Le grand invité Afrique

Valérie Ka (Mode): «La créativité, faire de belles choses c'est bien, mais il faut savoir les vendre»

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Et s'il y avait demain de grands créateurs africains de la mode et de grands designers, comme aujourd'hui Agnès B, Chanel ou Louis Vuitton ? C'est l'ambition de la top model ivoirienne Valérie Ka, qui a créé le concours Africa Fashion Up, dont les cinq lauréats vont présenter leurs collections, ce mercredi soir, lors d'un défilé de mode au musée du Quai Branly - Jacques Chirac, à Paris. Faire de belles choses, c'est bien. Savoir les vendre, c'est encore mieux. Cette semaine, les jeunes lauréats suivent donc un parcours initiatique dans la capitale de la mode.

Valérie KA, fondatrice et directrice artistique de « Share Africa » met à l’honneur les talents de la mode.
Valérie KA, fondatrice et directrice artistique de « Share Africa » met à l’honneur les talents de la mode. © france24
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RFI : Valérie Ka, Bonjour. Alors quels sont les matériaux, les textiles sur lesquels travaillent vos designers ?

Valérie Ka : Alors, il y a un peu de tout. Vous avez des designers qui vont travailler sur des tissus, par exemple du coton. On avait un créateur égyptien l'année dernière, qui avait travaillé sur des tissus avec des broderies, avec des perles rouges qu'on retrouve dans la région de masaï. On a par exemple un jeune créateur qui s'appelle Sow, qui est d'origine du Congo Brazzaville, qui a réutilisé par exemple des sacs qu'on retrouve souvent en Afrique. Ce sont des sacs de couleur qu'on utilise, vous savez, pour faire les voyages, des mamans africaines, elles ont ça !

Multicolores ? 

 Exactement, c'est du plastique. Mais il a réussi à faire une collection magnifique qui a eu beaucoup de succès d'ailleurs, lors du défilé. Et puis, on avait un créateur du Nigeria qui travaillait avec les femmes qui ont une coopérative au Nigeria. Et apparemment, ces femmes-là viennent d'une famille qui a survécu à la guerre du Biafra. Donc, ce sont des champs de coton qui sont cultivés, qui sont tissés, teintés. Et il a fait une collection magnifique aussi. Donc, c'est toute une histoire en fait qui est racontée dans les tissus qui sont fabriqués par ces jeunes créateurs.

Je crois que vous avez aussi une créatrice marocaine qui a travaillé sur des tissus berbères. Racontez-moi.

Exactement, c'est Mina Binebine qui est lauréate 2022. C'est une jeune styliste de 25 ans qui fait des choses magnifiques. Elle avait travaillé avec des récupérations de tissus d'ameublement comme du velours, donc elle a fait toute une collection avec ses tissus de récupération, des boutons. Et c'est juste incroyable, le résultat de ce qu'ils font avec les matières qu'ils récupèrent.

Est-ce que vous avez des créateurs qui travaillent sur la soie ?

Oui, on a Éric Résina, un très grand créateur qui fait des choses magnifiques, qui est de Madagascar. Donc la soie, ce sont des tissus qu'il fabrique lui-même. Ce qui est très rare, donc il fait de la haute texture.

Donc, il élève des vers à soie ?

Non ! Mais il travaille justement avec des coopératives aussi qui le font. Et sa particularité, c'est que les tissus, il les fabrique, donc on a la matière dès le début, transformée en fil, après transformée par des petites mains qui vont faire des broderies et qui vont faire des crochets.

Et ça crée beaucoup d'emplois ?

Exactement. Toutes ces femmes, ce sont des coopératives au Nigeria, ce sont des femmes dans les ateliers à Madagascar, ou ce sont des jeunes au Congo. On va récupérer les tissus, on va récupérer aussi les sacs dans les déchets pour pouvoir les transformer. Donc c'est toute une économie parallèle que les jeunes créateurs créent chaque année.

Valérie Ka, vous êtes une top model ivoirienne, vous avez démarré avec Alphadi

Exactement.

Mais vous êtes aussi une femme d'affaires aujourd'hui, puisque vous avez créé votre marque de prêt-à-porter et, puisque vous voulez faire de vos 5 lauréats de tous les ans de futurs chefs d'entreprise africains, comment vous y prenez-vous ?

J'espère en fait, c'est mon rêve. En fait, la créativité, c'est bien, faire de belles choses, c'est bien, mais il faut savoir les vendre. Et je me suis dit, comment est-ce que je peux apporter ce savoir-là, aux jeunes créateurs africains ? Donc c'est comme ça qu'on a été un peu contacter HEC, pour la partie business-marketing-communication

L'École des hautes études commerciales à Paris ?

Exactement. Et quand ils ont fini leur parcours à Paris, les laureats ont une formation en ligne aussi avec HEC pendant 6 mois.

Est-ce que le monde de la mode est un monde facile à pénétrer ?

 Je dirais non, parce que, quand on essaie de faire des choses un peu plus professionnellement, c'est assez compliqué, parce qu'il faut avoir des formations.

Est-ce qu'il y a des codes à connaître ?

Ah oui, c'est important. Parce que pourquoi est-ce qu'on ne devient pas Agnès B, Chanel, Louis Vuitton et tout ça ? Parce qu'il y a une façon de travailler, il y a des finitions, il y a la quantité, il y a les usines aussi. Parce qu'on n'a pas les usines en Afrique pour pouvoir fabriquer les vêtements. Ça commence, mais toutes ces infrastructures qui ne sont pas mises en place freinent un peu la créativité de ces jeunes-là.

Est-ce que la mode peut devenir un secteur économique important sur le continent ?

Bah, il serait temps. Parce que quand on regarde l'homme le plus riche du monde, Bernard Arnault, comme je le dis souvent, il vend des sacs et des chaussures. Donc à un moment donné, il faudrait qu'on comprenne que c'est important et qu'on a besoin d'accompagner ces jeunes créateurs, qu'il y ait une structure, qu'il y ait des formations, qu'il ait aussi l'attention des gouvernements, pour pouvoir les aider, ces jeunes créateurs-là.

Donc, il faudrait que certains pays se donnent les moyens de faire développer des sociétés de la dimension de LVMH en Afrique ?

Exactement. Après, il y a aussi le secteur privé, mais si déjà on a cette opportunité pour apprendre et qu'on forme les jeunes, comme je dis souvent, ils n'ont rien à envier à l'occident. Ce sont des jeunes qui sont complètement décomplexés, c’est des couleurs, c'est des matières, ce sont des choses qu'on ne trouve pas ailleurs, et ça, c'est une identité vraiment très forte venant de l'Afrique. Donc il faut les accompagner, il faut les aider.

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