Le monde en questions

Loukachenko, brutal, habile et fragile

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Retour sur l’incroyable détournement de l’avion de Ryanair par un Mig-29 de l’aviation biélorusse, forcé à atterrir à Minsk, et sur l’interpellation d’un jeune opposant au régime d'Alexandre Loukachenko et de sa compagne. Et la question est la suivante : avec cet épisode brutal, quel message envoie le régime Loukachenko à ses opposants et au reste du monde ?

Le président Alexandre Loukachenko devant le Parlement biélorusse le 26 mai 2021.
Le président Alexandre Loukachenko devant le Parlement biélorusse le 26 mai 2021. AP - Sergei Shelega
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Avec ce détournement d’avion et cet enlèvement du jeune opposant Roman Protassevitch, puis son arrestation et ses aveux télévisuels visiblement obtenus sous la contrainte, dans la plus pure tradition stalinienne, le régime autocratique biélorusse signifie clairement à ses opposants qu’ils ne sont plus nulle part en sécurité, même réfugiés dans des pays ou des espaces démocratiques, y compris donc sur le territoire de l’Union européenne, puisque l’appareil de la compagnie irlandaise Ryanair détourné vers Minsk effectuait une liaison entre Athènes et Vilnius. C’est une stratégie de la peur, totalement assumée, et dont l’objectif est clair : faire taire toutes les voix qui, de l’extérieur et via les réseaux sociaux, voudraient continuer la lutte contre un système autocratique, encore plus féroce et répressif que le grand voisin russe.

Il faudra voir si cette stratégie suffit à réduire au silence celles et ceux qui depuis des années – et encore plus depuis l’été dernier, suite à une élection présidentielle dénoncée comme frauduleuse, dénoncent les pratiques autoritaires d’Alexandre Loukachenko.

Car le détournement de l’avion de Ryanair puis l’arrestation de Roman Protassevitch traduisent aussi une crispation, voire une fragilité du régime de Minsk. Toute cette énergie déployée, ce bras d’honneur au droit international, ce scénario consternant et pas crédible un instant, d’une bombe placée dans l’appareil par des activistes du Hamas, tout ça pour arrêter et sans doute maltraiter un jeune homme de 26 ans ? Le pouvoir biélorusse craint donc si fort la parole de cet opposant et de ses dizaines de milliers de partisans ? C’est qu’il se sait fort peu légitime.

D’autant que cette arrestation rocambolesque et scandaleuse à la fois a bien sûr été condamné par la communauté internationale, et notamment par l’Union européenne, qui a réagi avec forces nouvelles sanctions contre Minsk. Du coup, les relations bilatérales sont au plus mal. Et l’Europe joue plus que jamais la carte de l’opposition.

Ce qui a pour conséquence presque mécanique un renforcement des liens entre la Biélorussie et la Russie : le coup de force de Loukachenko place certes Vladimir Poutine dans une situation délicate – à deux semaines du sommet avec Joe Biden censé calmer le jeu entre Moscou et Washington. Mais il en a vu d’autres, et il lui permet aussi, paradoxalement, d’être en position de médiateur entre Minsk et les Occidentaux.

En fait, Alexandre Loukachenko ferait bien de se méfier de ce rôle renforcé de Moscou sur l’avenir de son régime – et le sien. Vladimir Poutine, qui méprise Loukachenko, le défend pour l’instant, faute de mieux – par exemple un parti pro-russe et un leader moins facétieux et moins imprévisible que l’actuel dirigeant biélorusse. Loukachenko, brutal donc, habile oui, mais fragile aussi.

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