Le grand invité international

Shirin Ebadi, Prix Nobel de la paix 2003: «Il me semble que la fin du régime iranien est proche»

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Shirin Ebadi, avocate, militante des droits humains, Prix Nobel de la paix en 2003, est l'invitée de RFI ce 23 juin. Après les frappes américaines sur des installations nucléaires en Iran, elle espère que le régime iranien ne cèdera pas « à la vengeance ». Elle appelle de ses vœux des négociations pour parvenir à la paix. Et Shirin Ebadi veut croire à un soulèvement du peuple iranien qui provoquerait la chute du régime de Téhéran.

Shirin Ebadi, avocate, militante des droits humains, Prix Nobel de la paix en 2003.
Shirin Ebadi, avocate, militante des droits humains, Prix Nobel de la paix en 2003. AFP - JOEL SAGET
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RFI : Après huit jours de frappes entre Israël et l’Iran, les États-Unis ont bombardé trois sites nucléaires iraniens, samedi soir. Est-ce que vous craignez une escalade du conflit ?

Shirin Ebadi : Si l'Iran cherche à frapper les bases américaines dans la région, bien sûr que les États-Unis aussi vont réagir de leur côté. Et nous serons en pleine escalade.

C'est ce que le secrétaire général de l'ONU, appelle « un cycle sans issue de représailles »…

Exactement. J'espère que ce conflit cessera le plus tôt possible. Puisque aucun pays n'a intérêt à ce qu'il perdure.

Ces attaques américaines « auront des conséquences éternelles » a dit le ministre iranien des Affaires étrangères. Est-ce que vous pensez que le régime iranien va chercher à se venger de ces attaques ?

J'espère qu'ils seront assez raisonnables pour savoir que leur propre intérêt est de ne pas céder à la vengeance.

Dans un sens, est-ce que cette entrée en guerre des États-Unis pourrait précipiter la chute du régime iranien ?

Le régime iranien ne peut chuter qu'à la suite de protestations de millions d'Iraniens comme pendant le mouvement « Femmes, vie, liberté ».

Donc, vous pensez que ni les États-Unis, ni Israël ne peuvent obtenir par la guerre la chute de ce régime ?

Je ne le pense pas. Et d’ailleurs, ils ont dit eux-mêmes que ce qu'ils visaient n'était pas un changement de régime.

En annonçant les frappes américaines, Donald Trump a déclaré « L’Iran, le tyran du Moyen-Orient, doit maintenant faire la paix ». Vous qui connaissez bien la logique du régime iranien, est-ce que vous croyez que c'est possible ? Que l'Iran se décide à faire la paix suite à ces frappes ?

L'Iran devrait savoir qu'il n'a pas d'autre choix que de faire la paix. D'autant que toutes les forces nucléaires sont pour ainsi dire annihilées. Et puis toutes les forces qui étaient consacrées au soutien des groupes terroristes n'ont plus de raison d'être. Le régime iranien, j'espère, qu'il sera assez raisonnable pour comprendre que son intérêt est dans la paix.

Depuis le début de cet entretien, cela fait plusieurs fois que vous dites « j'espère que le régime iranien sera assez raisonnable ». Pensez-vous que ce régime est doué de raison ?

S'il était doué de raison, il n'aurait pas orienté sa politique étrangère dès son institution sur la destruction d'un autre État... Israël.

Avec d'autres personnalités iraniennes, il y a quelques jours, vous avez signé une tribune. Vous vous êtes prononcée contre le programme nucléaire iranien et contre les frappes militaires. Est-ce que vous ne vous sentez pas seule dans cette opposition et dans ce combat ?

Non, pas du tout. Je pense que nous sommes nombreux à avoir cette position.

Dans cette même tribune, vous écrivez que « la seule voie crédible pour préserver l'Iran et son peuple est la démission des responsables actuels ». Qu'est-ce qui pourrait pousser les dirigeants iraniens à se retirer ?

La seule chose qui pourrait provoquer cela, ce serait un mouvement tel que celui que nous avons connu en 2022, le mouvement « Femmes, vie, liberté ». Sachez que le régime craint ce genre de mouvement de protestation et c'est bien pour cela qu'il est plus répressif que jamais.

Est-ce que vous pensez que la société civile iranienne est prête à se soulever à nouveau, comme lors du mouvement « Femmes, vie, liberté » ?

La société civile iranienne est profondément mécontente. Parce que les violations des droits de l'homme sont de plus en plus étendues, la censure fait rage et donc cette société civile est tout à fait prête, mais elle attend le moment opportun pour se soulever. Mais bien sûr, au milieu de tous ces bombardements, qui oserait descendre dans la rue ? Comment affronter à la fois la répression du régime et les bombes qu'envoient d'autres pays ?

Mais est-ce que vous pensez que la fin du régime peut être proche ?

Il me semble que cette fin est proche. Mais pour autant, il est impossible d'en prédire la date précise.

Quel pourrait être votre rôle en cas de soulèvement, vous qui êtes exilée à Londres depuis 2009 ?

Je suis une militante des droits de l'homme. Et le rôle le plus important que je puisse occuper est celui d'appeler à un référendum sain organisé par les Nations unies. Un vote durant lequel le peuple iranien puisse choisir le gouvernement qu'il souhaite.

Après maintenant dix jours de guerre ouverte entre Israël et l’Iran, pensez-vous qu'il y a encore une place pour la négociation ?

Je pense qu'il y a toujours de la place pour des négociations. Mais ce sont les États-Unis qui poseront les conditions de ces négociations puisque l'Iran n'a plus grand-chose à perdre aujourd'hui.

Et vous souhaitez qu'il y ait ces négociations ? Vous pensez que c'est nécessaire, que ce serait une façon d'arrêter la guerre ?

Les négociations, c'est évidemment toujours mieux que la guerre et la destruction des infrastructures du pays.

« La reprise de discussions diplomatiques et techniques est le seul moyen d'obtenir l'objectif que nous recherchons tous », a dit ce dimanche soir Emmanuel Macron. Vous comprenez cette position du président français ?

Oui ! C'est la solution que l'on préconise tous mais encore faut-il que le régime iranien ait la volonté de reconnaître la réalité actuelle.

Et vous pensez que le régime iranien n'a pas cette volonté de reconnaître la réalité telle qu'elle est aujourd'hui ?

Tout ce que je peux dire c'est que j'espère que ce régime changera d'attitude. Comme je le disais, cela fait 46 ans qu'il déclare qu'il souhaite la destruction d'Israël. Et le comble c'est qu'en 46 ans, ils n'ont jamais prédit cette guerre. Ils n'ont même pas construit des abris pour le peuple iranien. Quand les Iraniens cherchent à fuir les bombardements, ils n'ont nulle part où aller. On leur dit d'aller dans les mosquées et dans les stations de métro. Quelle différence entre une mosquée et leur propre maison ? Et les métros sont fermés la nuit. Ils n'ont même pas eu la présence d'esprit de construire des abris pour les Iraniens.

Quel est votre espoir pour les prochains jours, pour les prochaines semaines ?

Mon espoir, c'est que toutes les infrastructures en Iran ne soient pas détruites. Et que les civils israéliens et iraniens ne soient pas tués.

Votre espoir, c'est donc la paix. Et la suite pour votre pays, la démocratie ?

Exactement ! Si la démocratie n'advient pas et que ce régime reste en place après la fin de la guerre, il ne fera que poursuivre la même démarche et la même répression.

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