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Attentats du 13-Novembre: «Au Bataclan, je n'arrive pas à croire ce que je vois», se souvient François Molins

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Dix ans après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis, l'ancien procureur de la République de Paris, François Molins, est l'invité de RFI. Il se souvient de cette soirée, de sa sidération face aux attaques terroristes. Il explique aussi que la menace terroriste est toujours présente, mais que la France est mieux armée pour y faire face.

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L'ancien Procureur de la République de Paris, François Molins, est l'invité de RFI le 13 novembre 2025.
L'ancien Procureur de la République de Paris, François Molins, est l'invité de RFI le 13 novembre 2025. © RFI
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RFI : Nous voici dix ans après les attentats qui ont frappé Paris et Saint-Denis, les attaques contre le Stade de France, les terrasses, le Bataclan. Quel souvenir gardez-vous de ce 13 novembre 2015 ?

François Molins : J'ai des souvenirs très forts, très précis. Je me souviens très exactement, en réalité, de tout le déroulement de la soirée. Peut-être pas à la minute près, mais les dix ans passés n'ont absolument pas gommé la mémoire de tout cela, ni d'ailleurs apaisé l'émotion que je peux ressentir toujours.

Rien n'est effacé de cette soirée ?

Non.

Ce 13 novembre 2015 au soir, comment apprenez-vous ce qui se passe au Stade de France puis à Paris ?

Je suis chez moi. À 9 h 25, je reçois un appel du directeur de la police pour l'agglomération parisienne qui m'avise qu'un attentat par explosif a été commis Porte T au Stade de France et qu'a priori, il y a un mort. Je fais ce que je fais chaque fois dans ces cas-là, j'essaie de croiser l'information avec la chef de la section antiterroriste, le directeur général de la sécurité intérieure, Patrick Calvar, qui n'en savent pas beaucoup plus que moi. Au bout de quelques minutes, je pense, cela doit être 21 h 35 à peu près, j'allume mon téléviseur, une chaîne d'information continue. J'ai vu apparaître des bandeaux au bas de l'écran, annonçant des fusillades multiples, avec de nombreux morts, sur les terrasses de café du 11e arrondissement. Là, ça m'a paru évident, je me suis dit : « On y est. Paris est la cible de multi-attentats terroristes. »

Cela, vous le comprenez immédiatement ?

Oui, parce que depuis des mois et des mois, les services de renseignement, que l'on voyait régulièrement, nous avaient avisé de la création d'une cellule des opérations extérieures du groupe de l'EI, qui visait à commettre des attentats dans les pays extérieurs à la Syrie. Ces services nous disaient que la menace d'attentat était vraiment extrêmement élevée.

Donc scènes de fusillades contre les cafés et les restaurants et les terrasses. Vous allez vous rendre d'abord sur les terrasses. Pourquoi y aller ?

J'aurais pu rester chez moi à attendre l'information. Mais l'information, cela a une importance stratégique. Il faut l'avoir le plus vite possible et de la manière la plus précise et complète possible. J'ai estimé que la meilleure façon de me rendre compte de ce que de ce qui se passait, c'était de partir sur la scène de crime.

Vous êtes sur place, sur les terrasses. Que ressentez-vous à ce moment ?

Je suis dans la sidération, qui va aller crescendo, parce que je ne sais pas encore à ce moment ce qui se passe au Bataclan et quelle est l'ampleur des dégâts, le nombre de victimes. Donc, je suis dans la sidération devant tous ces cadavres fauchés sur les terrasses de café, tous ces blessés.

La sidération et c'est alors que vous êtes sur les terrasses que vous apprenez ce qui se passe au Bataclan ?

En allant sur les terrasses, j'apprends qu'il y a aussi une prise d'otages en cours au Bataclan. Mais je n'imagine pas l'ampleur du désastre.

Une fois passé l'assaut, une heure après, vous entrez dans le Bataclan. Là aussi, avec la même idée que lorsque vous vous rendez sur les terrasses, voir la scène de crime ?

C'est encore autre chose. Parce que je n'imaginais pas l'ampleur des dégâts et jamais je n'aurais imaginé qu'il y avait 90 morts dans la fosse de cette salle de spectacle. Jamais je n'aurais imaginé cela. C'est encore de la sidération, mais à la puissance dix. Je n'arrive pas à croire à ce que je vois, en réalité.

Vous avez raconté être entré à trois reprises dans le Bataclan. Vous êtes entré, puis ressorti, puis re-rentré.

Je pense que je n'arrive pas à croire ce que je vois. Je suis dans une forme de déni. Je pense que cela explique effectivement que j'y sois rentré à trois reprises.

Vous gardez une image précise de tout cela comme de toute la soirée ?

Oui. Des corps emmêlés les uns aux autres. L'image de cette dame à la coupe au carré, les cheveux un peu cendrés, dont la tête reposait sur sac à main dans lequel il y avait un téléphone portable qui sonnait, qui sonnait, qui sonnait. Je pense que c'est un élément commun à des tas de situations ce soir-là. Qui renvoie à l'immense inquiétude des gens qui avaient des proches là-bas. Qui cherchaient à avoir des nouvelles. Qui cherchaient à savoir où ils étaient et à les joindre.

Au moment de ces événements, il y a évidemment le professionnel – vous nous décrivez ce que vous faites. Mais comment vous personnellement, humainement, traversez-vous ces moments ?

Dans ce type de situation, je prends toujours quelques minutes sur ce genre de scène pour me recueillir, avoir une pensée pour les victimes et leurs familles.

Vous marquez un temps de pause, en quelque sorte.

Oui, où je sors de ma sphère professionnelle. Je m'accorde quelques instants de recueillement. Et après, je reviens à mon office professionnel parce que j'ai des missions à remplir. J'ai un office professionnel qu'il faut que je respecte, bien sûr. Voilà. Des regrets ? Oui, ces premières heures, la nuit du vendredi au samedi, je pense qu'on aurait pu, dû faire beaucoup mieux en termes de prise en charge des victimes. Puisqu'on a eu des familles qui ont erré des heures et des heures dans Paris à la recherche de proches.

C'était le chaos, c'est ce que vous expliquez.

On a fait ce qu'on a pu et personne ne s'attendait, il faut dire les choses, à une attaque terroriste de cette ampleur. Il faut imaginer dix sites d'attentats, trois sur le Stade de France, six sur les terrasses et une au Bataclan. Je ne connais pas, dans l'histoire du terrorisme, un attentat qui ait une telle ampleur.

Avez-vous des regrets sur la façon dont les choses ont été gérées lors de cette soirée du 13 novembre 2015 ?

Comme je dis toujours, quand on travaille sur le contre-terrorisme, tout attentat est un constat d'échec. Il y a toujours ce sentiment face à un attentat qui a été commis. Peut-être encore plus avec celui-là, même si c'était d'autant plus difficile que les terroristes n'étaient pas chez nous, ayant leur base arrière en Belgique avec toute leur logistique.

Vous diriez que dix ans après, la France est mieux armée pour lutter contre le terrorisme ?

Certainement. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu'elle est à l'abri. Parce que, comme je dis toujours, le risque zéro en matière de terrorisme n'existe pas. La menace est toujours là.

À quoi ressemble-t-elle, cette menace, aujourd'hui ?

Je pense que c'est avant tout une menace inspirée, comme on dit. Avec le risque de voir passer à l'acte, sur un mode individuel ou collectif, des gens qui ont l'esprit infesté et pollué par l'idéologie mortifère du groupe de l'EI et qui, pour certains, sont endurcis. Le danger vient quand même beaucoup des nouveaux radicalisés qui se sont radicalisés à vitesse grand V. Qui ne sont pas forcément suivis par les services de renseignement, donc sont un peu sous les radars et qu'il faut détecter. C'est cela, l'enjeu pour les services, arriver à les détecter avant qu'ils puissent passer à l'acte. Mais il faut croire dans la compétence et dans l'engagement de tous les services qui travaillent là-dessus.

Vous êtes aujourd'hui retraité depuis deux ans, mais vous suivez encore avec beaucoup d'attention toute cette matière, si je puis dire.

Oui, bien-sûr. Et je donne des cours sur le contre-terrorisme, des cours de droit aujourd'hui. Je suis tout cela avec beaucoup d'attention.

Aujourd'hui, comment vous préparez-vous aux commémorations, aux cérémonies d'hommage qui vont se succéder ce jeudi ?

Il y a beaucoup d'émotion, je le disais au début de cet entretien. Il y a beaucoup d'émotion et elle est toujours là.

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