Mali: «l’Ukraine est aujourd’hui déterminée à être présente là où les Russes sont présents»
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Quel rôle a joué l'Ukraine dans la victoire des rebelles touaregs contre l'armée malienne et les supplétifs russes de Wagner ? C'était il y a deux semaines, lors d'une bataille meurtrière de trois jours, du 25 au 27 juillet, à Tinzaouatène, à l'extrême-nord du Mali. Le 29 juillet, 48 heures après la bataille, un responsable du renseignement militaire ukrainien a déclaré que son pays avait donné des « informations utiles » aux rebelles. Sans plus de précisions. Le journaliste Lemine Ould Mohamed Salem a publié deux ouvrages, Le Ben Laden du Sahara : Sur les traces du jihadiste Mokhtar Belmokhtar, La Martinière 2014, et L’histoire secrète du jihadisme : les confessions du bras droit de Ben Laden, Flammarion 2018, et réalisé le film Salafistes, 2016, sur le conflit au Sahel. En ligne de Dakar, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Lors de la bataille de Tinzaouatène, les Ukrainiens affirment avoir fourni « des informations utiles » aux rebelles touaregs du CSP. De quelles informations s'agit-il ?
Lemine Ould Mohamed Salem : Alors, il s'agit très probablement de renseignements, mais il peut aussi s'agir d'une aide militaire en termes de matériel et de formation. Puisque, selon des sources habituellement crédibles dans la région, aussi bien au sein de la rébellion touarègue qu'ailleurs, il semblerait que certains éléments du CSP aient bénéficié d'une formation en Ukraine même. Alors, est-ce qu'il s'agit d'une formation sur l’usage du renseignement ? Est-ce qu'il s'agit de formation sur l'usage d'un éventuel armement qui aurait été fourni ? Ou est-ce qu'il s'agit de l'usage aussi de drones ou de la fabrication de drones artisanaux, etc...
Ou bien de la fabrication ?
De drones, puisqu'à voir les images après la bataille et même les images de la bataille filmées par les combattants touaregs, il est manifeste qu'il y a eu l'usage de drones de la part des rebelles du Cadre stratégique permanent.
De la part du CSP…
Absolument.
Alors justement, c'est la question : est-ce que les Ukrainiens peuvent avoir fourni un soutien matériel en drones aux rebelles touaregs du CSP ?
On se demande quel est le pays qui peut fournir des drones au CSP, si ce n'est pas l'Ukraine ou un des pays alliés à l'Ukraine… Depuis le déclenchement de la rébellion touarègue en 2012 dans le nord du Mali, jamais les rebelles touaregs n'ont fait usage de drones.
Interrogé par RFI cette semaine, le porte-parole du CSP, Mohamed el-Maouloud Ould Ramadane, reconnaît que son mouvement est en contact avec les Ukrainiens, mais dément toute aide matérielle de l'Ukraine.
Alors, que Ramadane le dise ou pas, bien avant que Ramadane l'affirme, plusieurs cadres de la rébellion touarègue avaient commencé à chercher à établir des relations avec l'Ukraine, et cela date du lendemain de leur défaite à Kidal l'année dernière. Alors, que ces contacts se limitent juste peut-être à de l'information, c'est possible, mais il ne faut pas exclure l'aide militaire en termes de matériel et de formation. D'autant plus que l'on sait très bien que les Ukrainiens ont souvent été présents dans des terrains en Afrique où leurs adversaires russes sont présents. C'est le cas notamment du Soudan.
Alors, si les rebelles touaregs ont utilisé des drones ukrainiens, savez-vous où et comment ils ont appris à s'en servir ?
Ce qui est sûr, c'est que certains éléments touaregs se sont rendus en Ukraine. Ils y ont suivi une formation. On n'a pas beaucoup d'éléments sur les détails de cette formation, mais il est fort probable qu'il s'agisse de formation sur l'usage d'un certain nombre d'armes qui auraient été fournies, dont notamment les drones. Une rumeur a circulé dans la sous-région, comme quoi la formation aurait pu se passer dans un certain nombre de pays proches de l'Otan et donc, par ricochet, de l'Ukraine. Mais des sources proches du CSP affirment que la formation des cadres du CSP à l'usage d'un certain nombre de matériels militaires ukrainiens a été faite plutôt en Ukraine.
Le journal Le Monde évoque la présence d'instructeurs ukrainiens dans la région de Tombouctou. D'autres sources évoquent la présence d'instructeurs ukrainiens dans la région de Taoudeni, à l'extrême nord-ouest du Mali. Vous n'avez pas les mêmes informations ?
Pas du tout. Parce qu'il est extrêmement difficile aujourd'hui, dans le contexte malien actuel, qu’il y ait la présence d'éléments étrangers dans la région de Tombouctou ou dans la région de Taoudeni, puisque cette région est aujourd'hui sous contrôle de l'armée malienne et de ses alliés russes. Presque quasiment tous les villages, toutes les localités ont été mis sous contrôle. Mais par contre, la présence d'instructeurs dans un pays proche n'est pas à exclure. S’il s'agit notamment peut-être de diriger les opérations à distance, est-ce qu'il n'y a pas une salle d'opération installée dans une capitale d'un pays proche du Mali ? Ça peut aller du nord de l'Atlantique au golfe de Guinée.
Tinzaouatène, c'est au cœur du Sahara, à la frontière Mali-Algérie. Savez-vous comment des drones ukrainiens auraient pu être acheminés jusque-là ?
Alors, l’hypothèse, qui circule beaucoup dans la sous-région, soutient que ces drones auraient pris la voie atlantique et puis après la voie terrestre pour arriver dans le nord du Mali. Une autre thèse soutient que tout cela serait passé plutôt par la Libye. Mais il y a aussi une probabilité à prendre très au sérieux. C'est plutôt le largage de ce matériel par voie aérienne, surtout qu'on sait que cela a déjà été le cas. Dans le cas du nord du Mali, au début du conflit, vers les années 2012-2013, les anciens rebelles du MNLA avaient bénéficié à un moment donné du largage de matériel de guerre dans le nord du Mali par une puissance étrangère. Il s'agissait à l'époque bien évidemment de la France.
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