Reportage Afrique

Soudan du sud: portrait d'un activiste soudanais torturé sous El Béchir [2/3]

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La suite de notre série de reportages auprès des réfugiés soudanais du camp de Gorom, près de la capitale sud-soudanaise, Juba.  À 40 ans, Jaffar est un homme dont la tragique histoire personnelle, illustre celle du Soudan. Militant de la société civile depuis 20 ans, il a été torturé par le régime d’Omar el-Béchir. Des violences dont il garde d’importantes séquelles physiques et psychologiques. Participant très actif de la révolution soudanaise qui a fait tomber le dictateur en 2019, il est aujourd’hui en exil comme plus d’un demi-million de Soudanais. 

Habitants du camp de Gorom.
Habitants du camp de Gorom. © Florence Miettaux/RFI
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De notre envoyée spéciale dans le camp de Gorom

Le dos légèrement voûté, les traits tirés, Jaffar pose sur ses genoux les deux gros dossiers qu’il a réussi à emporter en fuyant Khartoum. Diplômes, certificats, contrats… C’est tout ce qui lui reste de son travail : « Avec cette ONG, nous défendions les droits humains, l’éducation, la promotion de la paix et la lutte contre les violences faites aux femmes. »

Après le début de la guerre au Darfour en 2003, Jaffar développe des activités dans les camps de déplacés. C’est en 2007 que ses ennuis commencent. Accusé de soutenir les rebelles du Darfour, il est arrêté une première fois par les services de sécurité. « Après ça, j’ai été constamment harcelé et mis en prison, et je me suis échappé plusieurs fois en payant des gens pour m’aider. Quand j’ai réalisé que ça ne s’arrêterait pas, je me suis enfui en Libye. C’était en 2011, et je suis revenu au Soudan en 2015. »

Jaffar se marie en 2016 et reprend ses activités au Darfour, mais les services de sécurité sont toujours après lui. Sa femme est détenue pendant cinq jours et violée par des membres de la sécurité. Il est arrêté pour la cinquième fois une nuit de 2017. Il témoigne :

« Cette fois-là, les abus ont été très différents. Ils m’ont torturé physiquement et psychologiquement. Ils m'ont frappé de partout, sur la tête et sur tout le corps. »

Les services de sécurité veulent que Jaffar collabore, en infiltrant un des groupes rebelles du Darfour. C’est en vendant sa maison qu’il parvient à payer une somme suffisante pour qu’on le laisse tranquille. Mais c’est alors qu’il réalise l’ampleur des séquelles. « En 2017, ma femme et moi avons consulté un docteur. Il m’a demandé ce qui m’était arrivé. J’ai expliqué que j’avais été arrêté et torturé plusieurs fois. Les résultats des examens sont revenus négatifs. »

Le médecin lui annonce qu’il ne peut pas avoir d’enfant. Lorsque des combats ont éclaté mi-avril à Khartoum, Jaffar est parti en premier pour le Soudan du Sud. C’est une fois arrivé à Juba qu’il apprend que son père est mort suite au bombardement de leur maison. Il se dit aujourd’hui être « un homme brisé » : « J’ai de gros troubles psychologiques. Pourtant, c’est mon travail de faire du soutien psychosocial, mais là, c'est moi qui ai besoin d’aide. Par moment, je perds la mémoire. J’ai aussi des cauchemars et des insomnies. C’est très difficile. »

Sa femme a pu le rejoindre. Ensemble au camp de Gorom, ils tentent de se reconstruire, mais attendent toujours de recevoir de l’aide humanitaire.

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