Comment l'université d'Angers traite les témoignages de la Commission sur les violences faites aux enfants
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Depuis sa création en janvier 2021, la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (Ciivise) a récolté plus de 30 000 témoignages. Si elle en a tiré des recommandations transmises au gouvernement, les récits bouleversants qu'elle a recueillis ne vont pas finir au placard. C'est dans l'ouest de la France, à l'Université d'Angers, que les chercheurs du laboratoire Temos ont pour mission de les archiver. Comment traiter ces paroles délicates en respectant l'anonymat de la victime ? Comment mettre en avant ces expériences traumatisantes pour qu'elles ne se reproduisent plus ?

Sur son ordinateur, Bénédicte Graille, fait défiler un tableur dans lequel elle a commencé à ranger les données qui ressortent des témoignages. « On a 212 témoignages. Les témoignages sont analysés pour le moment par catégorie », précise-t-elle. Depuis 2021, des milliers de personnes ont contacté la Ciivise pour raconter des violences sexuelles vécues pendant l'enfance. Des paroles fortes qu'il ne faut pas laisser dans une armoire poussiéreuse.
« L'idée, c'est d'avoir un instrument de recherche qui soit suffisamment détaillé et précis pour que des chercheurs puissent l'utiliser de manière anonyme, sans avoir à demander à avoir accès au témoignage directement », ajoute-t-elle.
Des récits arrivés par mail ou dans la boite aux lettres de la Ciivise, via un questionnaire en ligne, une ligne d'écoute téléphonique dédiée, ou des réunions de paroles publiques. La première étape de ce travail d'archives, d'après son collègue Patrice Marcilloux, c'est donc de les localiser.
« S'assurer qu'on a tout ou que l'on sait où se trouve tout. Bref, qu'il n'y a pas de déperdition. On vise une connaissance exhaustive de ces témoignages. Évidemment, il ne faut pas que quelqu'un puisse se trouver en situation de dire "j'ai témoigné et mon témoignage est perdu" », explique-t-il.
« Ce n'est pas humainement supportable »
Vient ensuite le temps de l'indexation, une étape encore une fois délicate. « On va essayer de donner la zone géographique, mais pas trop précise, parce qu'il ne faut pas que les personnes puissent être identifiées. On va indiquer dans quel cadre les agressions ont pu se produire, à quel(s) moment(s) cela a pu se passer dans leur vie, puis aussi les conséquences à long terme sur leur vie ou sur la vie de leurs proches », détaille Bénédicte Graille.
Quatre chercheurs travaillent au quotidien sur ce projet depuis l'année dernière, et ont dû apprendre à se préserver face à des témoignages souvent bouleversants. « Il y a beaucoup de choses extrêmement émouvantes. Et qui rendent triste quand on les lit. On ne peut pas traiter du lundi matin au vendredi après-midi, ces témoignages-là. Ce n'est pas humainement supportable. Il a fallu aussi qu'on réfléchisse en termes d'organisation du travail pour que ce soit limité dans la semaine. Et on a également une réflexion en termes d'accompagnement parce que ça ne me paraissait pas possible d'affronter en permanence ce type de récit », raconte Bénédicte Graille.
Un projet citoyen qui doit aussi permettre d'en finir avec le déni qui entoure les violences sexuelles sur les mineurs. D'après le rapport d'étape de la Ciivise, dont l'agrément a été prolongé jusqu'à octobre 2026, 160 000 enfants en sont victimes chaque année, soit un viol ou une agression sexuelle toutes les trois minutes.
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