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Lutte antiterroriste au Niger: «Ce type de guerre ne se gagne pas sans la population»

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Nous sommes à la veille du premier anniversaire du coup d'État militaire qui a renversé le 26 juillet de l'année dernière le président Mohamed Bazoum au Niger. Un pays du Sahel qui continue de faire face aux assauts des jihadistes. Quel bilan peut-on tirer pour la junte militaire aujourd'hui au pouvoir ? L'anthropologue Jean-Pierre Olivier de Sardan explique ce qui lui semble être la meilleure stratégie contre les jihadistes dans les pays du Sahel.

Soldat de l'armée du Niger en patrouille. (Photo d'illustration)
Soldat de l'armée du Niger en patrouille. (Photo d'illustration) ISSOUF SANOGO / AFP
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RFI : Il y a une année, la junte militaire dirigée par Abdourahamane Tiani avait justifié son coup de force contre Mohamed Bazoum par « la dégradation continue de la situation sécuritaire et la mauvaise gouvernance économique et sociale ». Sur le plan sécuritaire, est-ce que la junte militaire a réussi à faire mieux ou pas ?

Pierre Olivier de Sardan : Ce sont toujours des questions auxquelles il est très difficile de répondre de façon extrêmement précise puisqu'il y a peu d'informations, peu de communication et on ne sait jamais exactement. Mais j'ai vu que, d'après un certain nombre de d'indications qui sont fournies par des ONG spécialisées, effectivement non : la situation sécuritaire ne s'est pas améliorée. Il est clair que c'était une des ambitions. Et, en même temps, il faut aussi se rappeler que Mohamed Bazoum, lorsqu'il était président, avait au contraire amélioré de façon significative la situation militaire, en particulier par rapport aux pays voisins, à la fois en déployant beaucoup d'efforts sur les réconciliations intercommunautaires, qui souvent alimentent l'insurrection jihadiste, mais aussi en essayant de développer avec la Haute autorité à la consolidation de la paix, une stratégie de sécurisation des populations. Bon, cette haute autorité a été dissoute, donc on ne voit pas de façon précise une avancée, disons, dans la lutte contre l'insurrection jihadiste.

Peut-on parler dans ce cas d'un échec de la junte militaire ?

Il faudrait leur demander à eux, je ne suis pas un expert militaire, mais lorsque l'on voit actuellement la situation, on ne peut pas dire que ça s'est amélioré de façon significative.

Comment peut-on expliquer aujourd'hui que la menace terroriste se soit accentuée et même étendue dans le pays ? Est-ce que cela est bien la situation dans les pays voisins ou pas ?

Non, c'est une situation plus générale. Je crois qu’il est clair que seules des armées nationales peuvent vaincre l'insurrection jihadiste, ça ne peut pas être des corps expéditionnaires extérieurs, quels qu'ils soient. Ça, c'est un point, il me semble, fondamental. Cela étant, les armées nationales, dans leur configuration actuelle, ne sont pas forcément adaptées à ce qu'est une guerre asymétrique, une guerre contre une insurrection qui est devenue - même si elle est d'origine importée - populaire, qui recrute parmi les populations locales. Donc, ce type de de guerre se gagne en ayant la population avec soi et en la sécurisant. Ça n'est pas la façon les militaires ont été formés.

Depuis le coup d'État, le Niger a coupé les ponts avec ses soutiens militaires traditionnels, la France et les États-Unis par exemple. Pour la Russie, est-ce que ce changement d'alliance lui a été bénéfique ou pas ?

D'un point de vue militaire, je ne sais pas. Encore une fois je suis pas du tout un expert militaire. Mais ce qui est sûr, c'est qu'il y a eu plus de matériel qui est venu. Mais c'était déjà une tendance qui s’esquissait sous Mohamed Bazoum. Déjà, sous le régime précédent, on ne reposait pas simplement sur un corps expéditionnaire français, mais il y avait aussi l'achat de matériel en Turquie, en Chine ou en Russie. Donc, le régime actuel au pouvoir développe une diversification des approvisionnements qui est sans doute nécessaire. En soit, avoir plus de matériel, plus d'équipements, est une bonne chose. Maintenant, il faut voir aussi comment est-ce qu'on peut les utiliser dans le cas d'une guerre asymétrique. Il faut aussi pouvoir, disons, freiner l'expansion jihadiste sur son propre terrain qui est le terrain des populations.

Le Niger, le Burkina Faso et le Mali, tous les trois dirigés par des juntes militaires, ont quitté la Cédéao et ont constitué une nouvelle organisation : l'Alliance des États du Sahel (AES). Est-ce qu’ils ne s'isolent pas par rapport à la région ?

Les rapports avec la Cédéao sont évidemment très, très complexes. Je pense que la Cédéao a fait une énorme erreur avec l'importance des sanctions qui ont mis à bas l'économie des trois pays, mais surtout l'économie du Niger, puisque les sanctions étaient plus fortes. Une autre énorme erreur a été la menace d'une intervention militaire qui n'était pas crédible et qui, de fait, a fait pschitt et qui a effectivement donné des arguments aux régimes militaires pour rompre avec elle. Ceci étant, je pense que c'est une erreur. Profondément, ça n'a pas de sens que les trois pays du Sahel s’isolent du reste de la sous-région, et je pense que la seule solution serait la possibilité d'un retour. Je ne sais pas s’il est possible. Je sais que l'actuel président sénégalais s'y emploie, mais on n'a pas forcément de raison d'être extrêmement optimiste, surtout avec les problèmes qui sont posés entre le Niger et le Bénin.

Concrètement, qu'ont-ils à gagner ou à perdre avec leur nouvelle organisation ?

Je pense, d'un point de vue économique, que les trois pays du Sahel sont extrêmement liés à l'ensemble des pays côtiers d'Afrique de l'Ouest. Il y a quand même quelques acquis de la Cédéao, même si elle a failli sur le plan politique ou militaire, mais les acquis sur la libre circulation des personnes et des biens sont extrêmement importants, ce sont des économies qui sont complètement enchevêtrées les unes dans les autres. Et retourner à des frontières ou refaire un bloc qui s'isole du reste de la sous-région ne me semble pas du tout une bonne idée.

Contrairement aux autres pays de l'AES, le Niger n'a pas de feuille de route de transition. Les activités des partis politiques ont été suspendues. Pourquoi cette singularité ?

Je ne suis pas sûr que ce soit une singularité. Simplement, je pense que, un peu comme les deux autres régimes, on n'est pas dans l'hypothèse d’une transition courte, comme on y était habitué au Niger avec les trois coups d'État précédents et qui étaient liées à des crises de la démocratie. Là, on est dans un autre registre où effectivement, je pense qu'on se prépare à une transition longue comme dans les deux pays voisins. Simplement, ce n'est pas de la même façon ou avec les mêmes dispositifs.

Sur le plan économique, le Niger a repris les échanges avec tous les pays de la Cédéao, depuis la fin de l'embargo que lui avait imposé cette organisation, à part le Bénin. Qu'est-ce qui explique cette hostilité qui ne se dément pas ?

Ça remonte en fait à la Cédéao aussi. Il est clair que le régime militaire au Niger reproche beaucoup au Bénin d'avoir été un des pays qui préconisaient une intervention armée. Ils ont même craint que cette intervention armée passe par le Bénin. Ceci étant, les choses ont changé, puisque le président du Bénin a lui-même reconnu que le contexte politique avait complètement changé. De son côté, la Cédéao a rouvert la frontière. Le Niger s'est bloqué sur cette question, et donc, après, on est dans ce système invraisemblable où deux pays qui sont extrêmement proches, qui partagent beaucoup de choses et qui sont économiquement complètement interdépendants, sont actuellement avec une frontière obstinément et complètement fermée. J'espère que, le plus vite possible, la raison reviendra et les relations recommenceront de façon normale entre les deux pays. Ça n'a aucun sens, cette séparation, ce blocage.

Par exemple, que gagne le Niger en refusant de laisser transiter son pétrole par le Bénin alors qu'il a besoin de cet argent ?

On pourrait dire : c'est se tirer une balle dans le pied. Se refaire un nouveau pipeline pour aller vers le Cameroun, c'est encore une histoire extrêmement coûteuse, etc. Je pense que les investisseurs chinois qui ont financé l'actuel oléoduc sauront faire revenir les deux pays à la raison et sauront comprendre qu'il faut arrêter cette guerre du pétrole. C'est négatif pour les deux. Le Bénin aussi souffre de ne pas avoir les revenus du passage du pétrole et le Niger encore plus, puisque les projections économiques pour le Niger étaient très bonnes en fonction du revenu pétrolier. Si ce revenu pétrolier ne vient pas, on va être dans une crise encore plus grave que celle qui a été déclenchée par le boycott de la Cédéao.

Il y a une année, de nombreux spécialistes pensaient que la junte, qui a été soumise à un embargo quasi-total, n'allait pas s'en sortir. Comment peut-on expliquer que le pays ait pu résister ?

Parce que le boycott est extrêmement dur et la menace militaire ont été du pain béni, en quelque sorte, pour les régimes militaires. Ça leur a permis de souffler sur une la flamme nationaliste et souverainiste qui existait, ça a été un argument extrêmement fort pour la légitimité vis-à-vis de sa propre opinion politique du régime actuellement au pouvoir au Niger. Il a utilisé de façon habile, on peut dire, cette menace ou ces mesures absurdes qui étaient menées à l'encontre du pays. Vous savez, on ne peut pas simplement dire : on s'en prend uniquement à des militaires qui ont pris le pouvoir par un coup d'État alors qu'on fait des mesures qui s'attaquent non pas à ces militaires, mais qui s'attaquent, en fait, au peuple nigérien lui-même. Donc, c'était extrêmement malvenu de la part de la Cédéao, sans parler aussi de l'attitude de la France, qui a été aussi, de son côté, absurde.

Un an après le putsch, l'ancien président Mohamed Bazoum, qui était défendu mordicus par la communauté internationale, semble oublié. Qu'est ce qui pourrait contribuer à sa libération ?

Je ne sais pas. C'est extrêmement triste, cette histoire. Le président Mohamed Bazoum, c'est d'une injustice profonde, parce que, vous savez, une grande partie de la popularité du régime militaire tient à la détestation qu'il y avait du régime PNDS [Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme, NDLR] de Mahamadou Issoufou, mais pas de Mohamed Bazoum lui-même, qui justement essayait de corriger et de revenir sur un certain nombre d’insuffisances criantes du régime d’Issoufou. Donc, Mohamed Bazoum bénéficiait d'une sorte de sympathie croissante de la part d'une partie importante de l'opinion publique. De le voir actuellement réduit à une condition de tâche à effacer, c'est effectivement invraisemblable. Vouloir le libérer sous la menace était une erreur complète. Le libérer maintenant, ça semblerait s'imposer puisqu'il n'y a plus de menace, qu'il n'y a plus de soi-disant expéditions militaires contre le pays, il n’y a aucune raison de ne laisser prisonnier ou otage de cette façon. Il est clair que le régime militaire se donnerait plus de légitimité ou se grandirait s'il laissait partir tranquillement le président Mohamed Bazoum.

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