Reportage Afrique

De la censure à la restauration: l'histoire du film «Lettre paysanne» de la Sénégalaise Safi Faye

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Cinquante ans après avoir été tourné, « Kaddu Beykat » - « Lettre paysanne » en français -, le film de la réalisatrice sénégalaise Safi Faye décédée en 2023, est en cours de restauration. L'événement est d'importance, ses films étant introuvables ou alors dans un très mauvais état de conservation. Uniquement diffusées dans le circuit des festivals, les œuvres de Safi Faye demeurent largement inconnues du grand public bien qu'elle fût la première femme d'Afrique subsaharienne à réaliser un long métrage.

Scène du film «Lettre paysanne», de la Sénégalaise Safi Faye.
Scène du film «Lettre paysanne», de la Sénégalaise Safi Faye. © Arsenal - Institut für Film und Videokunst e.V., Zeïba Monod
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« J'ai choisi le monde paysan parce que je suis paysanne, parce que mon père a été un peu à l'école, et ma mère jamais. Ce sont des paysans. Ils sont venus en ville pour travailler et j’ai voulu mettre l'accent sur ce monde qui, à lui seul, peut sauver l'Afrique et le mener à son autosuffisance alimentaire. On n'a pas d'industrie, on n'a pas de pétrole, donc il faut cultiver pour que les enfants qui naissent puissent manger à leur faim », raconte Safi Faye, en 2010. Elle évoque alors sa conception du cinéma après avoir filmé l'Afrique au plus près de sa réalité. Son film « Lettre paysanne » a été tourné avec les habitants de son village natal. 

« Safi est une réalisatrice ancrée dans sa réalité. Contrairement à ses compatriotes cinéastes qui filmaient la ville, elle, elle a préféré le rural, tous ses films parlent de la ruralité. On n’oublie pas que Safi est ethnologue, rappelle la critique de cinéma Fatou Kiné. "Lettre paysanne" a permis à Safi de s'intéresser à ce qui se passe dans son terroir, cette filmographie qui, aujourd'hui, nous sert beaucoup pour mieux connaître la société rurale, et qui reste d'actualité. » 

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En 1975, le film de Safi Faye, surnommée « la mère du cinéma africain»», a été projeté au festival de Berlin. Il y remporte un grand succès, mais sera interdit lors de sa sortie au Sénégal.

 Baba Diop, critique de cinéma, explique : « On était à l'époque de Senghor et ce dont il parlait - notamment le saupoudrage au DTT des paysans qui n'arrivaient pas à payer leurs impôts - était téméraire, il fallait le faire. Le film a donc surtout circulé en Europe, dans le milieu underground, les cinéclubs et les cinémas alternatifs. Quand j'étais étudiant en France, on l'a effectivement beaucoup regardé, étudié et partagé. C'est un cinéma du terroir. [Safi Faye] était une personne très engagée dans la cause paysanne et, malheureusement, son film a été censuré à sa sortie au Sénégal, tout comme "Lambaaye" de Johnson Traoré, qui parlait de la corruption ». 

En 2023, le festival des Trois continents, à Nantes, en France, a rendu hommage à Safi Faye en projetant neuf de ses films, dont « Kaddu Beykat ». Dans un article publié à l’occasion, il est écrit : « Ce monde paysan déborde jusque dans le destin des personnages, jusque dans les jeux des enfants, jusque dans la ville où errent les hommes. Venue elle-même de l’ethnologie, Safi Faye renverse le regard habituellement distancié du cinéma ethnographique en posant sur ses images, fermement et discrètement, sa propre voix, celle d’une fille de paysans qui nous dit : "Regardez chez moi comment on travaille, comment on vit". » 

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