Avec Astérix, le scénariste Fabcaro se sent «comme un gamin à qui on donne des jouets de luxe»
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Le scénariste Fabrice Caro, alias Fabcaro, et le dessinateur Didier Conrad sont les invités de RFI vendredi 24 octobre, à l'occasion de la sortie du 41e album d'Astérix, Astérix en Lusitanie. Ses auteurs parlent de leur travail et du phénomène qui représentent toujours les aventures du petit Gaulois : Astérix reste l'album de BD française le plus vendu dans le monde.
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RFI : Aujourd'hui c'est le 41e album, le 25e voyage d'Astérix et Obélix, les voici donc en Lusitanie. La première question, elle est très bête, Fabcaro, pourquoi le Portugal ?
Fabcaro : C'est dans une espèce de tradition d'alternance entre album village, album voyage, quoi qu'encore on n'est pas obligé de le respecter, mais moi je j'aime bien l'idée de respecter ce truc-là. Donc il fallait les faire partir en voyage. On a fait la liste des endroits où ils se sont déjà rendus.
Il y a une quinzaine de pays déjà.
Fabcaro : Mine de rien, ils commencent à avoir bien bougé. Donc le champ des possibles se réduit peu à peu. Mais je me suis aperçu qu'ils n'étaient jamais allés au Portugal. Et en plus, d'un point de vue logistique, ça me semble tout à fait crédible parce que ce n'est pas très loin de la Gaule, de la Bretagne. Donc j'ai proposé l'idée à l'éditeur qui m'a dit "ça fait, ça fait pas mal de temps que cette idée tournait, personne ne voulait vraiment s'y coller. Si tu te le sens, vas-y". Voilà, c'est parti comme ça.
Quand on dit le Portugal, faut réfléchir à des images, faut aller sur place ? Qu'est-ce qu'il faut faire quand on est le dessinateur, Didier Conrad ?
Didier Conrad : Disons que c'est bien quand on connaît un peu. J'y étais déjà allé, j'avais déjà trempé mes pieds dans l'Atlantique du côté du Portugal, donc c'était quelque chose que j'avais vu, que j'avais ressenti. Comme c’était bien différent de l’Espagne, que je connais mieux, j’ai tout de suite trouvé que c’était une bonne idée. Ça m’a bien plus. Et puis voilà, après il faut bosser.
Il y a beaucoup de plaisir, j'imagine, à le faire, mais c'est un vrai boulot d'écrire, d'imaginer un Astérix ?
Fabcaro : Oui, alors c'est du boulot, c’est un boulot passion. J'ai pas l'impression de travailler -je ne devrais pas le dire – mais oui c’est du boulot, surtout que c’est du récit long. Donc il faut anticiper la structure, il faut avoir une idée de l’histoire, il faut trouver des gags, il faut respecter une espèce de cahier des charges tacites. C’est un gros boulot, c’est sûr.
Parce que c'est très codifié, un Astérix ? Didier Conrad, vous qui êtes là depuis plus longtemps que Fabcaro, dont c'est le 2e album en tant que scénariste, vous c'est le 7e. Et donc il y a des passages obligés en quelque sorte ?
Didier Conrad : Oui, il y a des passages obligés, puis aussi le lecteur attend des choses. Donc dès qu'il y a quelque chose qui s'installe et que le lecteur aime bien, il aime bien retrouver ça dans les albums qui suivent. Donc même les nouvelles idées qu'on amène suscitent une continuité. Si vous voulez, c’est pas vraiment un album normal. C’est un album de comédie, donc c’est pas la structure d’une histoire dramatique. C’est vraiment basé sur le gag, donc tous ces passages obligés peuvent être des nouveaux gags. Donc il y a une dynamique.
Oui, parce que les romains se prennent des baffes, mais il ne faut pas que ce soit la même bagarre que la dernière fois.
Didier Conrad : C'est ça. Donc il faut trouver des variations sur un peu tout. C'est un peu comme du jazz, c'est des variations sur des thèmes que les gens aiment beaucoup.
Alors on ne va pas raconter l'histoire, on va juste parler du méchant de service Pirespès. Vous m'en parlez Fabcaro, de Pirespès?
Fabcaro : C'est un traître en fait plutôt. Traître de père en fils, un héritier de traîtrise. En fait il y a une figure très présente dans le peuple lusitanien, c'est Viriate, c'est un petit peu leur Vercingétorix à eux, qui a été trahi à l'époque. D'ailleurs c'était un grand traumatisme pour les Portugais. Et donc j'imagine que ce Pirespès pouvait être un descendant des traîtres de Viriate. Donc c'est un lusitanien qui lorgne plutôt du côté de Rome, qui a envie de pouvoir. C'est un méchant plus fourbe, plus traître que méchant je dirais, mais c'est un personnage un petit peu. Didier l'a bien rendu par son physique, il a ce truc là très fourbe.
Didier Conrad : J'avais donné deux ou trois possibilités et ils ont choisi celui qui avait l'air le plus vicieux et le plus tordu.
Le phénomène Astérix, c'est quelque chose d'énorme. C'est la bande dessinée française la plus lue au monde. 400 millions d'albums vendus depuis la création en 1959. Cet album-là, il est tiré à 5 millions d'exemplaires, publié simultanément en 19 langues et dialectes. Est-ce qu'on y pense ? Ou on se dit “non, il faut que je fasse une histoire, j'oublie la grosse machine que c'est” ?
Fabcaro : Pendant la phase de création, il ne faut surtout pas y penser, sinon on serait tétanisés. On se met sous les draps et on ne sort plus. Pendant la phase de création, je n'y pense pas du tout. Je suis vraiment dans le jeu. J'essaie de m'amuser, trouver une bonne histoire. Dès que j'ai un point de départ qui m'amuse, c'est parti, je me mets dans ma bulle de petit auteur régressif comme ça et j'avance, mais sans penser à tout ça. Et c'est quand j'ai fini, quand l'album sort et c'est aujourd'hui, là c'est les jours à venir où là la pression commence à monter, c'est là où on se dit “Ah mais oui ça va être lu en fait ce truc-là”. Donc là ça devient concret, on commence à sentir un petit peu la pression. Mais pendant la phase de création ça va, j'arrive à me cloisonner.
Et Didier Conrad pareil ?
Didier Conrad : C'est quand même très abstrait. Ce volume de vente, ça veut pas dire grand-chose pour moi. Pour moi c’est une grosse vente, oui, d’accord mais c'est plutôt l'accueil des gens qui est étonnant, c'est plutôt le fait que, automatiquement, ça intéresse tout le monde. Vous dites Astérix et aussitôt les gens sourient, ils changent au niveau de leur personnalité, c'est autre chose qui parle. C'est ça qui est étonnant.
Comment vous expliquez ça justement, ce succès si long ?
Didier Conrad : La théorie qu'on a trouvée, c'était que en fait notre antiquité, notre origine, on n'a pas vraiment d'image claire de ça, et pour tout le monde en Europe, c'est comme ça. Et Astérix, en fait, remplit ce vide. Et ça le remplit de manière confortable, agréable, amusante, plaisante. On a envie de d'une origine de cette nature et donc vu que ça remplit l'espace après et qu'on est consentant - si on peut dire - après, ça peut plus partir. Je crois que c'est pour ça. Enfin, c’est une théorie.
Fabcaro : L'Antiquité peut pas vieillir puisque de toute façon c'est quelque chose de très abstrait. Et donc sous couvert d'Antiquité, sous déguisement d'Antiquité, on parle de choses très contemporaines. En fait, chaque Astérix c'est une photographie de l'époque à laquelle il sort. Donc voilà, ça suit l'époque et, comme c'est sous forme d'Antiquité qui ne peut pas vieillir, ça fonctionne.
Didier Conrad : C’est intemporel.
On a un couple de vieux gaulois réfractaires dans l'affaire qui nous parle de la réforme des retraites au passage, qui sont pas contents, des vrais Gaulois.
Fabcaro : Comme c'est un album voyage, la figure du français en tourisme à l'étranger me fascine. Je trouve qu'on est horrible quand on fait du tourisme. Je dis “on” parce que je m’inclus ,comme ça je peux m'égratigner en premier. Donc j'avais envie de profiter du voyage pour caser deux Gaulois, deux vieux Gaulois en vacances, qui font du tourisme. Il y a Astérix et Obélix, certes, mais eux ils doivent être exemplaires, ils peuvent pas représenter les Français moyens qui râlent. Donc voilà, j’ai pris un couple de retraités, que je trouve très attachants, c’est fait avec tendresse, mais pour montrer ces Français à l'étranger qui râlent contre tout. Ils râlent parce qu'on ne parle pas français à l'étranger, parce que c'est toujours mieux à la maison.
Et Obélix n'est pas très fan de la gastronomie lusitanienne au passage. Ça manque de sangliers.
Fabcaro : Oui, il se retrouve au pays de la morue et pour lui c'est pas super.
Qu’est-ce qui est le plus agréable pour un dessinateur, Didier Conrad ? Qu’est-ce qui fait qu’un album voyage est sympa à faire ?
Didier Conrad : Un album voyage c’est sympa parce qu’il y a plein d’éléments nouveaux, même si ça doit rester dans le cadre d’Astérix et le design d’ensemble. Il y a beaucoup plus de possibilités de faire de la création. C’est plus stimulant. Mais qu’Astérix soit en voyage ou au village, il y a toujours plein de trucs à faire. C’est toujours sur l’expressivité, la vie des personnages, le côté rigolo, les bagarres... Il faut renouveler. C’est toujours intéressant à tous les albums.
Ce qui peut interpeller, c’est qu’il y en a un qui écrit le scénario d’un coté en France et l’autre qui dessine aux Etats-Unis. C’est comme ça que ça se passe, vous travaillez à distance. Comment ça fonctionne ?
Didier Conrad : J’ai toujours travaillé comme ça, depuis le temps. J’ai travaillé à Marseille pour des gens de Paris ou Bruxelles, puis de Los Angeles pour Bruxelles. Ça ne m’a jamais posé de problème.
Fabcaro : Je scénarise sous forme de storyboard, avec des dessins un peu mal fait histoire de placer les textes. Il y a quelques aller-retours avec l’éditeur, on discute avec lui pour ajuster. Et quand on a une dizaine de pages dont on est à peu près contents, j’envoie à Didier qui fait des vrais dessins derrière. Mes storyboards n’ont pas valeur de mise en scène, c’est vraiment pour placer le texte, après je lui dis fais ce que tu veux avec ça.
Et vous faites ce que vous voulez Didier Conrad ?
Didier Conrad : Oui, enfin il y a un modèle à suivre. Il faut que ce soit une narration, une mise en scène extrêmement lisible.
En tant qu’auteur, vous avez un préféré entre Astérix et Obélix ?
Fabcaro : J’aime beaucoup Obélix. Les aventures d’Astérix, c’est de l’aventure et de la comédie. Le côté aventure est plutôt porté par Astérix et le côté comédie par Obélix. Obélix, c’est un enfant, c’est un outil de jeu incroyable.
Didier Conrad : Moi, je me retrouve dans trois personnages, Astérix, Obélix et Panoramix. Panoramix pour l’âge, Obélix pour le côté amoureux de la vie et Astérix parce qu’il est un peu décalé par rapport à tout, il voit tout avec distance. Je suis un peu comme ça depuis petit.
On disait tout à l’heure que c’est du boulot, mais c’est beaucoup de plaisir à imaginer, écrire et dessiner ?
Fabcaro : On nous donne des jouets de luxe. Goscinny et Uderzo ont créé des personnages qui sont des personnages de géniaux, des personnages de fiction géniaux. Moi je suis comme un enfant à qui on donnerait des playmobils, à qui on donnerait des jouets de luxe et à qui on dit : “vas-y maintenant amuse toi”. C'est génial. Quand on a ces personnages, quand on a ce cadre, j’allais dire qu’il y a presque plus rien à faire, enfin si, il faut bosser un peu, mais je veux dire la base est là.
Fabcaro, c'est votre deuxième. Est-ce que vous signez pour le troisième déjà ?
Fabcaro : Ça se fait au coup par coup, donc je ne sais jamais ce qui va se passer après.
Et l'envie ?
Fabcaro : L'envie, oui. Après je sais pas si Jean-Yves [Jean-Yves Ferri, le précédent scénariste d'Astérix] aura envie de revenir.. Donc je lorgne de son côté, s’il a envie de revenir, voilà. Mais j’ai envie de lui dire : repose-toi, je continue (Rires). Blague à part, je me suis vraiment amusé, si ça continue je serais ravi mais je ne sais pas du tout.
Et Didier Conrad, pas de lassitude non plus ?
Didier Conrad : Non, pas du tout. Pour moi aussi, c'est au coup à coup, à chaque bouquin, je me dis ça sera sans doute le dernier. Et puis bon, on peut empiler, parfait, je suis partant.
Une idée du prochain ? Non, vous avez pas le droit pour l'instant d'y penser puisque vous ne savez même pas si c'est vous qui serez aux commandes.
Fabcaro : Ouais mais malgré tout, mon naturel stakhanoviste reprend le dessus, j'ai quelques idées au cas où qui traînent.
Didier Conrad aussi ?
Didier Conrad : Ah moi j'ai pas les idées. Non moi je dessine, c’est tout. J’attends qu'il ait son idée. C'est lui qui conduit en fait, oui moi je suis le copilote. Je lui dis non, pas par là, freine.
Et une autre idée de voyage ? Vous êtes sur RFI, on nous écoute un peu partout dans le monde entier.
Fabcaro : Hier, on se faisait un petit brainstorming et on se disait “tiens, qu’est-ce qui reste ?” Et on s’est fait un petite liste. Mine de rien, ça se réduit. Si on veut vraiment être pertinent, des destinations avec des clichés intéressants, qui soient pas trop trop loin, qui soient concrètes , peu à peu ça se réduit. On a eu quelques pistes pour s’amuser comme ça.
Didier Conrad : Oui, on en a quelques unes, mais c’est vrai que c’est pas infini. Il va falloir repasser par certains endroits à un moment parce qu’on aura tout fait.
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