Reportage Afrique

Soudan: un an après le coup d’État, les femmes soudanaises craignent pour leurs droits [2/4]

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Un an après le coup d’État, le deuxième épisode de notre série Soudan et le putsch au prix des libertés acquises pendant la révolution s’intéresse au sort des femmes du pays. Elles étaient en première ligne il y a quatre ans pour faire tomber Omar al-Béchir. Aujourd’hui, elles craignent d’être les premières à payer le prix d’un retour en arrière.

Des femmes participent aux débats organisés par l'association "Aide personnelle". "Cinq mères du quartier ont obtenu leur baccalauréat cette année", se félicite Asmaha qui anime les débats. A Umbada, banlieue de Khartoum, le 17 octobre 2022.
Des femmes participent aux débats organisés par l'association "Aide personnelle". "Cinq mères du quartier ont obtenu leur baccalauréat cette année", se félicite Asmaha qui anime les débats. A Umbada, banlieue de Khartoum, le 17 octobre 2022. © RFI/Eliott Brachet
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De notre correspondant à Khartoum,

C’était il y a un an. Le 25 octobre 2021, un coup d’État militaire faisait dérailler la transition politique amorcée en 2019 à la chute d’Omar al-Béchir. Après avoir arrêté tous les représentants civils du gouvernement, le général Abdel Fattah al-Bourhane accaparait le pouvoir, déclarant vouloir « rectifier le cours de la révolution » qui avait mené à la chute du régime islamiste. Un an plus tard, le pays est plongé dans le marasme avec des manifestations hebdomadaires et une économie au bord du gouffre. La junte renoue avec les pratiques de répression et de contrôle de la population mises en place sous le règne d’al-Béchir.

Dans un petit local associatif du quartier populaire d’Oumbada, à l’ouest de la capitale, une quinzaine de femmes prennent tour à tour la parole, loin des regards des hommes. Samia Abderlrahman dresse un constat amer de la situation, quatre ans après le début de la révolution.

« Nous, les femmes soudanaises, nous sommes toutes descendues dans les rues à partir de décembre 2018. Nous avons permis que la révolution soit victorieuse. On s’est levées pour nos droits après des années d’oppression. Mais le coup d’État a marqué un retour en arrière, dénonce-t-elle. Les femmes avaient obtenu une maigre participation politique, mais nous l’avons à nouveau perdue. Dans les administrations, les putschistes ont fait revenir les partisans du régime islamiste. Le système sécuritaire de Béchir est en train de revenir. Et nous craignons un retour des lois sur l’ordre public. »

« Il y a eu des viols, des agressions, des insultes »

Au mois d’août, les autorités ont annoncé la création d’unités de « police communautaire » qui font craindre le retour de la police des mœurs qui sévissait sous le règne d’al-Béchir. Pendant 30 ans, les « lois relatives à l’ordre public » ont criminalisé les tenues et les pratiques jugées « indécentes », valant à de nombreuses femmes coups de fouet et humiliations.

Pour Afraa, étudiante en économie, ces craintes sont déjà devenues réalité : « Nous toutes, les filles, on ne sent déjà plus en sécurité dans les rues. Des hommes en uniformes sont postés dans leurs pick-up ou leurs voitures blindées. Si une fille passe devant en pantalon, en jean, en t-shirt, même portant son voile, ils peuvent t’embarquer dans leur véhicule, te frapper, te déchirer tes vêtements et te laisser repartir chez toi avec tes vêtements déchiquetés. Sans oublier les violences verbales et sexuelles. Et puis, ils te dépouillent, ils volent ton téléphone et tes affaires. »

Pour de nombreuses militantes féministes, comme Saeeda Yousif, la présidente de cette association, la répression est orchestrée pour dissuader les femmes de participer à la contestation et au débat public. « Il y a eu des viols, des agressions, des insultes. Ils essayent de leur faire sentir que leur place n’est pas dans la rue, explique-t-elle. Malgré toutes ces difficultés, la conscience des femmes s’est éveillée. Nous disons NON à l’oppression des femmes. NON aux lois qui veulent nous faire taire et nous invisibiliser. Plus on lève la tête, plus ils veulent nous enfoncer. C’est notre droit de prendre la parole. C’est notre droit de défendre n’importe quelle cause. »

Avant de clore la réunion, Saeeda Yousif rappelle que depuis neuf mois, une femme accusée d’adultère est détenue dans la prison de Kosti. Elle a été condamnée à mort par lapidation par le tribunal de l’État du Nil Blanc. Si la décision a des chances d’être annulée par la cour d’appel, elle témoigne de la menace permanente qui plane sur les droits des femmes soudanaises.

► À écouter ou lire aussi : Soudan et le putsch au prix des libertés acquises pendant la révolution: humiliations sur la place publique [1/4]

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