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Sadibou Marong (RSF): «Les journalistes des radios communautaires paient un lourd tribut dans la région du Sahel»

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« Au Sahel, les radios communautaires et leurs journalistes sont en grand danger, il faut les défendre et les soutenir »... C'est l'appel qu'ont lancé, mardi 24 septembre, à la Maison de la Presse de Bamako, au Mali, Reporters sans frontières (RSF) et plus de 500 de ces radios de proximité. Quelles sont les menaces les plus graves contre les radios communautaires ? Que peuvent faire les autorités nationales pour mieux les protéger ? En ligne de Bamako, le directeur du bureau Afrique de RSF, Sadibou Marong, répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Responsable du bureau Afrique de RSF - Dakar le 3 avril 2023.
Responsable du bureau Afrique de RSF - Dakar le 3 avril 2023. © Charlotte Idrac / RFI
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RFI : Vous êtes à Bamako, pourquoi avez-vous lancé hier, à la Maison de la Presse, cet appel en faveur des journalistes et des radios communautaires ?

Sadibou Marong : Depuis leur création dans les années 1990, les radios communautaires sont parties prenantes du dynamisme de la liberté de la presse dans le Sahel. Ces radios, donc, jouent un rôle crucial pour informer et sensibiliser la population. En tant que médias de proximité, elles s'adressent communément aux habitants dans les langues et les formats les mieux adaptés au contexte. Elles sont donc des centaines à mailler les territoires nationaux d'information locale. Or, ces médias de proximité et leurs journalistes paient un lourd tribut dans la région Sahel, en proie à l'instabilité provoquée par les bandes armées et souvent aussi à l'incapacité des forces politiques nationales à garantir leur protection. Et pour nous donc, leur protection physique et aussi économique doivent être des priorités des autorités nationales, mais aussi des autorités régionales et aussi internationales.

Alors concrètement, quelles sont les attaques que ces journalistes des radios communautaires ont subies depuis un an dans tous ces pays ?

C'est une situation sécuritaire difficile. Certaines radios communautaires, notamment celles situées dans les zones à fort enjeux sécuritaires, sont détruites par les groupes armés. D'autres sont occupées par ces mêmes groupes armés qui les utilisent pour leur propagande. Les journalistes des radios communautaires sont empêchés de travailler, souvent obligés de fuir, ou carrément ils sont attaqués. Donc depuis novembre, par exemple, 2023, au moins deux journalistes de la Radio Coton Ansongo ont été enlevés par les groupes armés dans une attaque à Gao.

Ça, c'est au nord du Mali.

Ça c'est au nord du Mali. Et la même attaque aussi a coûté la vie à leur confrère Abdoul Aziz Djibrilla de la radio Naata. Et je signale que ces deux radios sont signataires de l'appel que nous avons lancé à Bamako. Nous sommes aussi toujours, ça c'est depuis au moins quatre ans maintenant, sans nouvelles des journalistes Hamadoun Nialibouly, Moussa M'Bana Dicko, portés disparus en septembre 2020 et avril 2021.

Ça, c'est aussi au nord du Mali…

C’est ça, à Mopti. Au Tchad, le journaliste Idriss Yaya de la Radio Communautaire de Mongo, qui est aussi signataire de l'appel, a été tué par balles en mars de cette année. Il avait souvent été menacé et agressé en raison de sa couverture des fréquents conflits intercommunautaires dans la zone. Et ses assaillants n'ont pas épargné son épouse et leur fils. Mais il y a aussi la volonté des bandes armées de contrôler l'information. Au Burkina Faso, par exemple, nous avons parlé avec des responsables de radios communautaires du Nord, qui nous disent que les groupes armés souvent sont venus pour leur dire de passer des prêches au lieu de l'information par exemple.

Et est-ce que, comme leurs collègues de la capitale de leur pays, ces journalistes des radios communautaires sont obligés de s'autocensurer à l'égard des autorités de leur pays ?

Il y a de plus en plus au Sahel la question de la pression constante, qui fait que pratiquement sortir du cadre et du narratif, imposé par les autorités en place, a son lot de conséquences. On observe dans un pays comme le Burkina Faso par exemple que montrer la situation traversée par le pays peut valoir une audition à un journaliste, une suspension à un média local et même une réquisition pour rejoindre les Volontaires pour la défense de la patrie. Il y a aussi la question des enlèvements des journalistes, qui sont assez récurrents et orchestrés. Et ça, c'est assez nouveau, par des hommes encagoulés. On a vu le cas de quatre journalistes, Serge Atiana, Alain Traoré, Adama Bayala et Kalifara Séré qui sont enlevés et portés disparus depuis juin et juillet. Et ça, c'est au Burkina Faso.

Alors cette semaine, Reporters sans frontières et ces plus de 500 radios communautaires lancent un appel. Quelle est votre priorité dans cet appel ?

Il y en a au moins cinq. Mais l'important, et c'est ce que nous demandons aux autorités politiques nationales, est de lutter contre l'impunité des crimes commis contre les journalistes des radios communautaires, avec l'ouverture d'enquêtes systématiques pour que ces crimes ne restent pas impunis. Nous estimons aussi, avec les radios communautaires signataires, qu'il est important d'agir pour obtenir la libération des journalistes de radios communautaires qui sont kidnappés par les bandes armées.

Alors ça, c'est très important parce qu'il s'agit de la protection physique de nos confrères…

C’est absolument la protection physique de nos confrères, mais surtout aussi la reconnaissance de l'importance des médias de proximité que sont les radios communautaires et leurs acteurs, notamment dans les législations sur les médias et la contribution à la reconstruction des locaux de radio. C'est un appel adressé aux autorités nationales, régionales et internationales.

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