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Les propos de Trump sur le Nigeria sont «irresponsables et criminels», dit le prix Nobel Wole Soyinka

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Le Nigeria est de nouveau dans le viseur de l'administration Trump. Le président américain a récemment menacé le pays d'une intervention militaire pour protéger les chrétiens du Nigeria, qui seraient victimes, selon lui, de violences ciblées sous l'œil indifférent des autorités. Le Nigeria a été réintégré à la liste américaine des « pays particulièrement préoccupants en matière de liberté religieuse », dont il était sorti en 2021. Avant cela, Washington avait déjà annoncé un durcissement considérable des conditions d'obtention de visas « non immigrants » pour les citoyens nigérians désireux de se rendre aux États-Unis. Fin octobre, l'écrivain Wole Soyinka a également révélé que son visa américain avait été annulé. RFI a rencontré, à Paris, le premier prix Nobel africain de littérature, en 1986, qui a toujours été une voix critique de la politique de Donald Trump.

L'écrivain nigérian Wole Soyinka en janvier 2020. Le premier prix Nobel africain de littérature a toujours été une voix critique de la politique de Donald Trump.
L'écrivain nigérian Wole Soyinka en janvier 2020. Le premier prix Nobel africain de littérature a toujours été une voix critique de la politique de Donald Trump. AFP - PIUS UTOMI EKPEI
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RFI : Pensez-vous retourner un jour aux États-Unis ?  

Wole Soyinka : J’en doute vraiment. C’est peu probable  

Récemment, vous avez annoncé que votre visa américain avait été révoqué. Pour quelles raisons exactement ?  

C’est un problème ancien qui remonte déjà à la première élection de Donald Trump. J’enseignais aux États-Unis et j’ai vu l’émergence de cette rhétorique politique à la fois raciste, exclusioniste, mais aussi égocentrique. Et en général extrêmement méprisant vis-à-vis des immigrés et même des étrangers. Rappelez-vous, quand il est arrivé au pouvoir, il a désigné un certain nombre de pays comme « des pays de merde », pardonnez l’expression. Je l’ai compris dès la campagne et j’ai promis que si cet homme arrivait au pouvoir, je déchirerais ma carte verte. C’est exactement ce que j’ai fait.

Pourtant, après cela, vous avez quand même obtenu un autre visa pour les États-Unis ? 

Oui, parce que, peu après avoir déchiré ma carte verte, j’ai reçu un courrier de l’administration fiscale américaine, pour m’annoncer que j’allais avoir un contrôle fiscal. Donc, je suis allé à l’ambassade au Nigeria, je leur ai expliqué que j’avais détruit mon permis de résidence aux États-Unis, mais que je ne voulais pas être considéré comme un fraudeur ou un fugitif. J’ai demandé un nouveau visa pour répondre à cette missive. 

C’est ce visa qui vient d’être annulé ? 

Oui, c'est correct. Cette fois, je n’ai même pas pris la parole. J’ai été directement ciblé, comme d’autres gens. J’ai reçu une lettre générique du consulat, une lettre qu’ils ont aussi adressée à d’autres Nigérians – et j’en suis sûr, aux citoyens d’autres pays – pour me demander de me présenter à un entretien. Parce que, je cite, « il y a eu des changements depuis l’émission de votre visa ». Ils me demandaient de me présenter au consulat, avec mon passeport. Je suis trop occupé pour cela et je savais très bien qu’ils avaient déjà pris leur décision, donc je n’y suis pas allé. Depuis que Donald Trump est revenu au pouvoir aux États-Unis, les immigrés sont ramassés dans la rue, au restaurant, et même dans les écoles. Je n’ai pas vraiment envie d’être associé à ce que cette société est devenue sous Donald Trump.

Plus récemment, Donald Trump a fait de nouvelles déclarations concernant le Nigeria. Selon lui, les Chrétiens seraient les victimes d’une violence ciblée dans le pays. Qu’en pensez-vous ?  

D’abord, c'est arrogant, mais c’est aussi profondément irresponsable. Je ne connais aucun pays à travers le monde qui ne connait pas de frictions. Bien sûr, il n’est pas question de nier l’existence d’extrémistes religieux au Nigeria et plus spécifiquement d’islamistes intégristes. Je le dis ouvertement. D’ailleurs, j’ai même écrit une pièce sur le meurtre d’une jeune étudiante, accusée de blasphème, qui a été lynchée et déshumanisée. On sait qu’il y a un problème. Mais c’est un acte extrêmement hostile lorsqu'une personne venue de l’extérieur exacerbe et exagère ce problème.  

Il y a des tensions, il y a des violences, notamment entre les fermiers et les éleveurs. Des centaines de personnes ont été tuées dans ce conflit. Parfois, la religion est en cause, mais souvent, c’est plutôt une question économique. Bien sûr, les enlèvements d’enfants contre rançon sont des actes criminels. Mais choisir un aspect du problème, et affirmer que c’est la religion qui est au centre de toutes ces violences, ce n’est pas seulement mauvais, c’est aussi criminel. Rappelez-vous les mots qu’il a utilisés pour menacer le Nigeria d’une intervention militaire. Il a dit que les américains attaqueraient « armes à la main » et que ce serait « rapide, vicieux et doux ». Est-ce vraiment le genre de déclarations que l'on attend d’un leader ? Un chef d’État n’a pas le droit d’être simpliste. Et surtout n’a absolument pas le droit de creuser encore les divisions qui existent déjà. Il n’y a pas de société sans tensions, même aux États-Unis.  

Pour finir, au mois d'octobre, le théâtre national de Lagos a rouvert ses portes sous le nom de Centre Wole Soyinka pour la culture et les arts créatifs. Appréciez-vous cette attention pour votre 90e anniversaire ?  

Oui, c'est évidemment un honneur. Mais celui-ci devait-il m’être attribué ? C’est une autre question. Notamment lorsque vous avez passé, comme moi, toute votre vie à traverser toutes sortes de dictatures, où les dirigeants donnent leur nom à tout et n’importe quoi, y compris à des toilettes publiques.  Je suis indifférent à ce genre de chose. J’ai vécu ma vie, j’ai fait mon travail, je suis satisfait.

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