Gaza : le négociateur indépendant israélien Gershon Baskin dévoile les coulisses du cessez-le-feu
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Gershon Baskin, négociateur israélien indépendant, est l'invité de RFI ce 21 octobre. Il a été partie prenante aux discussions qui ont abouti au cessez-le-feu à Gaza. Il raconte les négociations et les méthodes non conventionnelles de l'équipe Trump. Entretien réalisé à Jérusalem par Frédérique Misslin.

Gershon Baskin est un négociateur israélien indépendant. Il a permis la libération en 2011 de Gilad Shalit, ce soldat israélien qui avait été détenu plus de cinq ans par le Hamas.
L'homme de 69 ans a des interlocuteurs au sein du Hamas, notamment Ghazi Hamad, un ancien haut cadre du mouvement islamiste. Les deux hommes ont travaillé ensemble. En décembre 2024, il a eu un premier contact avec Steve Witkoff, l’émissaire américain de Donald Trump pour le Proche-Orient. C'était lors d’une conférence dans un pays du Golfe. À la suite de ce premier échange, Gershon Baskin a maintenu le lien.
« J'ai commencé à écrire régulièrement à Witkoff sur son compte WhatsApp, raconte-t-il. Je lui ai parlé de moi, de mon expérience avec le Hamas, ainsi que des possibilités de parvenir à un cessez-le-feu et sachant qu'il travaillait pour Trump, j'ai critiqué l'administration Biden… Je lui ai envoyé beaucoup d'informations. La plupart du temps, la communication était à sens unique, il en prenait acte. Il disait : "Je suis d'accord", "Je ne pense pas que ce soit une bonne idée". Il m'envoyait un emoji. »
« Il y a environ deux mois, deux mois et demi, poursuit le négociateur, la communication a commencé dans les deux sens et il était vraiment curieux de savoir ce que j'entendais de la part du Hamas. J'ai repris des contacts intensifs avec [le mouvement islamiste], pas seulement avec Ghazi Hamad, mais aussi avec d'autres membres de la direction - je ne veux pas donner de noms. Et puis il y avait mes messages au Hamas, ils avaient du mal à comprendre comment cette guerre allait se terminer. À chaque idée qui leur était suggérée, leur réponse était qu'Israël n'accepterait pas. Et j'ai dû les convaincre qu'Israël ne faisait pas partie des négociations. Ils ne négociaient pas avec Israël. C'est ce que je n'ai cessé de répéter au Hamas : "Israël va rejeter toutes les idées visant à mettre fin à la guerre. Netanyahu refuse de mettre fin à la guerre. Il ne veut pas mettre fin à la guerre. Oubliez ça. Vous ne négociez pas avec Israël. Vous devez imaginer que vous êtes assis dans une pièce, face à Donald Trump. Si vous arrivez à convaincre Donald Trump que vous voulez mettre fin à la guerre, Donald Trump fera intervenir les Israéliens. C'est ainsi que cela se passera." C'était mon message à leur intention. Et mon message à Witkoff a toujours été que le président est la seule personne qui peut mettre fin à la guerre. Personne d'autre. »
Gershon Baskin a une conviction et un atout. Sa conviction, depuis 47 ans, c'est qu'il croit que la paix est possible. Son atout, c'est qu'il connaît très bien les habitudes de négociations des uns et des autres. Au mois de septembre, il sent que les choses bougent.
« Witkoff a commencé à comprendre qu'un accord était possible, reprend-il, car le Hamas disait être prêt à libérer tous les otages avant le retrait complet d'Israël de Gaza. Nous avons donc commencé à travailler sérieusement sur un accord, vers le 4 ou 5 septembre. C'est à peu près à cette époque que nous avons rédigé le projet. Ghazi Hamad a rédigé la première version du document, et nous avons discuté. Je l'ai envoyé à Witkoff, qui l'a commenté. [Le texte] est retourné à Ghazi, ça a fait des allers-retours pendant environ deux jours, quelque chose comme ça. Je l'ai envoyé à Witkoff et il a dit : "Si le Hamas accepte cela, nous pouvons conclure un accord". »
Ghazi Hamad et Gershon Baskin finalisent un document en huit points, qui est transmis aux Qatariens pour être discuté à Doha. Mais Ghazi Hamad reprend contact avec le négociateur israélien : quelque chose ne va pas, c’est un document en cinq points qui a été présenté au mouvement islamiste.
Les cinq points des israéliens :
1 - Désarmement du Hamas.
2 - Retour de tous les otages vivants et morts.
3 - Démilitarisation de la Bande de Gaza.
4 - Israël garde le contrôle de la bande de Gaza.
5 - Ni le Hamas ni l’autorité palestinienne ne prennent part à la future administration de l’enclave.
C'est là que le mouvement islamiste rappelle Gershon Baskin : « Nous ne pouvons pas signer ça, ce n’est pas le document en huit points qui a été élaboré. »
Gershon Baskin raconte les échanges par messages WhatsApp avec Steve Witkoff l’envoyé spécial américain, au sujet du document. C’était au moment du tournoi de tennis de l’US open : « J'ai contacté Witkoff, je regardais CNN. Et Witkoff était au tournoi de tennis, assis à côté du président, et je le regardais sur CNN. Je le voyais à la télévision en train de répondre à mes messages WhatsApp… Et Witkoff me dit : "Dis au Hamas d'accepter les huit points et nous ferons venir les Israéliens."
Et le négociateur de poursuivre : « Le soir, j'ai parlé à Witkoff et je lui ai dit : "Écoute, pour le Hamas, il y a une confusion… Ils ne savent pas ce qui se passe. Il y a deux documents. Il faut leur donner un seul document. Il faut leur dire que c'est le document officiel américain." Et le 8 septembre, vers 22h20, Witkoff m'a appelé et m'a dit : "Les Qatariens sont en réunion avec la délégation du Hamas. Ils leur remettent la dernière version de la proposition américaine. Je ne peux pas vous le donner parce que nous avons peur des fuites, mais il s'agit plus ou moins du document en huit points." »
Gershon Baskin raconte toutes ces négociations au cours desquelles on y croit et puis on n’y croit plus, et pour la suite, le ton de Gershon Baskin devient beaucoup plus grave.
« Le lendemain, le 9 septembre, Israël a tenté de les tuer à Doha. Quand j'ai appris la nouvelle, j'ai bien sûr été choqué. Je n'arrivais pas à y croire. Et bien sûr, la première pensée qui m'est venue à l'esprit est qu'Israël n'aurait pas pu faire cela sans l'accord de Trump. Je me suis demandé : est-ce que j'ai été piégé ? Est-ce qu'ils se sont joués de nous ? J'ai envoyé un message à Ghazi Hamad : "Je pense qu'ils se sont peut-être joués de nous." Ils n'ont bien sûr pas répondu, car leurs téléphones étaient tous coupés à ce moment-là. Et j'ai écrit à Witkoff pour lui demander : "Vous êtes-vous moqués de nous ? Nous avez-vous utilisés ?". Et il m'a répondu que les États-Unis n'avaient "rien à voir avec cela. Le président Trump n'était pas d'accord. Le président Trump condamne cela. Regardez ce qu’il va poster sur son réseau social. Il va publier une condamnation".
« Je ne sais pas si c’est la vérité, continue Gershon Baskin, mais le lendemain, l'un des dirigeants du Hamas m'a contacté sur WhatsApp et m'a dit : "Nous sommes tous en vie. Ils n'ont tué aucun d'entre nous. Les Qatariens nous ont donné pour instruction de ne pas sortir et d'éteindre nos téléphones, donc vous n'aurez pas de nos nouvelles". Je lui ai répondu : "Êtes-vous toujours prêts à négocier la fin de la guerre ?", et il n'a pas répondu. Au bout d'une semaine ou dix jours, Witkoff m'a envoyé un message : "Nous avons un plan. Vous en entendrez parler." Puis Trump a publié le document en 21 points présenté aux pays arabes et musulmans pour qu'ils le soutiennent. À la fin de l'Assemblée générale des Nations unies, Netanyahu a été convoqué dans le Bureau ovale. Trump l'a humilié devant le monde entier en lui tendant un téléphone et en lui demandant d'appeler le Premier ministre qatari pour lui présenter ses excuses. Puis, lorsque la presse a quitté le Bureau ovale, Trump s'est tourné vers Netanyahu et lui a dit : "La guerre est finie, Bibi. Tu vas récupérer tous tes otages. Ils vont tous rentrer chez eux. Mais la guerre est finie et tu vas l'accepter, tu vas accepter le plan en 21 points." Et c'est ce qui s'est passé. Et Trump, dans une diplomatie internationale sans précédent, crée la réalité en la publiant sur Truth Social. C'est désormais réel. C'est officiel. Le président l'a publié. Israël a accepté le plan de Trump pour mettre fin à la guerre et "Bibi" est lié par cet accord. Le Hamas a fait ce qu’il fait toujours, il a dit "oui mais"… Mais Trump a ignoré le "mais" et l'a publié sur Truth Social. Le Hamas a dit oui. »
Ensuite, sur les coulisses des discussions de Charm el-Cheikh, en Égypte, Gershon Baskin fait deux révélations : « Deux choses qui ne s'étaient jamais produites auparavant se sont produites à Charm el-Cheikh. La première, c'est que les Américains, Jared Kushner et Steve Witkoff, ont parlé directement avec la délégation du Hamas. »
« L'autre événement sans précédent, qui a été censuré par toutes les chaînes de télévision, c'est qu'à la fin, la signature initiale du document a eu lieu à 2 heures du matin. Toutes les délégations étaient présentes dans la même pièce. La délégation israélienne et la délégation du Hamas étaient assises face à face dans la même pièce. Bien sûr, les Israéliens l'ont nié. Non, ils ne se sont pas serré la main, à ma connaissance. Mais je ne sais pas, peut-être l'ont-ils fait. La délégation du Hamas comptait quatre personnes : Khalil al Hayya, Zaher Jabarin, Muhammad Darwish, Ghazi Hamad. Sur la vidéo que j’ai vue, il y avait la délégation israélienne, j’ai vu le général Nitzan Alon et Ron Dermer. Leur place autour de la table était juste en face des quatre membres du Hamas qui étaient déjà assis. »
Actuellement, Gershon Baskin est toujours en contact avec Steve Witkoff et aussi avec le Hamas. Le négociateur israélien espère que la trêve va tenir dans la durée.
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