Reportage Afrique

Nigeria: les têtes en céramique de l'artiste Prune Nourry, un hommage aux lycéennes de Chibok [1/3]

Publié le :

Premier volet de notre série consacrée au sort des lycéennes de Chibok, ces 276 jeunes filles enlevées par Boko Haram il y a huit ans au Nigeria et dont le sort avait soulevé une vague d'indignation mondiale. Art Twenty One, une prestigieuse galerie d'art contemporain de Lagos, propose l'exposition « Statues Also Breathe » : 108 sculptures de visages pour rappeler les 108 filles toujours manquantes. La plasticienne française Prune Nourry s'est inspirée des fameuses « têtes d'Ife », des sculptures ancestrales Yoruba, pour réaliser ses « têtes de filles de Chibok » en céramique. Une performance a eu lieu pour le lancement de l'exposition en présence de six mamans de filles toujours captives et de six filles libérées.

Les étudiants de l'université Obafemi Awolowo d'île Ife durant la performance avec Prune Nourry.
Les étudiants de l'université Obafemi Awolowo d'île Ife durant la performance avec Prune Nourry. © Moïse Gomis/RFI
Publicité

Outils à la main, Prune Nourry observe d'abord. Fait un va-et-vient entre la photo de Yinkal Yama et la tête sculptée représentant cette « Chibok girl ». Puis, avec humilité et tact, l'artiste prodigue ses conseils à John Alabi, étudiant en première année de céramique.

Comment gratter, façonner, tracer, polir ou nettoyer... Prune Nourry insiste, geste à l'appui : « Ce qu'on veut, c'est se concentrer sur le portrait des "Chibok girls" autant que possible pour pouvoir faire ressortir les traits importants de leurs visages, et les faire vivre à travers ces sculptures. Et en même temps, on s'inspire des "têtes d'Ife" du 15e siècle. Donc, il faut suivre la manière de sculpter de ces têtes incroyables. »

Une collaboration entre l'artiste et l'université d'Ife

Prune Nourry déambule entre les 108 chevalets noirs installés sur l'herbe d'une large esplanade. Espacés de manière millimétrée en huit rangées, les étudiants s'appliquent à l'ouvrage. Tous sont vêtus en adire, un tissu bleu indigo et noir. Une tenue en batik d'inspiration Yoruba, que porte aussi Prune Nourry. Un code vestimentaire pour bien marquer la collaboration entre le département des Beaux-Arts de l'université d'Ife et la plasticienne.

« J'étais convaincu qu'il y avait quelque chose à l'université d'Ife. Je voulais que cela se passe à Ife. Mais je ne savais pas avec quels artisans collaborer. Il n'y a plus d'artisans ici, mais l'université a eu du sens. Et pour les professeurs du département d'art, ils sont incroyables. Ils ont une mentalité et une philosophie incroyable. Et c'est comme ça qu'on a décidé de collaborer ensemble. »

Une exposition qui sert également de rappel

Au cœur de la performance, Olusegun Ajiboye, le doyen de la faculté des Beaux-Arts, savoure l'implication de ses étudiants. Mais cette création collaborative avec Prune Nourry sur plusieurs mois sonne comme un rappel au monde entier : plus de cent « Chibok girls » restent toujours privées de liberté.

« Ce travail n'est pas seulement une exploration créative. Il s'agit aussi d'assumer un propos sensé et profond. Il s'agit de nous rappeler comment nous devons nous valoriser. Mais nous devons nous valoriser avant tout en prenant bien soin de nos femmes, en prenant bien soin de nos filles. »

En fin de journée, Prune Nourry enlace une à une les six ex-otages et les six mamans de « Chibok girls » manquantes. L'artiste plasticienne rêve aussi secrètement de pouvoir faire un tour du monde avec ces femmes pour montrer ces 108 têtes en céramique.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Voir les autres épisodes