Le grand invité international

Gaza: «La préoccupation du Qatar est de ramener les otages dans leurs familles et d’apporter la paix»

Publié le :

Dans le conflit entre Israël et le Hamas, le Qatar joue un rôle clé. Fin octobre, le pays du Golfe avait déjà joué les médiateurs lors des quatre premières libérations d’otages détenus par le Hamas dans la bande de Gaza. Ce mercredi 8 novembre, on a appris que de nouveaux pourparlers étaient en cours pour la potentielle libération de 10 à 15 otages détenus par le Hamas. Le Qatar et de nouveau médiateur aux côtés des États-Unis, dans ces négociations qui incluent Israël et le Hamas. Entretien avec Majed Al Ansari, le conseiller du Premier ministre du Qatar.

Majed Al Ansari, conseiller du Premier ministre du Qatar.
Majed Al Ansari, conseiller du Premier ministre du Qatar. © Ministry of Foreign Affairs
Publicité

RFI : Ce jeudi matin, une conférence humanitaire se déroule à Paris alors que l'armée israélienne poursuit son attaque militaire dans la bande de Gaza, en réponse à l'attaque du Hamas du 7 octobre. C’est une initiative du président Macron. Pensez-vous que ce type d'initiative, alors que les combats se poursuivent, peut néanmoins être utile ?

Majed Al Ansari : Compte tenu de la gravité de la crise, de la violence qui sévit dans la région et de la crainte que cette crise ne devienne une crise régionale, voire internationale, je pense qu'il est très important que tous les acteurs de la communauté internationale prennent toutes les initiatives possibles. L'État du Qatar soutient ces initiatives, que ce soit sur le plan politique, en matière de désescalade ou sur le plan humanitaire. La population de Gaza a un besoin urgent d'assistance et nous pensons donc qu'il est très important de se concentrer sur l'aspect humanitaire et de tenir cette conférence. Je suis certain que les participants feront preuve de la ténacité nécessaire pour assurer la réussite d’une telle rencontre. Cependant, nous devons admettre que la situation sur le terrain est très compliquée. Les bombardements qui ont lieu empêchent l'aide humanitaire d'entrer. Tout cela rend les choses plus difficiles sur le terrain et peu réaliste l'idée que l'aide humanitaire puisse être acheminée vers les gens qui ont besoin.

Rappelons que le Qatar a joué un rôle clé dans la libération de quatre otages détenus dans la bande de Gaza, fin octobre. Ce fut un succès pour la diplomatie qatarienne. Or, il y a quelques heures, nous avons appris que le Qatar jouait à nouveau le rôle de médiateur avec les États-Unis. Les négociations actuelles entre Israël et le Hamas concerneraient la libération potentielle de 10 ou 15 otages en échange d'un court cessez-le-feu. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette médiation ?

Évidemment, je ne peux pas parler des détails des négociations en raison de la sensibilité et de la nature délicate de ces pourparlers. Notre principale préoccupation est maintenant de faire en sorte que ces pourparlers aboutissent et que nous puissions ramener les otages dans leurs familles et apporter la paix dans ce conflit. Nous devons rester concentrés sur cet objectif. Mais ce que je peux vous dire, c'est que ces négociations ont commencé dès le premier jour et se poursuivent, bien que la situation sur le terrain soit beaucoup plus compliquée qu'il y a quelques semaines, notamment en raison des bombardements et de l'incursion terrestre israélienne à Gaza. Nous continuons à discuter avec les deux parties. Nous explorons tous les moyens possibles et nous parlons à tous nos partenaires dans le monde entier pour faire pression sur les deux parties de ce conflit afin de créer l'atmosphère nécessaire pour réussir. Mais, si nous gardons l'espoir d’aboutir, nous devons reconnaître qu'il est difficile de rétablir la confiance entre les deux parties. Les mesures visant à instaurer la confiance sont difficiles à mettre en œuvre compte tenu des paramètres actuels du conflit.

Pouvez-vous me dire quels sont les critères utilisés pour déterminer les libérations d'otages ? Doit-on s'attendre à ce qu'il y ait surtout des femmes, des enfants, des personnes âgées ?

Nous pensons que les priorités sur ce point doivent être totalement humanitaires. Nous devrions commencer par les plus vulnérables. À coup sûr, les femmes, les enfants et les civils avant tout, car ce sont eux les plus vulnérables. Nous nous efforçons donc de les faire sortir en premier afin d'éviter que l’un d’eux perde la vie ou se retrouve en difficulté en raison de sa présence prolongée en détention.

À lire aussiGuerre Israël-Hamas: le Qatar, un acteur clé des négociations autour des otages

Est-ce à cause des combats qu'il n'y a pas eu de nouvelles libérations depuis le 23 octobre dernier ?

Bien sûr, il y a de nombreuses raisons pour lesquelles ce type de négociations n'aboutit pas, mais il est évident que l'absence d'une période de calme, le manque de confiance entre les deux parties, mais aussi le fait qu'à chaque fois que nous travaillons en vue d'un accord, nous constatons que l'escalade sur le terrain entraîne la mort de nombreux civils, tout cela complique encore plus les choses. C'est pourquoi nous avons lancé un appel dès le premier jour en faveur d’une désescalade.

Doit-on conclure que le Qatar exigera un cessez-le-feu en échange de nouvelles libérations, comme une condition sine qua none, désormais ? Ce n’avait pas été le cas lors des premières libérations.

Nous sommes un médiateur dans cette affaire. Nous essayons de ramener les otages chez eux et de ramener la paix dans le conflit actuel. Nous ne sommes donc pas en position d'exiger. Cependant, nous posons des idées sur la table des négociations, nous essayons de pousser les deux parties à penser de manière créative, afin de parvenir à un accord. Nos négociateurs travaillent jour et nuit avec les deux parties pour faire passer toutes les idées, ainsi que nos partenaires internationaux, y compris la France. En tant que médiateur, notre rôle n'est donc pas d'exiger ou d'être partie prenante au conflit. Notre principal rôle est de nous assurer que chacune des parties comprenne la position de l’autre, puis de faire des propositions qui pourraient aboutir à une résolution positive de la question des otages et à un apaisement de la situation actuelle.

Concernant les prochaines libérations, pensez-vous que c’est une question d’heures, de jours ? 

Compte tenu de la volatilité de la situation sur le terrain, il est très difficile d'établir un calendrier. Je ne me risquerais pas à le faire, mais nous pensons que cela finira par se produire. Il faut simplement que les deux parties donnent la priorité à la question des otages. Nous pouvons parvenir à un accord, mais il m'est très difficile de vous dire si cela prendra des heures, des jours ou des semaines. Tout dépendra de l'évolution de la situation sur le terrain.

Tous les pays qui détiennent des otages sont en contact avec le Qatar ?

Oui, nous travaillons avec tous nos partenaires dans le monde entier. Nous sommes en contact avec plus de 13 pays qui ont identifié leurs ressortissants présents à Gaza, avec lesquels nous communiquons, qu'il s'agisse d'otages ou d'étrangers se trouvant volontairement à Gaza et souhaitant partir. Nous travaillons donc avec tous ces pays. Par ailleurs, je suis en contact avec de nombreuses ambassades, y compris l'ambassade de France à Doha, pour obtenir de nos partenaires, les listes et les informations les plus actualisées sur leurs ressortissants otages dans la bande de Gaza. Nous transmettons ces informations aussi rapidement que possible à l'autre partie. Nous apprécions toute la coopération que nous recevons de ces pays et nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour ramener leurs ressortissants.

Et parmi ces pays, la France...

Bien entendu, nous travaillons avec les dirigeants français. Vous savez que la ministre française des Affaires étrangères était à Doha et que le président Macron et son Altesse, l'émir du Qatar, se sont entretenus au plus haut niveau de ces questions. Il y a un canal de communication ouvert entre nos deux gouvernements, qui travaillent ensemble jour et nuit pour s'assurer que cela se passe bien. Nous nous efforçons donc de rapatrier les ressortissants français pour qu’ils soient de retour chez eux, avec leurs familles, dès que possible.

À lire aussiLe Qatar, un rôle incontournable dans la crise entre Israël et le Hamas?

Comment expliquez-vous que le Qatar soit le seul pays capable de discuter avec toutes les parties ? Diriez-vous que c'est le résultat de 20 ans de diplomatie constante dans sa cohérence, de la part du Qatar ?

Cela fait plus d'un quart de siècle que le Qatar est engagé dans des médiations. Nous avons toujours cru dans les vertus de la médiation. Nous y croyons tellement qu'elle est littéralement inscrite dans notre constitution en tant qu'outil de médiation de notre politique étrangère. Nous pensons qu’il faut que quelqu’un se charge des situations compliquées, des discussions ardues avec des partenaires difficiles, parce que le désengagement ne peut pas être la seule façon de traiter les conflits et de les résoudre, en particulier dans le feu de l'action, comme ce qu'il se passe aujourd'hui à Gaza. Il faut des médiateurs capables de parler aux deux parties et qui bénéficient de la confiance des deux camps. Seuls des médiateurs honnêtes, qui parlent franchement et ouvertement avec les deux parties, sont capables d'ouvrir des canaux de communication.

Concernant le conflit israélo-palestinien, les canaux de communication ont été mis en place depuis plus de 10 ans quand les États-Unis et d'autres partenaires internationaux nous ont demandé d'établir une ligne de communication avec le Hamas afin de pouvoir jouer un rôle de médiateur pour assurer si besoin une désescalade. Nous utilisons cette ligne de communication chaque fois que c’est nécessaire. Nous avons participé à d'innombrables désescalades entre le Hamas et Israël, dont la dernière a eu lieu le 28 septembre, lorsque nous avons servi de médiateur pour un accord entre le Hamas et Israël visant à rouvrir le point de passage d’Erez. Malheureusement, cet accord n'a pas été respecté, mais nous travaillons sans relâche depuis de nombreuses années sur la désescalade entre Palestiniens et Israéliens. Dans la crise actuelle, la communauté internationale nous encourage à poursuivre nos efforts de médiateurs.

Qui est votre interlocuteur au sein du Hamas ? Les représentants du Hamas à Gaza ou les représentants du Hamas au Qatar ?

Comme vous le savez, le bureau politique du Hamas, qui découle de notre accord avec les États-Unis et Israël, est situé à Doha. Nous travaillons donc avec les représentants du Hamas à Doha. Nous n'avons jamais ressenti le besoin de prendre contact avec d'autres personnes car le bureau politique a toujours été le meilleur interlocuteur pour ce genre de négociations. Nous leur parlons quotidiennement et constamment pour être sûr que les informations arrivent aux personnes qui sont sur le terrain. Nous avons également des contacts avec d'autres partenaires dans la région pour nous assurer que tous les messages sont entendus par toutes les parties, en même temps. C'est pourquoi nous travaillons aussi directement avec les responsables israéliens. Nous avons une vue d'ensemble et nous donnons une vue d'ensemble aux deux parties du conflit.

Quels sont vos interlocuteurs côté israélien ?

Nous sommes en contact direct avec les représentants du gouvernement israélien. Mais nous travaillons également avec des fonctionnaires qui vont et viennent pour s'assurer que nous avons une ligne de communication qui est toujours ouverte.

Vous savez qu'en raison du lien entre le Qatar et le Hamas, certaines personnes accusent le Qatar de financer le terrorisme parce que le Qatar paie les salaires des fonctionnaires de la bande de Gaza, fournit une aide financière aux familles palestiniennes dans le besoin et fournit du carburant pour l’électricité. Que répondez-vous à cette accusation ?

Tout d'abord, nous dénonçons catégoriquement de telles affirmations. La communauté internationale sait ce que nous faisons en matière de désescalade et de médiation entre le Hamas et Israël. Chaque centime consacré à la reconstruction et à l'amélioration de la situation à Gaza l'a été en coordination avec des organismes internationaux, des agences de l'ONU travaillant à Gaza, mais on peut aussi dire que l'aide passe littéralement par Israël. Sur ce sujet, les Israéliens ont toujours travaillé avec nous sur l'aide à Gaza. Il n'y a pas d'argent qui soit allé directement à Gaza, sans être passé par les Israéliens, par les points de passage israéliens, par les banques israéliennes. Donc il n'y a aucun moyen de nous accuser, sans, dans ce cas, accuser les Israéliens eux-mêmes de financer le Hamas, ce qui n'a bien sûr aucun sens.

L’aide se divise en trois parties : premièrement, le carburant destiné aux hôpitaux et aux institutions vitales ; deuxièmement, une aide financière accordée aux familles de Gaza, à raison de 100 dollars par famille dans le besoin. Cette aide est gérée en collaboration avec les agences internationales et sous l'égide de l'Union européenne. Le troisième volet est occasionnel : lorsqu'il s'agit de projets de reconstruction tels que la construction d'hôpitaux et d'écoles à l'intérieur de la bande de Gaza. Le matériel de reconstruction passait par Israël, qui savait ce qu'il se passait. Les Israéliens contrôlent tout ce qui est acheminé et nous coordonnons avec eux tous les aspects. En ce qui concerne le paiement des salaires, cela s'est fait en coordination avec Israël.

Nous jouons notre rôle en matière de reconstruction et d'aide et nous contribuons à créer un climat de paix dans cette partie du monde. Les attaques dont nous faisons l'objet sont malheureusement des tentatives de sabotage de ces efforts et sont le fait de personnes qui ne veulent pas voir la paix dans cette région.

À lire aussiProche-Orient : la diplomatie américaine dans l’impasse

Selon le Washington Post, le Qatar prendra ses distances avec le Hamas une fois cette guerre terminée. Pouvez-vous confirmer cette information ?

Nous avons été très clairs à ce sujet. La raison pour laquelle nous avons une ligne de communication avec le Hamas est qu'il s'agit d'un canal pour la paix. C'est un moyen pour nous de désamorcer la situation et de faire en sorte que le nombre de morts diminue grâce à la médiation et au dialogue. Il n'est pas constructif pour l'instant de parler de ces choses. Tant que ce canal sera un canal pour la paix, il restera. Nous devons travailler ensemble en faveur de la médiation et du dialogue sur cette question. Nous ne pouvons pas nous permettre d'abandonner complètement la cause de la paix et de la désescalade, même si cela implique de travailler avec des partenaires qui ne sont pas considérés par l'ensemble de la communauté internationale comme très recommandables. Mais c'est le travail du médiateur que d'avoir les discussions difficiles. Nous l'avons fait avant les négociations entre les talibans et les États-Unis, et nous travaillons toujours avec le gouvernement intérimaire là-bas. Nous l'avons fait entre l'Iran et les États-Unis. Nous l'avons fait entre la Russie et l'Ukraine. Il faut parler aux partenaires difficiles pour obtenir la paix.

Quant à l'avenir de la bande de Gaza, quelle est la position du Qatar ? Israël parle de réoccupation. Les États-Unis considèrent que l'Autorité palestinienne doit reprendre le contrôle de la bande de Gaza.

Tout d'abord, nous pensons qu'à l'heure actuelle, nous devrions nous concentrer sur l'aide humanitaire à Gaza, la libération des otages et l'arrêt de la terrible effusion de sang, avec plus de 10 000 personnes qui ont perdu la vie à cause de l'escalade actuelle. Il est bien trop tôt pour discuter de l'après-conflit, car nous sommes en plein milieu du conflit. Il ne semble pas que nous soyons près de voir la fin de ce conflit, et la communauté internationale devrait travailler à y mettre un terme pour arrêter l'effusion de sang dès que possible. Plus de 4 000 enfants ont perdu la vie à la suite des bombardements. Nous devons sauvegarder la paix, or la paix ne passe pas par des discours extravagants. Il s'agit plutôt de comprendre la situation sur le terrain, de comprendre les besoins humanitaires de la population et de comprendre que nous avons 2,3 millions de personnes qui vivent sur ce tout petit morceau de terre et qui vivent déjà, pour la plupart, dans des camps de réfugiés - environ 1,7 million d'entre eux vivent dans des camps de réfugiés - et qui ont été à nouveau déplacés à l'intérieur de la bande de Gaza. Il est très dangereux de parler de les déplacer, même en dehors de la bande de Gaza, car cela créerait un énorme problème humanitaire et je ne suis pas certain que la communauté internationale soit prête à le gérer après le conflit. La solution est celle des deux États. Nous devons aborder la question palestinienne de front et donner aux Palestiniens un espoir pour l'avenir. Cela permettrait d'instaurer la paix dans cette région et au-delà.

Craignez-vous une déflagration régionale ?  

Nos principales priorités en ce qui concerne ce conflit sont, premièrement, arrêter l'effusion de sang, deuxièmement, fournir un couloir humanitaire pour le peuple palestinien, troisièmement, ramener les otages dans leur pays d'origine et quatrièmement, veiller à contenir cette escalade dans les paramètres du conflit actuel et s'assurer qu'il ne se transforme pas en un conflit régional. Cette région a connu tant de difficultés, tant de conflits, tant de problèmes humanitaires et une augmentation considérable du nombre de réfugiés qu'elle se trouve à un point de basculement tel que l'escalade régionale résultant de cette crise pourrait avoir des ramifications auxquelles personne dans la région ne peut s'attendre et auxquelles personne dans la région ne peut faire face. C'est pourquoi notre principale préoccupation à l'heure actuelle est de veiller à ce qu'il n'y ait pas d'effet de contagion dans d'autres pays. Nous avons assisté à de nombreuses escalades, au Liban, en Cisjordanie, en Irak et même au Yémen. C'est une situation sur laquelle nous travaillons avec nos partenaires dans la région comme l'Iran, le Liban et d'autres, pour nous assurer que nous travaillons collectivement à contenir ce conflit.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Voir les autres épisodes