Maroc-Israël: la relation bilatérale est basée «sur des fondamentaux qui sont solides»
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En décembre 2020, le Maroc rétablissait ses relations avec Israël dans le cadre d'accords de coopération connus sous le nom d'« Accords d'Abraham », rapprochement aujourd'hui mis à l'épreuve par la guerre à Gaza et vivement dénoncé par la société civile. Comment les autorités gèrent-elles ces tensions ? Quelles répercussions ont-elles sur l'application de ces accords ? Entretien avec le journaliste Jamal Amiar.

RFI : L’application des Accords d’Abraham a-t-elle été gelée par les autorités marocaines après le déclenchement par Israël de la guerre contre Gaza ?
Jamal Amiar : Non. On ne peut pas dire que ces relations ont été gelées. Ce qu’on peut dire, c’est que maintenant, il y a moins de choses au niveau bilatéral qui se passent au vu de la guerre régionale là-bas entre Israéliens et Palestiniens. Quelques jours encore après l’attaque du 7 octobre et le déclenchement des représailles israéliennes, il y a eu la signature d’accords ici au Maroc entre les ministres marocain et israélien de l’Agriculture. Donc, non, il n’y a pas de gel et s’il se passe des choses au niveau bilatéral, on ne va pas beaucoup en parler vu l’atmosphère de guerre. Cela étant, ce que j’ai pu apprendre au cours de ces dernières semaines, c’est que les choses qui étaient en cours avant le 7 octobre continuent d’être discutées, continuent d’être négociées, notamment tout ce qui est en rapport avec l’économie, les affaires et les investissements.
Donc trois ans après, la communication est beaucoup plus discrète, mais les Accords d’Abraham continuent à être appliqués entre Israël et le Maroc ?
Tout à fait. Ils continuent d’être appliqués bien sûr.
Mais quel bilan peut-on faire justement trois ans après de ce que ces accords ont permis ?
Ces accords en trois ans ont permis une véritable accélération de la coopération bilatérale dans tous les domaines : l’économie, le sécuritaire, le militaire, le touristique, les nouvelles technologies, l’agriculture. Il y a des projets de coopération au niveau de l’industrie militaire, pour la fabrication de drones par exemple. Il y a des investissements dans le tourisme. Il y a des « joint-ventures » au niveau des nouvelles technologies. Il y a des accords d’échanges universitaires très importants entre une douzaine d’universités israéliennes et marocaines, des échanges culturels très importants. La première fois que le grand théâtre Habima de Tel Aviv a joué dans un pays arabe, c’était à Rabat l’an dernier.
Donc, ce qui a changé dans l’application de ces accords depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre, c’est a priori plus de discrétion ?
Oui. On va dire plus de discrétion, un certain attentisme. Mais ces relations sont solides et sont basées sur des fondamentaux qui sont solides.
À quel point l’attaque du Hamas le 7 octobre et la guerre déclarée contre Gaza par Israël ont-elles réveillé la cause palestinienne au Maroc ?
La cause palestinienne au Maroc a toujours été importante dans le sens où, à chaque fois qu’il y a des affrontements sérieux en Cisjordanie ou bien entre les forces israéliennes et le Hamas ou le Jihad islamique, il y a toujours eu des réactions. Il y en a eu bien avant le 7 octobre par exemple en 2023. Il y en a eu en mars avec un fameux communiqué du parti du PJD [parti de la justice et du développement]. Il y a eu régulièrement des rassemblements de protestation contre la normalisation. Mais là, il est vrai que ce qui se passe depuis le 7 octobre est d’une autre dimension. Ça a créé depuis le 7 octobre la tenue de plusieurs manifestations chaque semaine dans de nombreuses villes marocaines, c’est-à-dire qu’il n’y a pas une manifestation par ville par semaine, il y en a deux ou trois. Et il est clair que la cause palestinienne est centrale comme ailleurs. Regardez ce qui se passe aux États-Unis, regardez ce qui se passe à Londres.
Quelles sont les forces sociales et politiques au Maroc qui s’efforcent de tirer profit de cette nouvelle crise israélo-palestinienne ?
Clairement, les islamistes d’abord. Puis le PJD parce qu’il est en chute libre, il a perdu beaucoup de ses députés. Et il a regretté que le Premier ministre du PJD ait été le Premier ministre qui a signé les accords de rétablissement des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël. Puis, Al Adl Wal Ihsane [justice et bienfaisance, mouvement islamiste marocain non reconnu, mais toléré, NDLR] qui essaie aussi de mobiliser là-dessus.
Est-ce qu’elles y parviennent ? Est-ce qu’elles rencontrent un certain écho ?
Oui, elles rencontrent un certain écho. Ce qu’on peut dire, c’est que les manifestations regroupées au début dans les grandes villes comme Rabat ou Casablanca, 150 000 personnes. Cela fait dix semaines que la guerre continue, que les manifestations sont convoquées. Et aujourd’hui, on a des chiffes qui sont beaucoup plus bas.
Au moment de la signature des Accords d’Abraham, les autorités de Rabat envisageaient de mettre en avant les points de jonction, une culture commune judéo-marocaine. Est-ce qui vient de se passer met cette démarche en péril ?
Il y a un risque. Il ne faut pas se le cacher parce que cette guerre raidit les appréciations que l’on peut avoir de l’autre. Donc, oui, l’impact est réel et sur le Maroc, il y a des gens qui réfléchissent déjà à ça parce que, ici, il y a un héritage judéo-musulman qui est très important, qui a été revalorisé depuis une vingtaine d’années d’un patrimoine culturel. Ce sont des atouts qu’il s’agit de ne pas perdre, mais ça va dépendre de la façon dont les choses vont se terminer sur le terrain.
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*Jamal Amiar est l'auteur de l’ouvrage Le Maroc, Israël et les Juifs marocains.
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