Reportage Afrique

En Éthiopie, la difficile reconstruction de milliers de femmes victimes de viols au Tigré: «je n’ai plus rien pour vivre»

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Pendant deux ans, de nombreuses femmes ont vécu l’horreur des viols collectifs et des mutilations génitales durant la guerre au Tigré, en Éthiopie. Certaines ont été réduites en esclavage sexuel pendant des jours par les troupes érythréennes et éthiopiennes occupantes. Aujourd’hui rejetées par leur famille, elles ont besoin d’une prise en charge médicale physique et psychologique en urgence pour soigner les nombreuses pathologies dont elles souffrent, conséquences des agressions. Mais les moyens manquent pour faire face à ce désastre social tabou.

Des femmes réfugiées dans une pièce d'un camp de réfugiés à Mekele, dans la province rebelle du tigré où la guerre qui a opposé le Front de libération du peuple de Tigré au gouvernement éthiopien à causé la mort de 600 000 personnes et 120 000 victimes de violences sexuelles entre 2020 et 2022.
Des femmes réfugiées dans une pièce d'un camp de réfugiés à Mekele, dans la province rebelle du tigré où la guerre qui a opposé le Front de libération du peuple de Tigré au gouvernement éthiopien à causé la mort de 600 000 personnes et 120 000 victimes de violences sexuelles entre 2020 et 2022. SOPA Images/LightRocket via Gett - SOPA Images
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De notre correspondante de retour de Mekele,

Assises sur la terrasse du jardin verdoyant de l’association Hywiet, la fondatrice Meseret Hadush écoute une jeune femme lui parler, puis la serre dans ses bras. C’est une survivante comme on les appelle au Tigré. Il y a trois ans, pendant la guerre, sept soldats érythréens sont entrés chez elle, ont tué son mari sous ses yeux avant de la violer : « Ils ont introduit du métal dans mon utérus et cela a créé une infection. Des médecins me l’ont enlevé, mais je continue de saigner, et psychologiquement ça ne va pas. Je n’ai plus rien pour vivre. C’est pour ça que je suis venue ici. »

Son récit ressemble à des milliers d’autres : Meseret en a recueilli près de 5 000. Mais la stigmatisation empêche les victimes de se manifester. « Le plus gros problème, c’est que leur état empire, car elles n’osent pas sortir pour aller chercher leur traitement et pour avoir de l’aide. Elles ont peur qu’on les repère, car si ça se sait, elles seront maltraitées par les gens. »

Près de 15 % d'entre elles infectées par le VIH

Les ONG sensibilisent les communautés et les leaders religieux pour permettre aux victimes de réintégrer la société. Il y a urgence à les prendre en charge. Le nombre de victimes de viols pendant la guerre au Tigré est estimé à plus de 120 000 par les hôpitaux tigréens. Selon les chiffres de Meseret, 15 % d’entre elles ont été infectées par le VIH. « Elles ont besoin d’un accompagnement spécial. Car quand elles prennent leurs médicaments elles doivent manger pour avoir quelque chose dans l’estomac. Je leur donne de la nourriture, autant que je peux. »

Environ 70 % des établissements de santé ont été endommagés pendant la guerre. Dans toute la région, un seul centre spécialisé dans les violences faites aux femmes est en service à Mekele. C’est un petit bâtiment vétuste, aux pièces étroites, dirigé par le docteur Sœur Mulu : « La majorité des traitements dont elles ont besoin en priorité, sont achetés dans le privé, nous ne les avons pas dans notre centre. La demande et l’offre de médicaments disponibles ici ne sont pas comparables. »

Priorité à « obtenir justice », avant même de « recevoir de la nourriture »

Chaque jour, 50 femmes viennent ici pour être soignées. Yirgelem s’y rend souvent pour échanger avec Sœur Mulu. Experte pour la Commission d’enquête sur le génocide au Tigré, elle répertorie tous les témoignages. « Nous leur avons demandé ce qu’elles choisiraient en premier entre recevoir de la nourriture, une assistance médicale ou obtenir justice. Et la majorité d’entre elles ont répondu qu’elles avaient besoin de justice en premier. »

Les récits recueillis sont authentifiés et conservés pour appliquer la justice transitionnelle. Menée officiellement par le gouvernement fédéral depuis un an et demi, aucune procédure n’a pour l’instant été rendue publique.

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