Reportage international

Les mangroves d'Asie du Sud-Est, immenses et méconnus puits de carbone

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Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, il est bien souvent question de l’importance de préserver les forêts primaires. Moins connu, un autre éco-système a également un rôle clef à jouer dans le fragile équilibre climatique du monde actuel : la mangrove. Immense puits de carbone, cette forêt qui pousse le long des côtes des pays tropicaux est pourtant également menacée. L’Asie du Sud-Est est la région du monde où l’on trouve le plus cet écosystème. Mais en Indonésie et Malaisie, les deux plus grands pourvoyeurs de mangroves régionaux, 40 % ont été détruites. 

L'Indonésie est le pays qui compte le plus de mangroves au monde.
L'Indonésie est le pays qui compte le plus de mangroves au monde. © Getty Images/Giordano Cipriani
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De notre correspondante à Kuala Lumpur,

C’est un trésor caché de la mangrove, invisible aux yeux, même à marée basse. Pour le comprendre il faut écouter les explications du docteur Aldrie, à la tête de l’Environmental, Economic and Social Sustainability Research Centre à l’Universiti Kebangsaan Malaysia. 

Travaillant sur la mangrove depuis plus de vingt ans, il se rappelle encore de l’étonnement général suscité par l’étude de ces sols boueux où les bottes s’enfoncent. « La communauté scientifique était choquée des résultats concernant la captation du carbone de la mangrove », rapporte-t-il, « C’est 3 ou 4 fois plus, parfois 10 fois plus que ce que capte la forêt terrestre ! » 

Même constat du côté indonésien, où un article de Nature a calculé que le taux de carbone capturé par un hectare de mangrove atteignait en moyenne les 1 000 tonnes. Une donnée colossale qui suscita d’abord un certain scepticisme admettait le spécialiste français de la mangrove Romain Walcker lors d’une interview à National Geographic : « Ce chiffre a d’abord paru invraisemblable, mais il a depuis été confirmé. » 

Systèmes ingénieux de la nature

Pour comprendre ces résultats prodigieux, il faut d’abord s’intéresser aux arbres qui poussent entre terre et mer, suggère le Dr Aldrie. « Les arbres grâce à la photosynthèse absorbent le carbone », rappelle-t-il. « La mangrove fait ça mieux qu’aucun autre végétal, car la marée monte et descend sans arrêt, donc le temps est compté pour absorber du carbone, des nutriments et deviennent en cela extrêmement productifs ». 

Ensuite, le Dr Aldrie attire notre attention sur les petits trous que l’on trouve partout entre les racines découvertes des arbres pour expliquer le deuxième prodige de cette forêt qui prospère entre eau douce et eau salée : la mangrove ne se contente pas d’absorber le carbone rapidement, elle le stocke aussi d’une manière prodigieuse et tout à fait unique.

Tous ces petits trous ont été creusés par des crabes. Ce sont en quelque sorte les petits ingénieurs de la mangrove : ils se nourrissent des feuilles mortes, et les emportent dans leurs terriers pour en tapisser les parois. Ces feuilles ont une teneur en carbone très élevée, car elles donnent au reste de l’arbre leurs autres nutriments avant de tomber. Dans les forêts terrestres, les litières de feuilles se transforment lentement en matériau organique et restent au sommet des sols, mais dans la mangrove, le carbone va directement dans le sédiment.

De la merveille au cauchemar

Mais si le professeur Aldrie ne cesse de s’émerveiller des merveilles d’ingéniosité de l’écosystème qu’il étudie, il ne tarde pas à mentionner combien l’action de l’homme peut transformer la mangrove en cauchemar pour le climat. Car en détruisant ces sols et ces arbres, les tonnes de carbones qui y sont stockées depuis des milliers d’années sont alors relâchées. 

Pourtant, note-t-il, si ces dernières années, la nécessité de préserver la mangrove fait de plus en plus consensus, c’est moins à cause du puits de carbone qu’elle représente que d’un autre de ces bienfaits.

Après le tsunami de 2004, il y a eu une prise de conscience générale : la mangrove protège les côtes et ses habitants, et les littoraux préservés par de la mangrove ont été bien moins touchés que les autres. Il y a donc eu des programmes de plantations massives, mais aussi beaucoup d’erreurs faites, comme planter les mauvaises espèces au mauvais endroit. On a par exemple vu souvent 400 arbres qui ne peuvent vivre que dans un environnement très particulier entre eau de mer et eau douce, plantés sur des plages, et le lendemain 20 % seulement avaient survécu.

Des dangers toujours présents qui fragilisent cet écosystème

Pour Arie Rompas, de Greenpeace Indonésie, le pays qui compte le plus de mangroves au monde, les dangers qui planent sur la destruction de cet écosystème sont encore nombreux et bien présents. « La principale menace qui pèse sur les mangroves est celle des industries d’aquaculture. La construction d’infrastructures et de bâtiment a également empiété sur les zones côtières de la mangrove. La Papouasie est la dernière grande zone de mangrove, mais elle y reste très menacée, et à cause de la construction d’infrastructures et d’établissements. La mangrove de Yotefa Bay s’est par exemple réduite de 70 % à cause de construction de ponts », déplore Arie Rompas.

Le gouvernement actuel indonésien assure, lui, s’engager à restaurer 600 000 hectares de mangroves détruits d'ici à 2024. 

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