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Révision constitutionnelle au Togo: «Nous avons clairement fait le choix d'un régime parlementaire»

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Au Togo, il n'y aura plus de présidentielle au suffrage universel. L'Assemblée nationale a adopté ce 25 mars une nouvelle Constitution qui donne tous les pouvoirs au chef du parti – désormais « président du conseil des ministres » – qui gagnera les législatives. Est-ce le poste que vise l'actuel président, Faure Gnassingbé, au terme des législatives du mois prochain ? Entretien avec Innocent Kagbara, député du Parti démocratique panafricain et signataire de la proposition de loi constitutionnelle.

Le président togolais Faure Gnassingbé lors d'un sommet de la Cédéao au Nigeria, le 24 février 2024.
Le président togolais Faure Gnassingbé lors d'un sommet de la Cédéao au Nigeria, le 24 février 2024. © AP/Gbemiga Olamikan
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RFI : Innocent Kagbara, la réalité du pouvoir va passer du président de la République au président du Conseil des ministres, mais sur le fond, qu'est ce qui va changer ?

Innocent Kagbara : Fondamentalement, ça veut dire que nous quittons un régime qui était hybride. On ne savait pas si c'était un régime présidentiel ou semi-présidentiel, mais maintenant, nous avons fait clairement le choix d'un régime parlementaire où le centre du pouvoir est au Parlement. Donc, le parti qui gagne les élections législatives dirige le pays, très simplement. C'est un peu comme ce qu’il se passe en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Dorénavant, c'est le Parlement qui sera au cœur de la démocratie togolaise, où le parti qui va gagner les élections aura le choix de nommer le président du Conseil des ministres, et son chef pourra éventuellement devenir le président du Conseil des ministres. Il y a dorénavant une séparation claire de la fonction du président de la République, qui est une fonction représentative, qui est la première personnalité de l'État et qui est la personne qui est garante du bon fonctionnement des institutions de la République, et le cœur du pouvoir exécutif. Évidemment, [ce pouvoir exécutif] reviendra au président du Conseil des ministres.

Qui sera le chef des armées ?

Le Président du Conseil des ministres sera dorénavant le chef des armées.

Et qui conduira les affaires de la nation ?

C'est le président du Conseil des ministres qui conduira dorénavant les affaires de la nation avec un contrôle renforcé du Parlement. C'est un changement de régime.

Et qui représentera le Togo dans les conférences internationales, par exemple ?

C'est le cœur du pouvoir qui est dorénavant le président du Conseil des ministres. Mais rien n'interdit au président de la République, qui est la première personnalité de l'État également, de faire des déplacements hors du pays. Donc le président du Conseil des ministres sera le cœur de l'exécutif, mais le président de la République, quand même, garde son rôle de première institution et de garant des institutions de la République.

Mais alors, concrètement, Innocent Kagbara, si au terme des législatives du 20 avril prochain, le parti au pouvoir Unir reste majoritaire, est-ce que le chef de ce parti, Faure Gnassingbé, deviendra président du Conseil des ministres ?

Ce que nous savons, le texte le dit clairement, c’est que le parti qui gagne les élections, le chef du parti, sera de facto proposé pour occuper le poste du président du Conseil des ministres.

Et dans six ans, après les législatives de 2030, ce sera le même système, ce sera le chef du parti vainqueur qui deviendra président du Conseil des ministres ?

Oui, tout à fait. Dans ce système, ce qui est intéressant, c'est que les partis doivent aller les uns envers les autres, puisque parfois, à l'issue des élections, il faut une coalition pour pouvoir diriger le pays. C'est un système qui oblige les gens à se parler, à avoir un véritable programme de société, à diriger, si possible, le pays ensemble. Donc, en 2030, si c'est Unir qui gagne les élections, il reviendra toujours à Unir de proposer le poste du président du Conseil des ministres.

Alors, si la Constitution actuelle avait été conservée, Faure Gnassingbé aurait été atteint par la limitation des mandats. Il aurait dû quitter le poste de président de la République au plus tard en 2030. Avec la nouvelle Constitution, il peut donc devenir président du Conseil des ministres ad vitam æternam, non ?

Non, pas du tout. Je pense que la loi est impersonnelle. Nous n'avons pas fait une Constitution par rapport à une famille ou à par rapport à une certaine catégorie. Elle est impersonnelle et n'importe quel Togolais peut prétendre devenir le président du Conseil des ministres, ce qui est tout à fait normal.

Mais tout de même, Monsieur le député, est-ce que ce passage à un système parlementaire ne permet pas au régime actuel d'échapper à la limitation des mandats présidentiels et de pouvoir se perpétuer indéfiniment ?

Non, parce que ceux qui nous font le procès du ad vitam æternam, je voudrais simplement dire que maintenant, si on est dans le schéma de l'ancienne Constitution et si vous dites, par exemple, que le parti au pouvoir va gagner les élections de 2025, rien n'empêche ce parti d'avoir son candidat pour 2030 et au-delà de 2030.

Oui, mais à condition de changer de candidat, puisque, dans ce schéma, Faure Gnassingbé serait atteint par la limitation des mandats en 2030...

Alors, cette question revient au parti Unir, qui doit dégager son candidat. Moi je gère, je dirige un parti. Il ne me revient pas de me prononcer sur les affaires concernant un autre parti. Ce que vous dites, je le comprends. Mais la question de la limitation de mandats, il ne faut pas oublier que, dans certains pays, les gens ont touché une virgule à la Constitution et les compteurs sont revenus à zéro.

Mais tout de même, Monsieur le député, avec ce système parlementaire, il n'y a plus d'élections présidentielles. Donc, le chef de l'exécutif échappe désormais à toute règle de limitation des mandats présidentiels, sommes-nous bien d’accord ?

La limitation des mandats présidentiels, je tiens à vous le rappeler, c'est nous qui l'avons introduite en 2019 quand nous sommes arrivés au Parlement. Avant notre arrivée au Parlement, il n'y avait pas de limitation de mandat au Togo. Maintenant, si nous passons à un régime parlementaire, nous qui sommes panafricanistes, qui avons depuis des années sorti des ouvrages et prôné la démocratie parlementaire, nous voulons faire en sorte que le Parlement puisse décider des affaires de la nation, sans regarder forcément si on doit faire une loi contre une personne. Donc, je comprends aisément ce que vous êtes en train de dire. C'est vrai, je comprends. Mais je tiens à rappeler que c'est nous qui avons mis la limitation de mandat en 2019.

Dans la nouvelle Constitution, le président du Conseil des ministres sera élu par les députés pour une durée de 6 ans, mais est-ce qu'il pourrait être éventuellement renversé en cours de mandat par une motion de censure ?

Oui, la nouvelle Constitution permet, à travers des mécanismes, de pouvoir renverser ou désigner un autre président du Conseil des ministres s'il y a une motion de défiance, s'il y a une motion de censure. C'est également établi dans la nouvelle Constitution.

Prenons donc un exemple : si demain, le parti au pouvoir Unir n'a pas la majorité des sièges à lui tout seul dans la future Assemblée nationale, s'il doit nouer des alliances, le président du Conseil des ministres pourra être renversé en cours de mandat si un changement d'alliance intervient. C'est cela ?

Oui, comme dans toutes les démocraties parlementaires, ceux qui ont la majorité, que ça soit un seul parti ou plusieurs partis, dès que vous constituez votre majorité, tous ces scénarios peuvent être envisagés.

Donc, le futur président du Conseil des ministres sera responsable devant l'Assemblée nationale durant toute la durée de son mandat ?

Tout à fait, il est dorénavant responsable devant le Parlement et il doit pouvoir engager sa responsabilité. Ça renforce également l'action des parlementaires dorénavant.

Et s'il y a un changement d'alliance en cours de législature, le futur président du Conseil des ministres ne sera pas sûr de garder son poste ?

Voilà, le futur président du Conseil des ministres n'est pas sûr de finir ses six ans s'il y a une autre majorité qui se dégage au niveau du Parlement. Donc, s'il y a une autre majorité, il y aura de facto un nouveau président du Conseil des ministres.

Et le chef de l'exécutif, aura-t-il le pouvoir de dissoudre l'Assemblée nationale ?

Il y a aussi le mécanisme de dissolution de l'Assemblée nationale, sur proposition du président du Conseil des ministres, qui doit être soumis ou transmis au président de la République.

Selon la loi togolaise, les élections législatives se déroulent tous les cinq ans. Or, elles ne se sont pas tenues au mois de décembre 2023 dernier, comme prévu. Elles ont été reportées au 20 avril 2024. Est-ce que les députés, dont vous-même, Innocent Kagbara, qui ont adopté cette nouvelle Constitution, ne sont pas hors délai ? Et du coup, est-ce que leur vote n'est pas illégitime ?

Non, pas du tout. Dans cette matière, je pense qu'il y a jurisprudence. Depuis 2013 et 2018, les élections ne se sont jamais tenues à date et l'ensemble des législatures sont restées jusqu'à la prise de fonction effective de la nouvelle Assemblée. Donc, ça s'est passé en 2013, ça s'est passé en 2018 et ça se passe en 2024. Et ceux qui étaient là avant nous ont fonctionné jusqu'à notre prise de fonction effective et personne n’a jamais contesté les décisions ou bien les lois qui ont été votées au niveau du Parlement togolais. Donc, nous avons eu un petit décalage de trois ou quatre mois et les élections vont se tenir le 20 avril 2024. Pour une fois, nous nous réjouissons parce que l'ensemble de la classe politique et l'ensemble des acteurs seront présents pour ces élections du 20 avril 2024.

Suite au boycott des dernières législatives de 2018 par les principaux partis d'opposition, la nouvelle Constitution a été adoptée ce lundi 25 mars par une Assemblée nationale presque monocolore. Du coup, les évêques du Togo appellent le président Faure Gnassingbé à surseoir à sa promulgation et à débuter un dialogue inclusif. Qu'est-ce que vous en pensez ?

Ils sont dans leur rôle. C'est une demande qui a été faite au chef de l'État, attendons de voir la réponse que le chef d'État fera à cette demande des évêques.

Tout de même, Innocent Kagbara, le choix d'une nouvelle loi fondamentale, ça ne mérite pas qu'on essaye de faire un débat consensuel ?

Oui, l'article 144 de la Constitution est clair là-dessus : l'initiative de la réforme vient soit du chef de l'État, soit du Parlement. Dans ce cas de figure, c'est le Parlement. C'est une proposition qui est venue de 21 députés au niveau de l'Assemblée nationale. Donc, je tiens simplement à dire : oui, l'initiative vient du Parlement, le débat a été ouvert au niveau du Parlement, il y a eu beaucoup d'amendements et ce texte est beaucoup plus consensuel. Mais il n'empêchait pas qu'il puisse y avoir un débat sur le plan national. Je tiens à rappeler également que les modifications constitutionnelles, le vote des lois organiques ou des lois ordinaires, cela rentre dans les prérogatives du Parlement.

Et la promulgation de cette nouvelle Constitution, c'est pour quand ?

C’est dans la prérogative du chef de l'État, donc je ne saurais répondre à cette question, mais il a la latitude de promulguer la nouvelle Constitution d'ici 15 jours. Dans les 15 jours qui suivent le jour du vote.

Oui, le vote ayant eu lieu ce 25 mars, faut-il s'attendre à une promulgation d'ici le 11 ou le 12 avril 2024 ?

Je crois que j'ai déjà répondu à la question, il a la possibilité de pouvoir promulguer durant 15 jours. Donc, si le vote a été fait, vous pouvez faire le décompte.

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