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Paludisme: «La mise sur marché d’un produit dédié aux nourrissons» est «une avancée principale»

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C'est un tournant dans le combat contre le paludisme chez les nourrissons et les tout-petits. Une société suisse vient de mettre sur le marché un médicament qui soigne les enfants atteints du paludisme à partir de l'âge de trois mois. Et dans les prochains jours, le Ghana va pouvoir déployer ce médicament certifié par l'OMS. Le docteur André-Marie Tchouatieu est l'un des responsables de la fondation suisse MMV spécialisée dans la lutte contre le paludisme, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Un agent de santé prépare une dose d'un vaccin contre le paludisme lors du lancement de la campagne de vaccination des enfants de zéro à 23 mois à Abidjan, le 15 juillet 2024. (Image d'illustration)
Un agent de santé prépare une dose d'un vaccin contre le paludisme lors du lancement de la campagne de vaccination des enfants de zéro à 23 mois à Abidjan, le 15 juillet 2024. (Image d'illustration) © Sia Kambou / AFP
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RFI : En Afrique, les 3/4 des morts du paludisme sont des enfants de moins de cinq ans. Est-ce qu'il y a eu ces dernières semaines une avancée pour ces enfants ?

Docteur André Marie Tchouatieu : L'avancée principale ces dernières semaines pour ces enfants est la mise sur le marché, en collaboration avec Novartis, une firme pharmaceutique basée en Suisse, d'un produit spécialement dédié aux nourrissons de moins de 5 kg qui sont une tranche de cette population particulièrement vulnérable et pour lesquels jusqu'aujourd'hui il n'y avait pas de produit vraiment dédié. Donc c'est une avancée considérable qui a eu lieu ces dernières semaines, en plus de la mise sur le marché du vaccin antipaludique qui date déjà de quelques années.

C'est-à-dire qu'on peut protéger les enfants pratiquement dès leur naissance, c'est ça ?

Pratiquement dès leur naissance par les vaccins à partir de l'âge de cinq mois et traiter les enfants malades à partir de trois mois. Il y a des cas de plus en plus fréquents de paludisme très jeune à partir de trois mois. Et aujourd'hui, ils ont complètement un médicament dédié avant éventuellement, à partir de cinq mois, d'être éligible pour la vaccination.

Est-ce que ces nouveaux traitements ont été certifiés ?

Ils ont complètement été certifiés par les autorités réglementaires suisses, dans le jargon, on les appelle des « Stringums Regulatory Authority's », donc les autorités reconnues mondialement. Et donc ces médicaments sont complètement certifiés, complètement validés par l'Organisation mondiale de la Santé et donc reconnus également au niveau de l'Afrique par les autorités du Ghana qui sont un pays assez avancé en termes de régulation pharmaceutique en Afrique.

Et est-ce que ce traitement a déjà été déployé au Ghana ?

Le déploiement est en cours de préparation par à la fois le propriétaire de l'autorisation de mise sur le marché et les autorités réglementaires. Et c'est prévu dans les prochains jours.

Et est-ce qu'il y a déjà des partenariats prévus avec d'autres pays africains en vue de déployer ce traitement ?

Alors, il y a un plan de déploiement qui va se mettre en branle à partir de l'année prochaine, on va dire. Sur le dernier quart de cette année et l'année prochaine, la généralisation, la mise à disposition du médicament va se faire dans les pays endémiques et les pays auront le médicament à leur disposition.

On parle du Burkina Faso, de la Côte d'Ivoire, du Kenya, du Malawi, du Mozambique, du Nigeria, de la Tanzanie et de l'Ouganda. Est-ce qu'il s'agirait, avec le Ghana, des huit premiers pays pilotes pour ce traitement pour les nouveau-nés et les jeunes ?

Oui, a priori, ce seraient ces pays-là qui se sont engagés, mais en général, pour un produit aussi précieux dans la momentum des produits disponibles dans la lutte contre le paludisme, beaucoup d'autres pays vont forcément se manifester d'ici là.

Si ce traitement est vraiment déployé, est-ce que ce sera une avancée considérable pour les nouveau-nés et les jeunes enfants ?

Pour les nouveau-nés, ce serait une avancée considérable, c’est sûr. Pour les enfants un peu plus âgés, il y avait déjà des produits sur le marché. C'est surtout pour vraiment les tout petits, les nouveau-nés avec un poids inférieur à 5 kg.

Et pour cela, est-ce que vous avez tous les financements nécessaires ?

L'environnement du financement de la lutte contre le paludisme en ce moment est un environnement assez complexe et qui s'amenuise au fil des années. La question du financement demeure une grosse question parce que les ressources s'amenuisent et les lendemains ne sont pas certains. Donc la question du financement préoccupante. Mais il faut dire que le financement direct à l'accès aux médicaments dans les pays n'a pas souvent été un mandat de l'OMS, mais plutôt un mandat d'organisations comme le Fonds mondial ou alors, pour les vaccins, une organisation comme Gavi, mais également des financements autres, notamment du gouvernement américain, des financements bilatéraux. Et ces financements aujourd'hui doivent être remobilisés pour pouvoir contribuer à la lutte contre le paludisme.

Surtout avec la suppression de l'USAID par les nouvelles autorités américaines ?

Exactement. Alors la suppression de l'USAID, c'est une chose. Mais il faut dire que le gouvernement américain est en train de se réorganiser pour reprendre les activités de l'USAID. Et on attend de voir cette nouvelle structure qui va être mise en place d'une façon plus bilatérale, de pays à pays, avec les États-Unis.

Dans ce traitement, il y a un vaccin et pour cela, il faut qu'il n'y ait pas de coupure de courant pour que ce vaccin soit conservé, est-ce que ce n'est pas un problème ?

Alors, je pense qu'il faut dissocier deux choses. Il y a le vaccin, ça fait deux, trois ans et même un peu plus qu’il est mis sur le marché. Et il y a le médicament. Le médicament n'a pas besoin de respect de la chaîne du froid. Le vaccin, quant à lui, c'est vrai, il a besoin du respect de la chaîne du froid. Mais les pays sont suffisamment équipés aujourd'hui pour pouvoir assurer la continuité de la chaîne du froid. Parce que ce n'est pas le premier vaccin qui requiert une chaîne du froid. Et les programmes élargis de vaccination au niveau des pays sont suffisamment équipés aujourd'hui pour pouvoir assurer cette continuité de la chaîne du froid.

Alors le médicament est développé par la société suisse Novartis, tandis que les deux vaccins anti paludéens sont développés par la société britannique GSK et la société indienne Serum Institute of India. Est-ce à dire que ces produits ne peuvent pas être fabriqués sur place en Afrique ?

Ils peuvent complètement être fabriqués sur place en Afrique. Il faudrait pour ça un transfert de technologie. Je crois que les capacités aujourd'hui en Afrique sont en train de se développer pour pouvoir dans un court terme assurer une production locale. C'est un transfert de compétences qui doit être fait et je pense qu’il est en cours et que, dans les cinq prochaines années, cela devrait pouvoir être complété pour une fabrication en Afrique.

Et quels sont les pays africains où pourrait se faire ce transfert de compétences ?

Aujourd'hui, il y a quelques pays qui ont été identifiés et qui ont un niveau de ce qu'on appelle la préqualification par l'OMS. Des pays qui ont des entreprises qui ont un niveau de préqualification par l'OMS, il y en a un certain nombre. Quoiqu'encore peu nombreux. Il y a des pays comme le Ghana, comme le Nigeria, comme le Kenya que je pourrais citer, ou comme l'Ouganda, qui ont des fabricants préqualifiés par l'OMS et donc qui, sur le plan de la capacité technique, peuvent produire des médicaments certifiés. Et sur le plan des vaccins, il y a plusieurs initiatives en cours, notamment au Sénégal pour pouvoir produire des vaccins localement et je crois que le transfert de compétences peut se faire dans les cinq prochaines années. Je suis optimiste.

Et l'on pourra peut-être répondre d'ici à cinq ans à un vide médical sur le continent ?

Un vide médical sur certains produits, oui. Mais je pense que, sur le continent, on va encore être assez dépendant sur le plan général de la fabrication externe, notamment indienne, notamment chinoise, de génériques. Mais il y a une dynamique qui est en cours, notamment avec la création de l'Agence africaine du médicament dont le siège est au Rwanda, qui devrait dynamiser ce domaine dans les prochaines années. Donc, je pense que la tendance est positive sur le continent. On a des engagements à un haut niveau à l'Union africaine dans ce sens-là. Et il y a une demande de la communauté de santé globale pour une localisation de la production, notamment de certains médicaments essentiels de qualité, reconnus pour pouvoir prendre en charge la plupart des grandes endémies, et des pathologies les plus courantes sur le continent.

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