RDC: «Réchauffement climatique, El Niño, déforestation sont les causes des averses et inondations»
Publié le :
El Niño est-il responsable des pluies torrentielles qui s'abattent sur l'Afrique de l'Est ? La question divise les spécialistes. Voici le point de vue du professeur congolais Jean-Pierre Djibu, qui dirige au Katanga l'Observatoire régional de changement climatique et qui enseigne à l'université de Lubumbashi. Selon lui, les averses ne viennent pas directement d'El Niño, dans l'océan Pacifique, mais d'une réplique de ce phénomène climatique au niveau de l'immense lac Tanganyika. D'où les très graves inondations à Kaliémie. En ligne de Lubumbashi, le climatologue congolais répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Comment expliquez-vous ces pluies torrentielles qui s’abattent sur les provinces du Tanganyika et du Sud-Kivu ?
Jean-Pierre Djibu : Quand on prend le lac Tanganyika, c’est un lac de plus de 700 kilomètres de long et de 70 kilomètres de large, pratiquement 35 000 km² de superficie – l’équivalent d’un État comme la Belgique. Mais, ce lac draine un bassin de plus de 250 000 km² au niveau de quatre pays que sont le Burundi, la République démocratique du Congo (RDC), la Zambie et la Tanzanie. Alors, parmi les causes naturelles, il faut comprendre que, à l’allure où va le réchauffement de la partie superficielle du lac, il y a un risque, éventuellement, que la température augmente jusqu’à trois degrés d'ici à la fin du XXIe siècle. Et plus la température augmente à la surface du lac, plus on constate que le comportement se produit comme un phénomène El Niño. Bien sûr que ce phénomène se produit dans l’Océan, mais il est maintenant reflété au niveau du lac, parce qu’il s’agit d’un grand lac, qui couvre une grande superficie. La partie superficielle étant réchauffée, les eaux profondes étant beaucoup plus froides, qu’est-ce qui se passe ? Il y a une grande évaporation et une grande augmentation d’évaporation qui va rendre l’atmosphère humide. Toute la région devient humide et il y a une forte formation de nuages, ce que l’on appelle les cumulonimbus. On a des précipitations d’averses avec une certaine agressivité. C’est vraiment la toute première fois depuis 2013 qu’on a eu le niveau du lac qui a augmenté de 276 à 293 mètres, ce qui est une grande quantité.
Ce réchauffement des eaux à la surface du lac, à quoi est-il dû ?
Il est dû au réchauffement climatique.
Donc, on aurait affaire à l’addition de deux phénomènes : le réchauffement climatique, plus El Niño ?
Exactement. Avec le facteur aggravant qui est le facteur anthropique, la déforestation.
Et la surpopulation sur les berges ?
La surpopulation et l’aménagement anarchique de terrains, l’occupation anarchique du bassin du lac.
Donc, le phénomène El Niño, ce n’est pas simplement dans l’Océan Pacifique, c’est aussi sur le lac Tanganyika ?
Exactement. Nous avons, aujourd’hui, avec le réchauffement climatique, tout ceci qui a provoqué le phénomène El Niño au niveau de la plupart des lacs africains, mais c’est spécialement le lac Tanganyika qui devient indicateur dans cette tendance. Parce que les études faites nous montrent qu’il y a quelque chose qui est en train d’être modifié au niveau du comportement, en ce qui concerne le cycle de l’eau dans ce lac.
Est-ce que le même phénomène se produit au niveau du lac Victoria, plus au nord ?
Exactement, cela se fait de la même manière.
Ce phénomène El Niño sur le lac Tanganyika, est-ce qui s’est déjà produit au XIXe siècle ou au XXe siècle ?
Oui, au XVIIIe siècle, on a connu des fortes inondations au niveau du lac Tanganyika. Même au XXe siècle, on a connu [ce type d’inondations]. Mais, là, nous avons une particularité : le niveau d’eau, par rapport aux mesures déjà connues, pendant une longue période, est beaucoup plus élevé. On est arrivé à 793 mètres, ce qui est très élevé au niveau de la quantité d’eau qui a été augmentée.
793 mètres… Et cela, c’est un niveau exceptionnel ?
C’est un niveau exceptionnel, oui. Avant, le bassin du lac Tanganyika n’était pas un bassin aménagé. Ce sont là qu’interviennent des causes anthropiques. Actuellement, c’est un bassin qui a été loti, aménagé. Il y a des constructions, des villes, des maisons, des routes, des cultures… Il s’agit de lits [de rivière]. Et, malheureusement, ces lits ont été aménagés de manière quasiment anarchique, sans respecter les normes au niveau de l’environnement. C’est pourquoi nous avons des catastrophes qui sont liées aux activités anthropiques.
Lors de la précédente montée du lac Tanganyika en 2021, Madame la ministre de l’Environnement, Ève Bazaiba, dénonçait déjà l’occupation anarchique des berges du lac et des rivières. Est-ce que des mesures ont-été prises depuis trois ans ?
Non, aucune mesure. Normalement, dans des situations comme cela, on est censé prendre des mesures draconiennes ! Parce qu’il y avait déjà un avertissement, il y a plus de dix ans. Un avertissement sur le réchauffement superficiel des eaux du lac Tanganyika, lié au réchauffement climatique, avec le risque éventuel des inondations extrêmes. Mais, malheureusement, aucune mesure n’a été prise à ce niveau-là.
Par ailleurs, la construction de digues avait été annoncée ces dernières années, pour limiter la montée des eaux. Est-ce que ces digues ont été construites ?
C’est une solution sans valeur, parce que la meilleure des façons est de combiner des solutions. C’est-à-dire, même si on peut construire des digues éventuellement, on doit faire de la reforestation parce que tout le bassin du lac Tanganyika a été complètement déforesté. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de végétation et lorsqu’il n’y a pas de végétation, il n’y a plus de moyens de rétention afin de pouvoir garder l’eau et permettre l’infiltration. Ce qui se passe, c’est le ruissellement, et ce ruissellement est accompagné d’érosion. Donc, il faut combiner la construction de digues, ce qui doit être vraiment accessoire, avec le reboisement du bassin du lac. S’il faut reboiser le bassin du lac, ce n’est pas simplement se contenter de la partie congolaise ! Le bassin du lac, il comprend l’ensemble des quatre pays. La Zambie, la Tanzanie, le Burundi et la RDC. Cela signifierait qu’il faudrait des efforts communs entre les quatre pays. Même si on arrivait, également, à reforester, il faut passer par l’étape où l’on délocaliserait les personnes. On ne peut reforester que l’endroit qui n’est pas occupé. Or, tout le bassin, plus de 60%, est pratiquement aménagé. Il faudrait arriver à délocaliser les personnes avant de pouvoir faire le reboisement.
Mais, pour déménager ces personnes, il faut leur trouver de nouveaux emplacements et cela est très difficile, j’imagine…
Évidemment, c’est un autre aspect. Il y a quand même l’espace pour essayer de délocaliser les populations et les mettre à l’abri. Je crois que les quatre pays, dont la RDC, ont suffisamment d’espace pour ce genre de choses. Parce que ces catastrophes ont créé beaucoup de conséquences, il y a eu beaucoup de morts par inondations, que ça soit à Kalémie, à Uvira, à Kigoma… À Uvira, on a eu énormément de morts !
Autre phénomène, à quelques centaines de kilomètres plus au sud, en Zambie, où les populations sont touchées par une sécheresse exceptionnelle. Comment expliquez-vous qu’il pleuve beaucoup au Congo-Kinshasa et pas du tout en Zambie ?
Le phénomène El Niño fait les deux à la fois ! Soit une augmentation de température sur une surface d’eau, comme je l’ai dit sur les grands lacs, occupant une grande superficie et provoquant la formation de cumulonimbus, de nuages de précipitations, et on a des averses dans cette zone. Soit, en Zambie, il n’y a pas de lac, donc on a un sol qui se réchauffe et avec l’évaporation, il n’y a pas suffisamment d’humidité dans l’atmosphère et nous avons une sécheresse. Cette sécheresse est liée aussi au phénomène El Niño. Ça fait les deux ! Cela provoque soit les inondations, les fortes précipitations, soit également de fortes sécheresses. Cela est aggravé, également, par le désert de Namib qui a tendance à avancer vers le nord, donc en poussant vers l’Angola et la Zambie.
D’où le paradoxe El Niño, des pluies au Congo et la sécheresse en Zambie.
Exactement.
Est-ce que les autorités politiques de ces deux pays ont pris conscience de la gravité de ce phénomène climatique ?
Non ! C’est un autre aspect. En Zambie, ils sont en train de réfléchir en ce qui concerne les conséquences sur le plan de la sécurité alimentaire, sur le plan de la santé, parce que plus il fait chaud, plus il y a la prolifération de nouvelles maladies qui sont liées à des pandémies, liées à des virus qui ont tendance à vouloir muter génétiquement et à s’adapter à des conditions beaucoup plus extrêmes. Là, au moins, ils réfléchissent sur la sécurité sanitaire et la sécurité alimentaire. Bon, pas de manière aussi poussée, en RDC, nous avons l’impression que l’on en parle, qu’il y a de bonnes intentions, mais ça s’arrête là, il n’y a jamais de suivi !
À lire aussiInondations en RDC: «Aujourd'hui, la ville de Kalemie est coupée en deux»
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne