Journées du patrimoine: ouverture exceptionnelle de la maison Senghor à Verson
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Les Journées du patrimoine sont traditionnellement l'occasion de visiter des lieux rarement ouverts au public. C'est le cas de la maison Senghor à Verson en Normandie où l'ancien président sénégalais a vécu les 20 dernières années de sa vie jusqu'en 2001. À son décès en 2019, sa veuve madame Colette Senghor a fait don de sa maison familiale, du parc et d'archives à la ville qui a la charge de la transformer « en maison du poète ouverte au public à la mémoire de Léopold Sédar Senghor ». Ce sera chose faite dans quelques années, une fois les travaux et aménagements nécessaires effectués, en attendant quelque 400 chanceux ont pu réserver des créneaux de visite lors de ces Journées du patrimoine.

C’est une grande maison bourgeoise du XIXe siècle aux volets blancs en bord de route. Le temps a fait son œuvre et l’ensemble est défraîchi. Les glycines n'égayent plus la façade. Une fois la grille poussée et franchie les quelques marches du perron, un buste de Léopold Sédar Senghor nous accueille dans une petite entrée, un bronze signé Arno Breker, et à côté la canne de l’ancien président du Sénégal.
« Bienvenue dans la maison Senghor », Marie-Helene Brioul, ajointe au maire chargée de la communication, fait la visite de la maison, propriété de madame Senghor et de sa famille. « À gauche, un salon d’attente, salon normand, mobilier français, un joli cartel, quelques copies de tableaux au mur ». À côté, le salon de réception dit « de Betteville », nom de naissance de Colette Senghor, car y sont exposées les armoiries de la famille de Betteville. Daniel qui descendrait d’un des barons de Guillaume le Conquérant. La propriété avait été acquise en 1850, un siècle plus tard, Colette en hérite par sa tante qui espère que la maison ne quittera jamais la famille.
L’intimité du couple Senghor
Dans toutes les pièces, des portraits de Philippe-Maguilen, leur fils unique, décédé à l’âge de 22 ans d’un accident de la route au Sénégal. Le drame du couple Senghor. Aux murs, beaucoup de photos avec les grands de ce monde, parfois devenus des amis, comme celle du couple avec le Shah d’Iran et son épouse Farah Pahlavi ainsi que leurs fils respectifs.
Nathalie Donatin est la maire de Verson, commune de 3 600 âmes à quelques kilomètres de Caen. « La succession a pris deux ans et demi, la ville est propriétaire depuis le 7 juillet 2022 du parc, de la maison, du mobilier et de 25 m3 environ d'archives écrites, conformément aux volontés de Colette Senghor », la seconde épouse de l'homme politique. « Cet héritage est un honneur. Le couple était très uni et attaché à Verson. Ils auront vécu, chacun, 20 ans dans le pays de l’autre. »
Dans une petite vitrine éclairée, sur six étagères, une collection de pierres du monde, passion du président Senghor.
La salle à manger est assez intime, sous la table une sonnette à pied permettant d’appeler le personnel en cuisine « signe que nous sommes bien chez un homme d’État », signale Marie-Hélène Brioul, « toutes les pièces sont munies de sonnette reliées à un téléphone dans la cuisine ». Quelques gravures d’inspiration africaine, un tableau représentant le prince de Joinville sur le port de Gorée, le couple Senghor en tenue d’apparat, photographie prise par les studios Harcourt.
Un escalier recouvert d’une moquette de velours rouge mène au premier étage ou 25 photos des grands de ce monde nous accueille, dont une photo dédicacée de la reine Elisabeth II, un travelling dans le XXe siècle.
Sur la gauche, la chambre de madame Senghor quelques-unes de ses robes couture y sont exposées, sur les murs des portraits de son mari et de son fils. Juste à côté « la chambre de Monsieur », son habit d’académicien a pris place sur un mannequin. Sur son épée, on peut voir la lyre qui représente les arts, sur un blason le lion et le baobab du Sénégal avec une plume enroulée sur la poignée couronnée d’une étoile verte. Sur le lit, un pagne à l’effigie du roi Juan Carlos et du président Senghor. Mathilde Hopquin, directrice des affaires culturelles, coordonne le projet Senghor de Verson : « C’est une tradition d’Afrique de l’Ouest, la création de tissu wax à l’occasion des visites officielles. Nous avons retrouvé une belle collection de pagnes ou figures de monsieur et madame Senghor et des chefs d’État, ce qui pourrait être une façon de montrer l’histoire du XXe siècle à travers le personnage de Léopold Sédar Senghor, et un objet textile populaire, le pagne ».
Durant ces Journées du patrimoine, la visite de la salle de bain aux robinets dorés devrait mettre fin à une légende locale selon laquelle les robinets auraient été en or !
Le grand crucifix en face du lit du poète et les photographies des Jean XXIII et Paul VI, témoigne de sa foi ; Léopold Sédar Senghor était catholique et pratiquant.
L’antre de Senghor
Le clou de la visite est le bureau du président, précédé d’un salon fleuri. Des tableaux, Marie Laurencin, une épreuve d’artiste de Soulages, une lithographie signée Picasso…
Dans cette maison, l’homme de lettre a écrit beaucoup de poésie. À partir de 1957, le couple y passe tous ses étés. La pièce est plus solennelle que le reste de la maison, dans des teintes rouge et or. Dans le bureau du défenseur de la « civilisation universelle », Lénine côtoie de Gaulle, ou JFK en V.O., des poèmes suédois, une traduction allemande de grands poètes français, une immense cheminée, beaucoup de livres dédicacés à son épouse signés Sédar, le prénom qu’elle lui donnait, son prénom sérère.
« À ma Colette, qui est ma poésie » ou « à Colette, ma femme, à ma princesse de Beborg, belle jusqu'en ses fureurs avec l'expression de ma tendresse, 20 novembre 1976 ». Beborg étant un nom à consonance viking inventé par le poète pour faire allusion aux origines normandes de son épouse. Posé sur le bureau, une petite statuette de femme égyptienne, sur le manteau de l’immense cheminée une tête d’antilope sculptée, un ibis, et sur une table les élégies du président Senghor, des poèmes imprimés en grand format sur du papier vélin illustrées par les plus grands artistes.
La maison est prolongée d’un petit jardin d’hiver et d’un parc d’un hectare et demi qui devrait être ouvert au public rapidement, la maison doit être remise aux normes avant de pouvoir recevoir en continu du public, un projet qui devrait prendre quelques années.
La maison normande de Léopold Sédar Senghor fait rêver les chercheurs
Les archives dont Verson a hérité ont été transférées dans un hangar à Bretteville-sur-Odon, entre Verson et Caen, et doivent encore faire l'objet d'un inventaire précis. « À la BNF, il y a un fonds Senghor de 629 feuillets, mais il n'est pas complet du tout. Senghor a donné accès aux versions 2, 3, 4, mais pas à la version première des textes, où il a plus hésité, tâtonné et expérimenté », explique à l'AFP Claire Riffard, du CNRS.
La mairie est déjà tombée sur un trésor, selon la chercheuse qui a visité les lieux récemment : dans un placard, un grand cahier à petits carreaux, intitulé Chant pour Naëtt, poèmes, a constaté sur place l'AFP. Ce document manuscrit « n'a pas de prix », s'enthousiasme Jean-René Bourrel, qui prépare un dictionnaire Senghor à paraître chez Classiques Garnier. Senghor réécrira ce recueil, destiné au départ à sa première épouse, qui deviendra Nocturnes (1961).
« Voilà une pépite. On peut s'attendre à en trouver d’autres », renchérit Souleymane Bachir Diagne, professeur à l'université Columbia aux États-Unis, qui a rencontré Senghor à de nombreuses reprises. Car « Senghor élaborait son œuvre poétique quand il prenait ses vacances en Normandie », précise le philosophe sénégalais.
De ce bureau émane aussi la force d'une amitié légendaire avec le poète martiniquais Aimé Césaire dont cette dédicace : « À Léopold Sédar Senghor, co-auteur sans le savoir de cette œuvre où il retrouvera tant d'échos familiers : ceux de notre jeunesse, de nos luttes et de nos communes espérances, fraternellement, Aimé Césaire. »
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