Soudan et le putsch au prix des libertés acquises pendant la révolution: humiliations sur la place publique [1/4]
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Un an après le coup d'État au Soudan, le premier épisode de notre série Soudan et le putsch au prix des libertés acquises pendant la révolution nous emmène dans les rues de Khartoum : policiers, miliciens ou membres des services de renseignements procèdent régulièrement à des campagnes d’humiliation de la jeunesse sur la place publique.
De notre correspondant à Khartoum,
C'était il y a un an. Le 25 octobre 2021, un coup d’État militaire faisait dérailler la transition politique amorcée en 2019 à la chute d’Omar al-Béchir. Après avoir arrêté tous les représentants civils du gouvernement, le général Abdel Fattah al-Bourhane accaparait le pouvoir, déclarant vouloir « rectifier le cours de la révolution » qui avait mené à la chute du régime islamiste. Un an plus tard, le pays est plongé dans le marasme avec des manifestations hebdomadaires et une économie au bord du gouffre.
Dans ces manifestations contre le pouvoir militaire, de nombreux jeunes portent les cheveux longs. C’est la mode, mais aussi le signe d'une génération qui change, plus rebelle vis-à-vis des traditions. Certains arborent des coupes afro, d’autres des dreadlocks.
Les Rastas sont d’ailleurs devenus un emblème de la résistance, explique Wad el-Sheikh : « Quand tu vis sous un régime militaire, tous les moyens de résistance sont bons. Se faire pousser les cheveux, pour les jeunes c’est une manière de refuser la conception du monde des militaires. La société considère ceux qui se font pousser les cheveux comme des drogués ou des dépravés. Moi, je veux briser ce stéréotype : je ne consomme rien de particulier, mais je décide d’avoir les cheveux longs. C’est ma liberté personnelle en fin de compte. »
Mais cette liberté n’est pas du goût des autorités. À des check-points ou à des arrêts de bus, des policiers ou des soldats arrêtent de jeunes Soudanais pour les tondre à même le trottoir. Ils sont armés de ciseaux, rasoirs, couteaux et parfois même de bouts de verre. Ces opérations sont totalement arbitraires.
« Celui-là on va le tondre ! »
Waddah, étudiant en architecture, ne s’intéresse pas à la politique. Il rentrait simplement chez lui après la fac. « Ce jour-là, je marchais normalement. Mes cheveux étaient longs, ça faisait deux ans que je ne les coupais plus. Un soldat m’a dit : "Hey toi le chevelu ! T’es un artiste ?" Il se moquait de moi. D’un coup, il m’a attrapé le bras et a appelé d’autres hommes en uniforme. Il a dit : "Celui-là, on va le tondre !". Il y avait des policiers, des miliciens, et des hommes en civil. Je me suis débattu, mais ils m’ont tabassé et mis au sol. Un des soldats s’est muni d’une lame de rasoir et a commencé à me taillader le crâne. »
À trois ans d’intervalle, Ahmed a été tondu deux fois. La première en janvier 2019 sous le règne d’el-Bachir. Des soldats lui ont creusé un sillon en plein milieu de ses longues dreadlocks, avant de l’emprisonner pendant deux mois. La seconde fois, c’était en mai dernier, suite au coup d’État militaire. Un véhicule chargé de miliciens lui fonce dessus et le renverse. Il tombe, le crâne en sang.
« Quand ils m’ont ramassé, j’étais entre la vie et la mort, raconte Ahmed. J’ai repris connaissance dans le centre de police. Ils voulaient me transférer à la prison, mais j’avais perdu tellement de sang qu’ils ont eu peur que je crève entre leurs mains. Avant de me relâcher, l’un d’eux a dit : "Attends, on ne le libère pas comme ça, on va le corriger”. Deux personnes m’ont attaché les bras dans le dos et ils m’ont coupé les cheveux au rasoir. La mousse se mélangeait au sang. Ensuite, ils m’ont chargé dans un pick-up et m’ont balancé dans un terrain vague, laissé pour mort. Des gens m’ont trouvé dans les poubelles. J’ai l’impression d’avoir été violé ce jour-là. Dans mon identité. »
Ces campagnes d’humiliations ne suffisent pas à intimider les manifestants qui retournent chaque semaine dans les rues. La chute d’el-Béchir avait ouvert une fenêtre de liberté, ils sont bien déterminés à ne pas la laisser se refermer.
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