La variole du singe, nouvelle source d'infox et de thèses conspirationnistes
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La variole du singe constitue désormais une source de préoccupation pour l’Organisation mondiale de la santé car le nombre de personnes infectées ne cesse d'augmenter : plus de 1000 cas confirmés dans une trentaine de pays. Rien à voir cependant avec la pandémie de Sars Cov 2, car on ne déplore aucun décès, et très peu de cas graves. Pourtant sur les réseaux sociaux, les infox s’accumulent et les théories conspirationnistes convergent vers un même scénario.

La multiplication des cas de variole du singe en dehors des pays où le virus sévit de façon endémique pose question. Dans le doute, les milieux complotistes ont une réponse toute trouvée: la maladie ne serait pas apparue de façon spontanée, mais planifiée. Le narratif est désormais bien rôdé. C’est le récit que l’on a vu circuler sur les sites conspirationnistes et sur les réseaux sociaux lors de la crise sanitaire du Covid-19. L’un comme l’autre virus -peu importe leurs différences- seraient une arme employée par “les élites mondiales” pour manipuler les masses et imposer un régime de contrôle et de restrictions à l’échelle de la planète. Certains allant jusqu’à affirmer que les vaccins contre le Covid 19 seraient à l’origine de cette flambée de variole du singe.
Des arguments fallacieux
Pour faire passer ce message certains soulignent l’utilisation d’un adénovirus du chimpanzé lors de la création d’un vaccin anti-Covid. Le raisonnement qui consiste à relier ce fait à l’émergence des cas de variole du singe est erroné, car il s’agit de deux familles de virus complètement différentes, comme en attestent les spécialistes interrogés par l’Agence France Presse. D’autre part, l'adénovirus utilisé comme vecteur viral dans la vaccination contre le Covid-19 a été modifié pour ne pas contaminer l’organisme vacciné. Enfin, cette forme de variole dite “du singe” porte mal son nom. Certes observée pour la première fois sur un macaque en 1958, elle circule le plus souvent chez les rongeurs.
Les conspirationnistes s’appuient aussi sur le fait qu’une simulation d’attaque terroriste par la variole du singe a été faite il y a un an, utilisant la date fictive de mai 2022. Or, ce type d’exercice de simulation est courant et la coïncidence est tout à fait plausible. L’organisme américain spécialisé dans la prévention des risques qui a fait ce choix (Nuclear threat initiative- NTI), le justifie du fait que les risques posés par la variole du singe étaient à la fois bien réels et bien documentés. Prétendre que ce type d’exercice induit la flambée de cas récemment observée, revient à pratiquer une inversion de la cause et de l’effet.
Les mêmes boucs émissaires
Le fait est que la Fondation Bill et Melinda Gates joue un rôle majeur dans la lutte contre les épidémies mondiales et leur prévention. Ce qui lui vaut d’être devenue au fil du temps une cible favorite des milieux anti-vax, mais aussi de d’une extrême droite ultra-conservatrice, toujours à la recherche du bouc émissaire idéal dans sa croisade contre “la finance mondialiste”, sur fond d’antisémitisme. Le milliardaire américain pro-démocrate s’attire ainsi les foudre des militants les plus radicaux, parmi les pro-Trump, accrochés à une vision individualiste, hyper nationaliste et antiétatique. Pour eux, Bill Gates personnifie l’élite mondialiste et cristallise le rejet des institutions internationales, dont l’Organisation mondiale de la santé, largement financée par sa Fondation. C’est ce que l’on constate sur les sites internet américains de l’ultra droite, dont la célèbre chaîne Infowars qui livre une guerre acharnée à l’information pour imposer sa vision alternative des faits, ultra conservatrice et conspirationniste.
Récits fictifs convergents
Ces infox véhiculées notamment par les partisans de la mouvance radicale QAnon, s’agrègent à des récits élaborés par ailleurs, de façon opportuniste. C’est ainsi que l’on voit circuler - notamment sur les groupes WhatsApp en Afrique - des accusations totalement dénuées de fondement sur de pseudo laboratoires américains situés au Nigeria, suspectés d’avoir artificiellement répandu le virus. L'un des sites propageant cette infox est celui de la Ligue de défense noire américaine. Sa publication - vue par plus de 17 500 internautes, et abondamment relayée sur les grandes plateformes - titre: « Variole du singe en Afrique: la Russie fait une révélation explosive sur quatre laboratoires américains basés au Nigeria. » Les auteurs de cette publication relayent l'infox tout en se montrant lucides face aux objectifs de la propagande russe: « La Russie ne compte pas seulement se limiter à une guerre militaire contre l’Occident. Elle veut aussi gagner la guerre d’information et profite ainsi de la récente apparition de cas de varioles du singe dans le monde pour plonger les Occidentaux, notamment les Etats-Unis dans l’embarras ».
Ces allégations sont alimentées par l’agence Tass et le ministère russe de la défense, comme ce fut le cas pour l'Ukraine. En réalité, il n’y a pas de laboratoires américains dans ces pays, mais une coopération en matière de sécurité sanitaire et de prévention des épidémies et autres zoonoses. Cette coopération s'affiche en toute transparence sur le site du Département d'état américain. Le communiqué officielle daté du 1er mars 2001 précise « Le Nigeria est un partenaire clé des États-Unis dans le cadre du programme de sécurité sanitaire mondiale. Depuis l'exercice 2020, l'USAID a fourni plus de 4 millions de dollars pour soutenir les programmes de renforcement des capacités visant à renforcer la surveillance des zoonoses, les laboratoires d'animaux, la prévention et le contrôle des infections, la prévention de la résistance aux antimicrobiens et la communication des risques. »
Ce que les récits complotistes passent sous silence, au détriment de l'information du public, ce sont les facteurs bien réels qui favorisent les zoonoses, ces maladies transmises à l'homme par des animaux, laissant craindre de nouvelles pandémies. L'intensification des voyages, mais aussi la déforestation et la multiplication des élevages industriels, ainsi que le commerce et la consommation d'animaux sauvages contribuent au déséquilibre des écosystèmes. Ce sont des éléments qui s'ajoutent au dérèglement climatique. Mais comme ces observations incitent à la prise de mesures à l'échelle globale, les milieux conspirationnistes d'inspiration alt-right les ignorent, préférant répandre la thèse d'une vaste machination ourdie dans l'ombre par les puissants de ce monde.
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