John Bolton, ex-conseiller de Trump: lâcher l’Ukraine serait «une grave erreur pour les États-Unis»
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Il a été l’un des architectes de la pensée de Trump lors de son premier mandat avant de couper les ponts. John Bolton, l’ancien conseiller à la Sécurité nationale (2018-2019), est le grand invité international de RFI, ce jeudi 3 juillet. Il revient sur les grands dossiers internationaux : Ukraine, Iran, guerre à Gaza, et distille des conseils aux dirigeants qui souhaiteraient s'attirer les bonnes grâces du président américain.

RFI : L'administration Trump a annoncé avoir cessé de livrer certaines armes à Kiev. Est-ce que les États-Unis sont en train de lâcher l’Ukraine ?
John Bolton : Je ne vois pas encore les choses de cette manière. Cette décision semble avoir été prise par un fonctionnaire du ministère de la Défense qui est bien connu pour son isolationnisme et qui s'oppose depuis de nombreuses années à toute forme d'aide à l'Ukraine. Je pense que cette annonce suscitera beaucoup d'opposition au Congrès, où le mouvement en faveur d’un soutien militaire à l’Ukraine est toujours très important. Donc, je ne pense pas qu'il s'agisse d'une décision définitive pour l'instant. Il se peut que Trump en arrive là, mais je ne pense pas que l'on puisse en être sûr à ce stade.
Est-ce que cette décision, si elle est confirmée, est dans l’intérêt des États-Unis ?
Je pense que ce n'est certainement pas dans l'intérêt de l'Amérique. L'argument est que continuer à expédier les munitions promises ferait baisser nos stocks en dessous d'un niveau critique pour notre sécurité. Et ce, en raison de l'utilisation intensive d’obus, en particulier en Ukraine. J'ai du mal à croire que nos réserves soient si basses. Je pense donc qu'il s'agit d'une façon détournée de réduire l'implication des États-Unis et c'est une erreur. Je pense que l'instinct de Trump pourrait le pousser à agir de la sorte. Mais dans les circonstances actuelles, je pense qu'il peut encore être convaincu de poursuivre cette assistance. C'est pourquoi j'espère que ce n'est pas définitif. Si c'est le cas, c’est une grave erreur pour les États-Unis.
Est-ce qu’on peut toujours tabler sur une rencontre bientôt entre Donald Trump et Vladimir Poutine ? Que cela changerait-il dans ce dossier ukrainien ?
Je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit de prévu. Je pense que Trump se concentre maintenant sur d'autres choses. Il veut absolument faire adopter une loi sur le budget au Congrès avant la fête de l’Indépendance le vendredi 4 juillet. Et je pense qu'il a compris, au-delà de tout débat, qu'il n'avait pas été en mesure de résoudre la crise russo-ukrainienne en 24 heures, comme il s'y était engagé pendant sa campagne. En réalité, ses efforts en vue d'un règlement négocié en Ukraine se sont soldés par un échec. Il n'y reviendra pas dans un avenir proche, parce qu'il ne voit pas de succès à l’horizon. Comme il est fortement motivé par le désir d'obtenir un prix Nobel de la Paix, il va essayer de prendre en main des dossiers dans lesquels il a plus de chances de réussite qu'en Ukraine.
Est-ce que l’Europe doit s’inquiéter ?
Oui. Je pense que Trump croit depuis longtemps que Vladimir Poutine et lui sont amis. Trump voit les relations internationales à travers le prisme des relations personnelles. Il pense donc que s'il a de bonnes relations personnelles avec Vladimir Poutine, les relations entre les États-Unis et la Russie sont bonnes. C'est évidemment un raccourci assez grossier. Mais son désir d'être ami avec Vladimir Poutine, de montrer qu'il est ami avec Vladimir Poutine, est dans son esprit une partie du problème du soutien américain à l'Ukraine. Mais c'est comme beaucoup d'autres choses dans la tête de Donald Trump. La bataille n'est jamais terminée tant qu'elle ne l'est pas. Je pense donc qu'à ce stade, le sujet reste ouvert à la discussion.
Vous avez longtemps travaillé avec Donald Trump. Vous étiez son conseiller national à la sécurité en 2018 et 2019. Aujourd’hui, les dirigeants européens ne savent pas vraiment sur quel pied danser, comment manœuvrer avec lui. Quel conseil leur donneriez-vous ?
Comme je l'ai dit, il considère les relations personnelles comme un substitut aux relations d'État à État. Certains dirigeants européens ont pu établir de bonnes relations avec lui. D'autres n'ont pas eu autant de succès. La flatterie fonctionne toujours avec Donald Trump. Mais je pense que le dirigeant étranger qui a le mieux réussi à établir une relation personnelle au cours du premier mandat de Trump est le Premier ministre japonais Shinzo Abe. Il l’a fait en lui parlant très souvent, ou en le laissant beaucoup parler lors de leurs conversations, en n'essayant pas de le persuader de faire quoi que ce soit, jusqu'à ce qu'il en ait vraiment besoin, par exemple en ce qui concerne le programme nucléaire nord-coréen. Simplement jouer au golf avec Trump, lui parler au téléphone, venir lui rendre visite : c'est le genre de choses qui ont très bien fonctionné. Je pense que le Britannique Boris Johnson a eu, lui aussi, une excellente relation avec Trump au cours de son premier mandat et il a fait à peu près la même chose.
La semaine dernière, les dirigeants de l’OTAN se sont engagés à augmenter leur budget de défense à 5 % de leur PIB. Trump a gagné ?
Cela reste à voir. Vous savez, le chiffre réel est de 3,5 % pour les dépenses purement militaires. Les 1,5 % restants sont beaucoup plus flous. Les Italiens, d'après ce que j'ai lu dans la presse, pensent qu'ils peuvent maintenant construire leur pont entre la Sicile et l'Italie et appeler cela de l'infrastructure, ce qui ferait partie de cet objectif de 1,5 %. La réalité est que dans un monde très difficile, pas seulement en Europe, mais au Moyen-Orient, en Asie face à la Chine, tous les pays occidentaux – tous les pays démocratiques industrialisés -, doivent avoir un niveau de dépenses de défense considérablement plus élevé. 5 % est un objectif réaliste pour tout le monde. J'espère que les gens le prendront au sérieux. C'est un monde dangereux et un grand État providence ne vous protège pas d’une agression.
Autre tournant majeur pour la politique étrangère américaine : des frappes sur l’Iran, sur les installations nucléaires, suivi d’un cessez-le-feu signé entre Israël et Téhéran. Le voyez-vous comme un succès pour les États-Unis ?
Je pense que l'attaque contre le programme nucléaire iranien a été un succès partiel. Je ne pense pas qu'il y ait encore de preuve que les Iraniens aient abandonné leurs espoirs de se doter de l’arme nucléaire. Je pense donc qu'entre Israël et les États-Unis, il est probable qu'une action militaire supplémentaire soit nécessaire. Je pense qu'il est important de comprendre que la menace nucléaire iranienne n'est pas un problème israélien. C'est un problème mondial. Les Iraniens ont eu de multiples occasions de renoncer à leur quête d'armes nucléaires, mais ils ont choisi de continuer. La question qu'il faut se poser est la suivante : quel est votre degré de tolérance sur les armes nucléaires que peut posséder un régime comme l'Iran ? Ma réponse, c'est zéro.
Vous avez toujours plaidé pour une intervention américaine en Iran pendant le premier mandat de Donald Trump, lorsque vous étiez son proche conseiller. Il a pris la bonne décision ?
Je pense qu'il est allé dans la bonne direction, mais je pense que cela ne reflète pas nécessairement un changement radical de sa politique. Compte tenu de la nature du régime de Téhéran, il n'y a aucune perspective de paix et de stabilité au Moyen-Orient à long terme tant qu’il ne sera pas dégagé. Je pense que le régime est très impopulaire en Iran aujourd'hui. Je pense que le peuple est mécontent et que la situation est plus instable en Iran aujourd'hui qu'elle n’a pu l’être depuis la révolution de 1979.
Le régime iranien est pourtant toujours fermement en place. Est-ce que les États-Unis ont encore un rôle à jouer en Iran ? Quelle est la prochaine étape ?
Je ne pense pas que cela nécessite un effort significatif de la part des États-Unis. Personne ne parle d'une intervention militaire directe ou de troupes au sol. Je pense que l'opposition iranienne pourrait bénéficier d'un certain soutien. Elle l'a demandé. Elle aimerait bénéficier d'une aide en matière de communication. Elle a besoin de ressources pour se coordonner dans le pays et former une vraie résistance à l'échelle nationale.
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu est à Washington lundi. Est-ce le moment pour l’administration Trump de faire pression pour un cessez-le-feu à Gaza ?
C'est ce que fait Trump. Il semble que les Israéliens aient donné leur accord de principe. Je ne pense pas que le Hamas ait encore répondu. Mais c'est leur habitude. Pour consentir à la libération d'un plus grand nombre d'otages, le Hamas veut quelque chose de plus qu'un cessez-le-feu. Il veut la fin du conflit, ce qu'Israël n'a jamais voulu accepter. Même s'il y a un cessez-le-feu, même si certains des otages sont libérés — les rares otages qui sont encore en vie -, il n'est pas certain que l'on aboutisse à quelque chose de plus qu'un cessez-le-feu temporaire.
Depuis votre départ de la Maison Blanche, vous avez été un farouche critique de la méthode Trump. Finalement, cette méthode ne permet-elle pas d’obtenir des résultats plus rapides ?
Je pense qu’une partie du problème tient surtout à la courte durée d'attention de Trump. Il n'a pas de grande stratégie de sécurité nationale. Il ne fait pas de politique au sens où l'entendent la plupart des gens et, par conséquent, il ne sait pas faire preuve d’un effort soutenu pour atteindre des objectifs. Je suis manifestement d’accord avec un grand nombre des décisions qu'il prend. Elles se sont avérées très productives. Mais parce qu'il ne procède pas d'une manière plus traditionnelle, ces succès sont souvent temporaires, non durables, et vous vous retrouvez dans la situation où vous étiez peu de temps auparavant.
Vous avez toujours l'oreille de certaines personnes à la Maison Blanche ?
Je parle à un certain nombre de personnes de l'administration. Je ne m'en vante pas. Je ne vais certainement pas vous donner les noms de ces personnes parce que je ne veux pas qu'elles soient virées ! Trump n'a pas de doctrine, il est entièrement tourné vers le transactionnel, alors beaucoup de personnes dans son administration adoptent une ligne plus proche de celle de l'ancien président Reagan. Et j'essaie de les soutenir.
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