Les murs du monde

Chine: les habitants entre quatre murs

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La Chine construit des murs depuis ses plus anciennes dynasties. On connait la grande muraille des empereurs Ming notamment, on connait aussi la grande muraille informatique aujourd’hui. Et de manière générale, les Chinois vivent entre quatre murs, à commencer par ceux qui entourent leur résidence, où la sécurité a été encore renforcée. 

La reconnaissance faciale combinée à la vidéosurveillance généralisée dans les villes en Chine donne au système de notation citoyenne une portée inquiétante.
La reconnaissance faciale combinée à la vidéosurveillance généralisée dans les villes en Chine donne au système de notation citoyenne une portée inquiétante. © REUTERS/Aly Song
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Avec notre correspondant à Pékin, Stéphane Lagarde, et Louise May du bureau de RFI en Chine

Grosse pluie sur l’abri à vélo de cette résidence du nord-ouest de Pékin. L’orage d’été accélère le pas des silhouettes qui passent le portail, têtes rentrées dans les cols. La vitre de plexiglas qui protège les deux roues sert également de refuge à celles et ceux qui ont oublié leur parapluie. Comme dans de nombreux complexes d’habitations, les accès viennent d’être équipés d’un système de reconnaissance faciale. Pour ce jeune cadre qui attend que le ciel se calme, le plus important tient en deux caractères : la sécurité.

 « La sécurité, je me sens en sécurité. Si un complexe résidentiel n’a pas de murs et pas de portes, tout le monde peut entrer ! Et ça ne dérange pas mon quotidien : peu importe que je doive montrer une carte ou mon visage, ce qui compte, c'est que nous ayons un mur solide pour nous protéger », raconte-t-il.

« C’est gênant ce nouveau système »

Des murs pour se protéger, c’est grâce, ou à cause, de ce système des résidences fermées que la politique dite « Zéro Covid », de barrage ultra-stricte au virus, a pu s’appliquer en Chine, avec parfois des portes fermées avec des chaines et même soudées... Une période que tout le monde ici veut oublier, sans pour autant remettre en cause le système, nous dit cette trentenaire : « Je pense que ce nouveau système est très bien. La numérisation des visages est pratique, ça évite d’avoir à glisser son pass. C’était très ennuyeux quand cette porte était fermée pendant le Covid. On devait marcher beaucoup pour sortir. Et quand l’autre porte était aussi fermée, il fallait encore marcher jusqu’à la porte suivante. Je dis cela, mais en temps normal je suis casanière. Je ne vais pas au marché, je me fais livrer sur le palier. Je me sens bien chez moi. »

Rester chez soi et faire venir la marchande de légumes. « C’est gênant ce nouveau système, nous dit cette dernière discrète, mais bon pour l’instant notre camionnette peut passer ». Même refrain chez le cuisiner de la cantine d’à côté. « Moi, je travaille ici depuis 20 ans. Bien sûr que c’était mieux avant, quand on n’avait pas tous ces murs », dit-il.   

Le concept de lotissements résidentiels issus de planifications soviétiques a été introduit en Chine sous Mao en 1956. Mais c’est dans les années 80 que des sociétés de gestion immobilière inspirée par le modèle de Hongkong ont débarqué dans le sud de la Chine. Des murs d’enceintes avec un minimum d’entrées pour gérer au moins cher. Un système généralisé à l’ensemble du pays par un décret du ministère de la Construction en 1994. À l’entrée ouest, cette visiteuse venue de Jilin dans le nord du pays a réussi à se faufiler. « Pour entrer, nous avons suivi des personnes qui avaient une carte d’accès. Ces nouvelles résidences sont plus sûres, c'est mieux que les maisons de village sans murs. Chez nous, depuis le Covid, il n’y a plus qu’une porte d’enceinte qui est ouverte, les autres restent fermées. Mais je préfère avoir une enceinte pour être protégé des cambrioleurs », raconte-t-elle.

« Je ne suis pas rassurée par le scan du visage »

Les alarmes des scooters chantent comme les oiseaux après la pluie, signe que c’est bientôt l’éclaircie. Cette collégienne vient de récupérer un colis avec sa maman : « La porte n’est pas une garantie de sécurité. Parfois quelqu’un tire très fort et ça s’ouvre. Et puis la porte reste ouverte un moment avant de se refermer, donc certaines personnes en profitent pour entrer. Moi, je me souviens, quand j’étais en première année, la porte n’était pas là et je trouvais ça plus pratique. »   

Pour ne pas avoir à emmener sa carte et risquer de l’oublier, certains optent pour l’empreinte visage. La jeune fille est sceptique, la mère aussi. « Le scan du visage est pratique, mais il exige des concessions sur sa vie privée. On m’a demandé tout un tas de données pour m’authentifier. » 

Sur les réseaux sociaux, des vidéos circulent montrant des altercations entre certains habitants et les comités de résidence à propos de la reconnaissance faciale à l’entrée. Pour cette fonctionnaire qui habite dans le complexe, les choses vont un peu vite : « Le verrouillage de l’enceinte avec ce système a démarré cette année. D’autres résidences à Pékin l’ont déjà depuis un moment, on est donc en retard. En même temps, je ne suis pas rassurée par le scan du visage : qui va superviser les personnes à qui l’on confie nos données ? »

Des murs de résidence post-covid à l’étanchéité renforcée. La commission municipale du développement urbain de Pékin aurait demandé à ce que les lotissements locatifs publics soient équipé de la reconnaissance faciale.

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