Reportage international

Rentrée en Chine: Pékin met fin aux bonnes affaires du soutien scolaire

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C’est aussi la rentrée des classes en Chine. 200 millions d’élèves du primaire et du secondaire font leur retour sur les bancs de l’école cette semaine. La nouveauté, c’est l’allongement des horaires dans les établissements afin de compenser la fin des cours du soir. Les nouvelles directives publiées au cours de l’été ont fortement affecté le secteur du soutien scolaire jusqu’alors florissant. Une réforme destinée à réduire le poids de l’éducation sur les familles et relancer la natalité.      

Le gouvernement chinois a décidé de règlementer le secteur du soutien scolaire. (Photo d'illustration)
Le gouvernement chinois a décidé de règlementer le secteur du soutien scolaire. (Photo d'illustration) STR / AFP
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Ce ne sont pas les récitations de poèmes de la dynastie des Tang qui font le plus plaisir à cette maman pékinoise, mais les aventures de Babar en Chine racontées en anglais par son garçon de dix ans. Les pérégrinations de l’éléphanteau, héros de la littérature jeunesse, font partie des dernières vidéos envoyées par les professeurs de son fils. Grand sourire, les yeux rivés sur son smartphone, celle que nous appellerons Madame Wang, se les repasse en boucle, car depuis cet été c’est terminé. Comme les géants du numérique (e-commerce, jeux en streaming, plateformes VTC), la faucille et le marteau de la réforme sont tombés sur le pléthorique secteur du soutien scolaire, entrainant la fermeture d’une grande partie des instituts privés dans lesquels se rendaient les élèves après l’école.

Boulimie de cours privés

Les nouvelles directives promulguées fin juillet interdisent de tirer profits des cours sur les enseignements de bases du « K12 », autrement dit du jardin d’enfants au lycée. Les entreprises spécialisées dans le soutien scolaire ont dû également renoncer à proposer des cours le week-end et les jours fériés. Résultat : de nombreux parents ont dû modifier leur agenda et parfois prendre du temps sur leur travail pour aider aux révisions des enfants. « Hier, j’ai passé la journée entière sur des devoirs de mathématiques, explique Madame Wang en pointant des équations sous une carte de Chine. Il s’agissait notamment de calculer le coût des transports d’un voyage dans les hauts lieux du tourisme rouge (ndlr. les sites et les musées consacrés à l’épopée communiste revenus à l’honneur à l’occasion des 100 ans du Parti communiste chinois). Je suis un peu stressée, poursuit-t- elle, j’ai peur que mon fils prenne du retard. » La peur de rater le train de la réussite scolaire dans un système ultra sélectif explique en partie cette boulimie pour les cours privés. Plus de 75% des élèves de 6 à 18 ans ont suivi des cours de soutien après l’école en 2016, selon les derniers chiffres de la Société chinoise d’éducation rapportés par l’agence Reuters.

L’explosion du tutorat en ligne pendant la crise sanitaire n’a rien arrangé. « J’ai acheté tous les cours d’anglais que je pouvais sur internet avant l’entrée en vigueur de l’interdiction »confie une Coréenne du quartier de Wangjin au nord de Pékin. « Nous avons des cours du soir, parce que nos parents ont peur que l’on décroche »explique Bo Yuhan, qui a suivi des cours d’écriture chinoise cet été. « J’ai aussi six heures de mathématiques, d’anglais et de sciences du vendredi au samedi soir, poursuit ce collégien de Yiwu, dans la province du Zhejiang (est). « À Yiwu, la moitié seulement des élèves du premier cycle parviennent à s’inscrire au lycée, donc je ne me plains pas, ajoute-t-il. Et puis, il y a pire : une de mes camarades passe l’intégralité de ses week-ends à travailler dans un institut privé ». La compétition est rude et les cours après l’école sont considérés comme indispensables pour passer l’examen d’entrée à l’université. Un sacerdoce pour les petits et un sacrifice pour les grands. Selon une enquête de la banque HSBC en 2017, 93% des parents en Chine ont déclaré payer des heures de soutien scolaire à leurs enfants et 74% affirmaient renoncer pour cela aux vacances et aux loisirs personnels.  

Égalité des chances

La réforme est sensée réduire le bachotage forcené auquel sont soumis les élèves et faire retomber la pression financière qui pèse sur les familles. Obtenir un meilleur score au « gaokao » - le baccalauréat chinois -, permet d’entrer dans une université mieux classée. Les familles sont prêtes à dépenser des fortunes pour soutenir l’éducation de leur progéniture souvent unique dans une Chine qui vieillit. « Le boom des cours privés a fini par causer des problèmes, affirme Chen Zhiwen, expert sur une plateforme d’information spécialisée dans l’éducation. Le secteur s’est développé parfois plus rapidement que les géants de l’internet, c’est devenu un énorme business ! » Le marché du tutorat est constitué d’une multitude de start-up, mais ce sont les grands du secteur qui ramassaient l’essentiel de la mise. « Prenez "Xue Er Si" reprend ce spécialiste visiblement très favorable à la réforme. En 2014, ce mastodonte de l’éducation privée était évalué à près de 3,4 milliards d’euros, et l’année dernière sa valeur a dépassé les 42 milliards d’euros. Une vingtaine d’entreprises chinoises spécialisées dans le soutien scolaire ont été cotées en Bourse. Or le profit ne rime pas forcément avec une meilleure éducation, bien au contraire. Dans ces cours privés, les enseignants sont évalués sur leurs capacités à garder les élèves. Ce ne sont plus des enseignants, mais des… vendeurs . »

Des géants du tutorat privé qui feraient de l’ombre à l’école publique et menaceraient l’égalité des chances ? C’est en tous cas ce que répètent les médias d’État depuis la publication de la nouvelle directive le 24 juillet dernier. L’annonce a provoqué un effondrement des actions de grandes sociétés telles que Nouvel Orient, Tal Education et Gaotu. En demandant aux entreprises de s’enregistrer comme des associations à but non lucratif, les autorités ont déclenché des faillites en cascade. Dans le district de Haidian à Pékin, réputé pour ses universités prestigieuses, les stigmates de ce tsunami financier sont encore visibles. Voisin des meilleures écoles, dont un lycée affilié à l’Université de Pékin, le centre culturel Yingwang était une ruche l’été dernier. Désormais, seul le ronronnement d’un escalator qui tourne à vide témoigne de l’activité passée. Au premier étage, des dizaines d’instituts privés ont dû mettre la clé sous la porte. Les portes en verre sont bloquées par de gros antivols. « Ils sont tous partis, avant on donnait des cours, ici » affirme un peintre en bâtiment juché sur un escabeau. Preuve de la soudaineté du déménagement : des bureaux vides et des plantes vertes assoiffées sont visibles derrières les affiches décollées.

Marché noir

L’impact de la réforme a également été immédiat pour les travailleurs du secteur. 100 000 emplois seraient menacés selon des propos anonymes rapportés par Al Jazeera. « Nous proposons des cours de chinois, de mathématiques et d’anglais »confie sur messagerie une ex-employée au service administration de l’une de ces entreprises spécialisées. Cette dernière demande également à ce que son nom ne soit pas mentionné, avant d’ajouter : « Tout s’est arrêté du jour au lendemain, 500 personnes ont été licenciées. » La disparition des cours de soutien privés pour les élèves du primaire et du secondaire signifie-t-elle la fin d’un système ? Rien n’est moins sûr, car elle ne supprime pas la pression académique. « Tant que les examens d’entrée au lycée et à l’université seront maintenus, je ne vois pas ce qui pourrait enlever aux familles l’envie de donner le plus de chance possible à leurs enfants », estime un enseignant d’anglais. Interdire de « vendre du rêve », n’empêche pas de vouloir « acheter de l’espoir » pour reprendre l’expression du sociologue Xiaoshan Lin.

Et les signes qui trahissent cette survivance de la demande sont bien là. Dans un café, près de l’Université du peuple, deux quarantenaires s’approchent discrètement d’un étudiant. La discussion dure quelques minutes avant de se conclure par un échange de contacts WeChat. « C’est bon pour les cours de maths, il viendra à la maison »chuchote l’une d’entre elles dans un sourire. Les cours particuliers en tête à tête étaient jusqu’alors une option réservée aux plus aisés. Il semble que désormais des formules en petits groupes s’organisent à domicile. Les prix de ces tuteurs privés ont grimpé en flèche, jusqu’à près de 400 euros de l’heure à Shanghai selon Bloomberg. Afin d’empêcher le marché parallèle de se développer, le ministère de l’Éducation a menacé de licencier les enseignants qui travailleraient au noir. Dans la ville de Huangshan, dans la province orientale de l’Anhui, la police a interpellé un professeur d’un collège qui aidaient les élèves à réviser indique le South China Morning Post. Les vacances scolaires correspondant jusqu’à présent au pic de la saison du tutorat privé avant d’attaquer la nouvelle année.

Taux de natalité

Avec les horaires étendues, les devoirs se feront désormais dans les établissements. « La nouvelle politique vise d’abord à améliorer la qualité de l’enseignement à l’intérieur des écoles, rappelle Chen Zhiwen. Il s’agit de répondre à la demande éducative des parents et de donner la même chance à tous les élèves. » « Sur le principe, nous sommes tous d’accord, souligne Madame Wang. C’est une bonne chose de réduire les inégalités, sauf que les riches peuvent payer plus cher pour avoir des tuteurs qui viennent chez eux. Au final, c’est la classe moyenne qui sera peut-être la plus touchée. » Les observateurs notent surtout que ces nouvelles mesures ont été annoncées peu de temps après que le planning familial ait autorisé les foyers chinois à avoir un troisième enfant. L’idée étant de diminuer le coût de l’éducation considérée comme l’un des freins à l’envie de faire des bébés. Fin des cours privés contre baby boom, là encore l’équation est loin d’être évidente. En attendant, Madame Wang a peut-être trouvé la parade. Elle a inscrit son fils à des cours de chants et de cuisine en… anglais. 

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