Tunisie: «Il est évident que la popularité de Kaïs Saïed s'est érodée depuis cinq ans»
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Le président tunisien Kaïs Saïed, élu en 2019, surprenait tout le monde en 2021 lors de la dissolution de l'Assemblée nationale. Un coup de force qui allait mettre pratiquement tous les pouvoirs entre ses mains. Qu'est-ce qui fait sa force aujourd'hui, malgré une popularité qui s'est érodée et qu'en sera-t-il de l’élection présidentielle prévue le 6 octobre prochain ? Et quelles sont les perspectives pour la Tunisie ? L'historienne franco-tunisienne Sophie Bessis répond aux questions d’Esdras Ndikumana.

RFI : Il y a 3 ans, Kaïs Saïed suspendait l'Assemblée nationale avant de la dissoudre. Il avait ensuite été élu à la tête de l'État sur le rejet de la classe politique en général et des islamistes en particulier. Mais beaucoup de ses soutiens d'alors se sont éloignés. Sur quel soutien populaire peut-il encore compter aujourd'hui ?
Sophie Bessis : Il est évident que sa popularité s'est érodée depuis cinq ans. Il avait été élu en 2019 avec un score extrêmement honorable. Et puis, lors de ses appels à la population, c'est-à-dire aussi bien le référendum pour adopter la Constitution de 2022, à mobiliser à peine un tiers du corps électoral. Quant aux législatives devant élire la Chambre issue de cette nouvelle Constitution, elle n'a mobilisé que 11% du corps électoral. Donc vous voyez qu’effectivement, si l’on mesure sa popularité à la participation électorale, il est certain que cette popularité s'est érodée de façon importante.
Dans ces conditions, qu'est-ce qui fait aujourd'hui sa force ? Sur quelles institutions s'applique Kaïs Saïed pour diriger d'une main de fer la Tunisie ?
Kaïs Saïed est en train de mettre en place, en tout cas a la volonté de mettre en place, une nouvelle République. Il l'a toujours dit, il voulait renverser la pyramide institutionnelle, c'est-à-dire faire que la décision parte du peuple. Mais pour l'instant, ce que l'on voit, c'est une personnalisation extrêmement importante du pouvoir.
De nombreux opposants et figures de la société civile critiques sont en prison. Certaines voix dénoncent un virage autoritaire. Est-ce vraiment le cas ?
Il y a les faits aujourd’hui. Il est très difficile, sinon impossible, de s'opposer publiquement au chef de l'État tunisien. Ses opposants, que ce soient des chefs de partis, que ce soient des personnalités de la société civile, subissent effectivement les foudres des autorités pour avoir critiqué soit la parole présidentielle, soit sa façon de gouverner.
Certaines voix disent aujourd'hui que la période n'est pas propice à une élection transparente. Peut-on dire que la présidentielle du 6 octobre est jouée d'avance ?
Effectivement, depuis que le chef de l'État a changé la composition de l'instance supérieure indépendante pour les élections, en se donnant la liberté de nommer, en fait, les membres de cette instance, il n'y a plus d'instance indépendante électorale, ce qui est quelque chose d'assez préoccupant. Et ce qui est inquiétant, si vous voulez aujourd'hui, c'est que toutes les personnes manifestant le souhait de se présenter à la prochaine élection présidentielle, eh bien se voient empêcher, sous une forme ou sous une autre, de se présenter à cette élection, soit en étant arrêtées, soit en étant assignées à résidence, soit en étant frappées d'inéligibilité, ou tout cela à la fois. Les obstacles mis à la candidature à la présidentielle feront probablement que cette élection aura un caractère tout à fait plébiscitaire.
Est-ce qu'il existe encore aujourd'hui une force politique organisée capable de s'opposer à son pouvoir ? Qu'en est-il des islamistes d'Ennahda, jadis majoritaires ?
Non, bien sûr, non. Disons que les forces politiques en Tunisie sont aujourd'hui très atomisées. Et comme vous l'avez vous-même souligné tout à l'heure, la plupart des leaders politiques sont derrière les barreaux. Alors il y a évidemment encore une société civile. Les médias sont sous contrôle aujourd’hui et il est de plus en plus difficile de s'exprimer. Je vous disais tout à l'heure également que le chef de l'État fait partie de ces leaders populistes qui sont tout à fait hostiles à l'existence de partis politiques et de corps intermédiaires.
Est-ce que la Tunisie ne s'achemine pas finalement vers un pouvoir sans partage comme à l’époque de Bourguiba ou de Ben Ali ?
Le régime de l'actuel chef de l'État n'a pas grand-chose à voir avec l'époque de Bourguiba, ni celle de Ben Ali. La seule chose qui les rassemble, si je puis dire, c'est qu'effectivement, après une séquence d'apprentissage, certes douloureux et chaotique, de la démocratie entre 2011 et 2020, on revient vers une forme tout à fait autoritaire d'exercice du pouvoir, incontestablement.
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