu voir de mes yeux à Abéché, une zone où sont garées des dizaines et des dizaines de gros 4x4 Toyota, des Prados, des Hilux, qui sont vendus autour de 15 000 euros, ce qui est 3 à 4 fois moins que leur valeur réelle. J'ai pu également parler avec une Tchadienne qui avait voulu acheter un de ces véhicules et qui, au moment d'inspecter ce véhicule, ouvre la boîte à gants et voit un permis de conduire d'une personne de la communauté Masalit tomber, qui n'était clairement pas le vendeur de la voiture.

Vous avez également recueilli de nombreux témoignages sur la situation au Darfour. Que disent ces témoignages de la situation de l'autre côté de la frontière ?

La ville de El-Geneina a été quasiment vidée à 90% de sa population Masalit, qui a été l'objet d'un véritable nettoyage ethnique dans la ville. Une ville où on retrouve des fosses communes où les quartiers Masalit pour certains, ont été totalement rasés, comme si les RSF avaient voulu éliminer toute trace de leur existence. J'ai pu parler à certains réfugiés qui ont notamment assisté à des ventes de femmes soudanaises kidnappées à Khartoum. D'autres m'ont parlé aussi de la présence des mercenaires de Wagner dans la ville. Ces mercenaires assistent le colonel des RSF en charge de la ville avec, notamment, des drones d'observation. Aujourd'hui, les Masalit réfugiés dans les camps au Tchad se sentent encore visés. Les activistes à qui j'ai pu parler n'osaient même pas aller sur le marché d'Adré où, selon eux, de nombreux RSF traversent la frontière pour venir acheter des denrées, évidemment de manière désarmée. Mais pour eux, c'est une grande peur de voir ces hommes qui les ont massacrés de l'autre côté de la frontière.

Dans un mois, cela fera un an que le conflit au Soudan a démarré. Aujourd'hui, la paix semble encore bien loin.

Effectivement, la paix semble encore bien loin et la crise humanitaire au Tchad est loin d'être résolue et pourrait encore s'aggraver. 200 personnes franchissent la frontière encore chaque jour et ce nombre pourra exploser dans les mois à venir, alors que la famine commence à sévir au Darfour. Et donc, on voit maintenant arriver aux frontières des personnes qui ne fuient plus la guerre, mais qui fuient la faim.

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