«Au Mali, Niger et Burkina, à cause de l’insécurité, les écoles ferment plus qu’elles ne rouvrent»
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Au Sahel, plus de dix millions d’enfants ont besoin d’une aide d’urgence, selon les données publiées en avril par l’Unicef. Le nombre d’enfants actuellement pris en charge pour malnutrition n’a jamais été aussi important depuis 2019. Le Béninois Gilles Fagninou est le directeur régional de l’Unicef pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre. En dépit des annonces des régimes militaires au pouvoir au Mali, Niger et Burkina, il pointe l’expansion de la menace sécuritaire dans ces trois pays et ses conséquences pour l’alimentation et la scolarisation des enfants.

RFI : Selon les dernières données de l’Unicef, le nombre d’enfants souffrants de malnutrition au Sahel ne cesse d’augmenter, les admissions pour « malnutrition aiguë sévère » ont augmenté de 16 % entre 2022 et 2023 et les enfants traités n’ont jamais été aussi nombreux depuis cinq ans.
Gilles Fagninou : C’est vrai que la situation de nutrition et la situation de sécurité alimentaire est pire que cela ne l’était pendant les années précédentes. Surtout au Sahel central…
Mali-Niger-Burkina…
Exactement, Mali-Niger-Burkina. Mais également, il y a ce que nous appelons un « spillover » (débordement - NDLR) vers les pays côtiers, notamment le Bénin, le Togo, le Ghana et la Côte d’Ivoire, où la situation aussi, surtout dans la partie Nord, se dégrade progressivement.
Il y a les problèmes d’alimentation, mais vous pointez aussi, à l’Unicef, des difficultés dans le secteur éducatif…
Oui, depuis les années 1960 et les indépendances, jusqu’à nos jours, l’offre de nombre de places pour les enfants n’a jamais suivi la croissance démographique. Les enfants en dehors de l’école ont été croissants, l’effectif absolu a toujours été croissant. À cela s’ajoutent les conséquences de l’insécurité, parce que l’insécurité est fortement corrélée avec des écoles fermées. Actuellement, dans la région, il y a 12 000 écoles qui sont fermées à cause de la situation d’insécurité.
Cela veut dire qu’au Mali, au Niger, au Burkina-Faso, actuellement, il y a plus d’écoles qui ferment que d’écoles qui rouvrent leurs portes ?
Oui, absolument. Le rythme de fermeture est un peu élevé et les ouvertures d’écoles sont plutôt rares. C’est clair, il faut le dire.
Donc la principale cause, c’est l’expansion de la menace sécuritaire ?
Oui, c’est l’insécurité, globalement. Qu’elle soit jihadiste ou militaire, c’est l’insécurité qui fait que ces écoles ferment.
Pourtant, les régimes en place dans les pays du Sahel central, Mali-Niger-Burkina, ont fait de la sécurisation des pays une priorité. Et les autorités assurent, d’ailleurs, que la menace terroriste se réduit. Est-ce que l’accès humanitaire à l’intérieur de ces pays ne s’améliore pas ?
C’est trop tôt pour tirer des conclusions. Même si on fait l’hypothèse que la situation s’améliore, cela ne veut pas dire que, du jour au lendemain, toutes les écoles s’ouvrent, les enseignants reviennent, les populations reviennent et tout recommence comme c’était avant. Non, ce n’est pas aussi automatique.
Au Mali, la région de Kidal a été reprise en novembre dernier par l’armée malienne aux groupes rebelles qui l’administraient dans le cadre de l’accord de paix de 2012, qui a depuis été rompu. Est-ce que cette « reconquête », selon le terme des autorités de transition, permet des améliorations sur le plan humanitaire, pour l’accès aux populations ?
Comme je l’ai dit tantôt, c’est trop tôt pour le dire. Ce que je voudrais dire ici, c’est l’importance qu’aucun enfant ne soit laissé derrière. Que l’enfant soit dans la capitale ou au milieu de zones de conflits, de l’assister en cas de besoin. C’est cela qui est le plus important.
Et c’est sans doute cela qui est le plus difficile en ce moment ?
C’est extrêmement difficile, mais on est là pour ça. Il faut faire en sorte qu’aucun enfant ne soit abandonné.
Ça, c’est le but…
C’est l’objectif.
Et la situation ?
La situation est telle que vous la connaissez ! Et nous avons mis des moyens en place pour nous assurer que l’éducation alternative devienne une réalité.
C’est quoi l’éducation alternative ?
C’est l’éducation par les nouvelles technologies, par la radio… Donc, ceux qui sont aujourd’hui dans les zones où 12 000 écoles sont fermées ont accès à une forme d’éducation.
Le chiffre de 12 000, c’est dans les trois pays du Sahel ?
Ces 12 000, c’est en Afrique de l’Ouest et du Centre, mais le gros lot est évidemment dans les pays du Sahel. Plus de la moitié se trouve dans les pays du Sahel central.
Après les coups d’État militaires qui ont eu lieu dans ces trois pays, Mali, Niger, Burkina Faso, l’aide humanitaire internationale, française notamment, à destination de ces pays s’est réduite. Quel impact sur le terrain pour vos activités, pour les populations ?
Je ne ciblerai pas nécessairement un pays. Je dirais oui, les crises de l’Afrique de l’Ouest et du Centre et les crises du Sahel sont des crises qui sont oubliées. La géopolitique internationale, on la connaît. L’aide et le soutien, ça va ailleurs. Mais nous pensons que c’est une mauvaise tactique. Il y a des besoins. Sur un budget de 1,9 milliard de dollars, nous n’avons pu rassembler que 500 millions pour l’année 2023.
Pour réaliser les objectifs de l’Unicef dans les pays du Sahel ?
Exactement. Le besoin est énorme et s’élève à, à peu près, 1,9 milliard de dollars.
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