Reportage Afrique

Guerre au Soudan: Port-Soudan, «capitale de l'exil» pour des milliers de déplacés du pays [3/3]

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Depuis le 15 avril 2023, la guerre entre les Forces armées soudanaises du général Burhan et les paramilitaires du général Hemedti a plongé le Soudan dans la plus grande crise de déplacement de population au monde. Le conflit a déraciné plus de onze millions de personnes à l’intérieur de ses frontières et deux millions de réfugiés vers les pays voisins. Épargnée par les combats, Port-Soudan accueille des vagues de milliers d’exilés. Rencontre avec des artistes qui racontent 19 mois de guerre fratricide qui ont déchiré le pays.

Mohira, artiste plasticienne soudanaise de 27 ans, colore un petit pot. « L’art est la meilleure solution à la guerre, c’est un excellent moyen pour la réconciliation sociale », dit-elle, dans la cour d’une école transformée en camp pour des dizaines de familles d’artistes et d’acteurs de Khartoum. Ils se sont rassemblés après avoir fui la guerre (22/10/2024 à Port Soudan).
Mohira, artiste plasticienne soudanaise de 27 ans, colore un petit pot. « L’art est la meilleure solution à la guerre, c’est un excellent moyen pour la réconciliation sociale », dit-elle, dans la cour d’une école transformée en camp pour des dizaines de familles d’artistes et d’acteurs de Khartoum. Ils se sont rassemblés après avoir fui la guerre (22/10/2024 à Port Soudan). © Abdulmonam Eassa/RFI
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De notre envoyé spécial à Port-Soudan,

Sur les bords de la mer Rouge, Port-Soudan s’est convertie en capitale du pays. Sa population, estimée avant-guerre à près de 400 000 habitants, a été multipliée par deux. À travers la ville, plus de 250 000 personnes s’entassent dans une centaine de bâtiments publics convertis en centres d’accueil. Dans une école qui abrite des artistes déracinés par les combats, Amin Akram improvise une leçon d’anglais.

Il y a une semaine, ce professeur de musique a fui Khartoum, laissant derrière lui ses instruments. Il habitait dans le quartier de Shambat contrôlé par les paramilitaires, aujourd’hui pilonné par l’armée régulière. « Les maladies se propageaient : la malaria, le typhus, la dengue. Tout cela à cause du manque de nourriture. En plus des combats, c’était invivable. J’habitais à côté du cimetière, ils enterraient trois cadavres par jour ! Nous étions à bout de force. Après un an et demi d’enfer, je voulais revoir la vie. »

Dans des salles de classe reconverties en dortoir, une soixantaine d’artistes exilés partagent des lits superposés. Ils sont comédiens, cinéastes, danseurs. Comme Muhaeera Fathi, une décoratrice de 27 ans, beaucoup ont été déplacés plusieurs fois par les combats. « Mon quartier à Khartoum a été rasé par les bombardements aériens. Alors, je suis allée me réfugier dans la Gezira. J’y suis restée deux mois, puis les Forces de soutien rapide ont attaqué, raconte la jeune femme. Là, c'était encore pire. Des cas de viols et de violences contre les femmes. Au final, c’est une guerre contre les civils. Que ce soit par les avions de l’armée, les obus et les pillages des paramilitaires, c'est le citoyen qui perd tout. Cette guerre est absurde, elle doit s’arrêter. »

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« Notre art, une arme qui combat la propagande »

Chaque semaine, entre deux coupures d’électricité, ces artistes organisent des projections de cinéma, des concerts, et jouent du théâtre dans les camps de déplacés. Pour le metteur en scène Rabie Youssef, l’art est la seule arme qu’il leur reste. « Cette guerre a des racines historiques, politiques, économiques, mais la cause grave et la plus négligée, c’est le manque de culture, explique l'artiste. Nous avons beaucoup de tribus et de langues différentes. Mais les Soudanais ne se connaissent pas entre eux. Et la guerre amène toujours avec elle des discours de haine. Alors nous, les artistes, devons jouer notre rôle. Notre art est une arme qui combat la propagande, les mensonges, une arme qui agit sur les consciences. C’est une forme résistance. Objectivement, il est possible d’arrêter cette guerre. La seule solution, c'est la négociation. Au Soudan, nous avons connu de nombreuses guerres, aucune ne s’est terminée par la voie des armes. »

Ces messages de paix restent largement inaudibles dans le vacarme de la guerre. Pour le moment, les deux généraux refusent toutes négociations, préférant la guerre totale.

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