Le grand invité international

Tamara Alrifaï (ONU): «Nous demandons un cessez-le-feu humanitaire immédiat dans la bande de Gaza»

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Alors que les bombardements des structures du Hamas et le blocus se poursuivent dans la bande de Gaza, Tamara Alrifaï, porte-parole et directrice de la Communication et des Relations extérieures de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA) tire la sonnette d’alarme : « Sans carburant demain, nous ne pourrons plus fonctionner », martèle-t-elle. Tamara Alrifaï réclame une cessation immédiate des opérations militaires de l’État hébreu pour des raisons humanitaires.

Tamara Alrifai, directrice des relations extérieures et de la communication de l'UNRWA, s'exprime lors d'un entretien avec Reuters à Amman.
Tamara Alrifai, directrice des relations extérieures et de la communication de l'UNRWA, s'exprime lors d'un entretien avec Reuters à Amman. REUTERS - JEHAD SHELBAK
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RFI : C'est aujourd'hui le 39e jour de guerre entre Israël et le Hamas. La situation à Gaza ne cesse d'empirer. Et voilà que votre agence annonce qu'elle va devoir arrêter ses opérations humanitaires à Gaza sous 48 heures faute de carburant. Pourquoi ?

Parce que nous n’avons plus de carburant. À partir de demain, nos camions ne pourront plus fonctionner, ils ne pourront plus récolter, aller chercher l’aide humanitaire qui arrive depuis l’Égypte. Mais aussi, nous n’aurons plus de carburant pour les générateurs qui fournissent de l’électricité à 150 de nos abris, qui fournissent aussi de l’électricité aux boulangeries que nous soutenons, et aussi, évidemment, le carburant, pour les usines de dessalement, qui fournissent l’eau potable. Sans carburant, nous ne pourrons plus fonctionner.

Tamara Alrifai, comment est-ce qu’on en est arrivés là ?

Vous l’avez bien dit : 39 jours de guerre, un siège de la bande de Gaza complet les deux premières semaines, puis un acheminement au compte-gouttes de camions d’aides humanitaires depuis le 21 octobre et qui n’incluent pas de carburant. Donc, nous sommes vraiment très en demande de tout genre d’aide humanitaire – de la nourriture, de la farine, de l’eau, des médicaments – mais sans carburant, tout ce qu’on arrive à faire maintenant, on n’arrivera plus à le faire demain.

À quel moment précis l'UNRWA pense devoir être obligée de stopper ? Demain soir, c’est l’échéance maximale ?

Nous travaillons par créneau. Par exemple, à partir de ce soir, les camions ne bougeront plus. Depuis hier, on ne faisait fonctionner nos générateurs que deux heures par jour, vous vous rendez compte quand même ? Un abri, avec 6 000 à 7 000 personnes dans l’obscurité la plus totale…

Est-ce qu'une solution est possible d’ici demain soir ? Est-ce qu'il serait possible de trouver une issue ?

Nous négocions très intensément en ce moment avec les autorités israéliennes directement et à travers des États tiers, comme les États-Unis, mais aussi le Canada, la France, l’Union européenne, de nous fournir du carburant strictement à usage humanitaire. Ce sont les garanties que nous pouvons donner : si nous recevons du carburant, c’est strictement pour l’UNRWA, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés de Palestine.

Et où en sont ces discussions avec les autorités israéliennes ?

Elles continuent, nous avons travaillé jusque très tard hier sur plusieurs formules possibles, mais pour nous, nous ne pouvons pas accepter moins que le minimum qui puisse faire fonctionner l’électricité, l’eau et les camions. À signaler aussi que Paltel, donc le fournisseur en télécommunications, le dernier qui continue à permettre aux téléphones de fonctionner, à l’internet [de fonctionner], se trouve dans la possibilité de suspendre complètement la communication faute de carburant, donc ce sera un black-out total de Gaza.

Combien de personnes dépendent aujourd’hui de l'aide que vous apportez sur le terrain à l’UNRWA ?

Nous parlons déjà d’1,6 million de personnes déplacées. Ce sont des personnes qui ne sont plus chez elles: 800 000 à peu près de ces personnes – la moitié de la population déplacée – se trouvent aujourd’hui dans des abris de l’UNRWA. Ce sont des écoles, mais aussi d’autres bâtiments appartenant aux Nations unies, à notre agence, pour la plupart pas préparées à recevoir ce volume énorme de déplacés.

Et en quoi consiste précisément l’aide ? Vous avez parlé d’eau, vous avez parlé de pain, puisqu’il s’agit d’alimenter en électricité les boulangeries, c’est ça ?

Oui, absolument, l’aide la plus essentielle au quotidien, c’est le pain, et pour la plupart, ils ne reçoivent qu’un bout de pain par jour, l’eau potable, pour éviter une crise de santé publique, et des services médicaux que nos équipes sur le terrain continuent à fournir, dans ces abris mais aussi à travers ce qu’on appelle des cliniques mobiles, y compris des services de sages-femmes aux femmes enceintes. Encore une fois, sans carburant, ces cliniques mobiles ne pourront plus fonctionner.

S’il n’y a pas d’accord, ça veut dire que l’aide humanitaire que vous apportez sera stoppée. Quelles seront les conséquences concrètes, immédiates ?

Concrètement, les gens n’auront plus accès à l’eau potable, ils n’auront plus leur bout de pain par jour, ils seront dans l’obscurité totale dans nos abris, nous ne pourrons plus faire fonctionner les usines de dessalement…

Ça veut dire une situation humanitaire qui empirerait encore, si c’est possible ?

Absolument. Ce sera la catastrophe la plus totale.

L'attention se porte particulièrement depuis quelques jours sur l'hôpital al-Chifa. Il y a des combats autour de l'hôpital, 10 000 Palestiniens seraient coincés sur le site. Est-ce qu’au travers des agents de l’UNRWA que vous avez sur place, vous avez des informations à ce sujet ?

Nous avons déjà l’information de l’Organisation mondiale de la santé qui dit que cet hôpital a arrêté de fonctionner il y a trois jours, ce qui est très très grave, cet hôpital étant quand même une icône de la santé à Gaza. Mais ce que nous observons, ce que nos équipes observent, c’est un écroulement de la santé publique en général à Gaza, donc à part les neufs centres de santé publique de l’UNRWA qui continuent de fonctionner, tout le reste s’est écroulé.

L'UNRWA est la principale agence des Nations unies présentes dans la bande de Gaza. Est-ce que vous réclamez toujours un cessez-le-feu humanitaire ?

Absolument, et nous le réclamons plus fermement que jamais maintenant au vu des besoins énormes et surtout au vu du fait que nous avons perdu déjà 102 de mes collègues. 102 employés de l’UNRWA ont été tués pendant ces quatre, cinq dernières semaines. 

Vous savez ce que dit le gouvernement israélien quand on lui parle de cessez-le-feu, il demande d’abord la libération des otages du Hamas et explique qu’un cessez-le-feu offrirait au Hamas un répit et le temps de se réarmer. Est-ce que ce sont des arguments que vous pouvez entendre en tant qu’agence humanitaire ?

L’impératif humanitaire est non négociable. Et pour nous, il y a sûrement une ligne de négociation politique qui se tient avec des États intermédiaires. Nous sommes une agence humanitaire, nous réclamons, nous demandons, un cessez-le-feu humanitaire immédiat, avant que la situation ne devienne pire, si c’est encore possible [que ça devienne pire].

Que feriez-vous dans le cas d’un cessez-le-feu humanitaire ? Cela vous permettrait de faire quoi ?

Cela nous permettrait de nous déplacer sur toute la bande de Gaza. Il faut signaler que depuis maintenant trois semaines, l’UNRWA, les humanitaires ne peuvent circuler que dans la zone sud, c’est évidemment la zone qui a reçu la plupart des déplacés, mais il nous faut un passage humanitaire sur toute la zone pour arriver à joindre les personnes dans le besoin. Il y a des personnes avec un handicap ou des femmes enceintes, des personnes âgées dans le nord de la bande de Gaza auxquels nous n’avons plus accès, qui ne reçoivent plus aucune aide humanitaire.

Un mot du bilan qui est avancé par le ministère de la Santé du Hamas, il parle des bombardements israéliens sur Gaza depuis le 7 octobre qui auraient tué 11 240 personnes, en majorité des civils, 4 630 enfants parmi eux. Est-ce que l’UNRWA est en mesure de confirmer ce bilan ?

Nous avons toujours fait confiance aux chiffres que nous recevons du ministère de la Santé à Gaza. Nous avons toujours pu corroborer ces chiffres avec les nôtres.

On sait que c’est aussi une guerre de communication, et que le Hamas, en quelque sorte, a intérêt à annoncer des bilans extrêmement lourds pour frapper les opinions ?

Mais celle-ci est la sixième guerre depuis seize ans, et pendant toutes ces guerres, les chiffres, pour nous, ont été fiables, ils ont d’ailleurs été fiables pour l’ensemble des Nations unies, des humanitaires et des États.

Donc c’est un bilan que vous pouvez endosser ?

Absolument.

Qu’est-ce qui est la priorité des prochains jours, des prochaines heures ?

Il nous faut un flux beaucoup plus important d’aide humanitaire venant d’Égypte ou d’ailleurs. Cinquante camions par jour, c’est de loin insuffisant, et [il nous faut] du carburant. Mais surtout, ce qu’il faut, c’est un cessez-le-feu pour qu’on arrive à réellement assister les personnes dans le besoin.

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