Le grand invité Afrique

Seidik Abba: «La confédération de l'AES n'est pas incompatible avec une présence dans la Cédéao»

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Après le sommet de l'Alliance des États du Sahel réunissant le Mali, le Niger et le Burkina samedi puis celui de la Cédéao dimanche, Seidik Abba, journaliste et spécialiste du Sahel, revient sur les implications et les perspectives d'avenir pour leurs pays membres. Il répond aux questions d'Esdras Ndikumana.

Seidik Abba à RFI.
Seidik Abba à RFI. © Pierre-Édouard Deldique/RFI
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RFI : Les pays de l'AES viennent de lancer officiellement leur Confédération. Les trois pays souhaitent mutualiser justement leurs efforts dans les domaines militaires, diplomatiques et de développement. Quelles perspectives cela peut-il offrir aux trois pays ?

Seidik Abba : Ce qui est le plus facile à faire, c'est déjà sur le plan militaire, au-delà de ce qu'ont fait aujourd'hui les opérations conjointes des trois pays, les forces vont être mélangées pour avoir des brigades mixtes, avec sans doute des efforts d'interopérabilité. Sur ce plan-là, des choses vont aller, vont aller très vite. J'imagine aussi sur le volet économique et développement, sans compter maintenant la possibilité qu'ils ont évoqué, de créer par exemple une compagnie aérienne commune des pays membres de l'AES. Ce qui est important, c'est que dans ce schéma-là, les pays ont dit qu'ils vont d'abord compter sur eux-mêmes, sur leurs propres ressources avant de commencer à compter sur les contributions extérieures, ce qui est un changement de paradigme.

Était-ce nécessaire pour cela de sortir de la Cédéao ?

Il est évident que les critiques qui ont été formulées par les trois États sont recevables sur plusieurs aspects. Mais de là à sortir de la Cédéao, me semble être un recul dans l'intégration régionale. Surtout, l'Afrique de l'Ouest était quand même citée comme exemple d'intégration régionale. Donc pour moi, la Confédération de l'Alliance du Sahel n'est pas incompatible avec la présence dans la Cédéao.

Alors ces pays ont quitté la Cédéao en janvier dernier, mais la Cédéao essaie toujours de les faire revenir. Elle a nommé pour cela le président sénégalais médiateur, est-ce qu'il a des chances d’aboutir ?

Les sanctions qui ont été imposées à ces pays-là ont été prises avant qu'il [le président sénégalais, NDLR] ne devienne chef de l'État, donc il n'est pas tenu à Niamey, à Bamako, à Ouagadougou comme comptable des sanctions qui ont été données, ça, c'est un avantage. Le fait aussi qu'il ait pris une posture souverainiste que ces pays partagent en disant qu’il faut un nouvel ordre, de nouvelles relations entre nous et nos anciens partenaires, particulièrement la France. Tout cela fait que son discours peut être recevable. Mais maintenant, tout dépendra de ce qu'il mettra sur la table.

Est-ce que leur retrait ne pourrait pas avoir à terme des conséquences sur leur appartenance à la zone francs ?

Très concrètement, les échanges économiques du Mali se font principalement avec la Côte d'Ivoire et le Sénégal et non avec le Niger et lui-même le Burkina Faso, il y a 5 000 000 au moins de Burkinabès en Côte d'Ivoire, donc les intérêts sont encore entremêlés avec ces deux autres pays. S’ils sortent du franc CFA, ça pourrait avoir des conséquences. Je n'ai pas l'impression qu’on en mesure les conséquences souvent quand on entend un certain nombre de discours se faire à Bamako, à Niamey ou à Ouagadougou.

Après le sommet de l’AES ce samedi et celui de la Cédéao ce dimanche la fissure semble très nette entre deux blocs dans la sous-région, l'un qui est proche de la Russie et l'autre des pays occidentaux. Est-ce que les tensions internationales alimentent ce conflit ?

Je crois qu’un certain nombre de partenaires occidentaux, particulièrement la France, doivent intégrer que l'Afrique est devenue un terrain de compétition et ce qui s'est fait pendant le pré carré et ne peut plus se faire aujourd'hui. Il y a une évolution. Pour moi il faut absolument sortir du schéma manichéen qui consiste à dire « voilà les partenaires nouveaux sont bons, les partenaires anciens sont mauvais ».

Les opposants disent que la création de cette Confédération et la sortie de la Cédéao, c'est pour que les militaires qui ont pris le pouvoir dans ces trois pays puissent s'y maintenir, qu'en pensez-vous ?

Je ne suis pas sûr que ce soit la raison exclusive, mais le fait que ces pays n’aient plus à rendre compte à la Cédéao n’aient plus à négocier un agenda…

Vous voulez parler d'un calendrier électoral, c'est ça ?

Oui, les pouvoirs qui sont en place dans ces capitales décident aujourd'hui, sans devoir rendre compte à qui que ce soit, de la possibilité de prolonger ou de rester indéfiniment.

Alors la création de cette Confédération n'a suscité apparemment aucune réaction populaire, aucun engouement. Est-ce que ce silence est surprenant pour vous ? Comment l'expliquez-vous ?

Le rétrécissement de l'espace civique, l'absence de possibilité d'avoir des activités politiques ou des activités parapolitiques font qu’on n'a pas un instrument de mesure de la popularité de la mesure puisque, à part le Burkina qui a fait passer par l'autorité législative de transition sa décision d'adhérer à l'AES, dans les deux autres pays, il n'y a pas eu de discussion pour donner une onction populaire, pour donner une certaine légitimité à cela et compte tenu du contexte, je ne suis pas étonné qu’on n'ait pas vu de manifestation, qu'on n'ait pas vu de déclaration, parce que ceux qui peuvent réagir à cela, principalement à l'intérieur des pays, n'ont plus d'espace pour pouvoir le faire.

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