Liban: crise économique, politique et de l'armée, le témoignage d'un soldat des forces spéciales
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Direction le Liban, où la crise économique et politique exacerbe les tensions communautaires. Au mois d’octobre, des milices chrétiennes et musulmanes se sont affrontées à Beyrouth, faisant 7 morts. Le pays du Cèdre semble de plus en plus fragmenté entre ses 17 confessions. Face à ce repli communautaire, l’armée multiconfessionnelle tente de maintenir une stabilité toujours plus fragile. Mais comme toute la population libanaise, les militaires sont frappés de plein fouet par la dévaluation de la monnaie, la chute de leur salaire et l’inflation. L’institution semble se fissurer de toute part : un budget divisé par six, un absentéisme qui explose et de nombreuses défections.
De notre correspondant à Beyrouth,
Au Liban, les militaires ne sont pas autorisés à parler aux journalistes. Mais ce soldat des forces spéciales, que nous appellerons Mazen et dont nous avons modifié la voix, a choisi de se livrer malgré tout. Il raconte le quotidien de ses frères d’armes que la crise économique frappe de plein fouet.
« Un soldat comme moi, il y a 3 ans, gagnait l’équivalent de 1 200 $ par mois. Aujourd’hui, notre salaire vaut à peine 80 $. Alors, j’ai trouvé un boulot à côté : je me suis lancé dans le commerce de voitures. Ça me rapporte 100 à 200 $ par mois. Certains camarades ont ouvert une épicerie, d’autres sont devenus chauffeurs de taxi… on tente de survivre. »
Des défections de plus en plus courantes
Comme la plupart de ses collègues, Mazen ne va plus à l’armée que deux jours par semaine. Un arrangement qui s’est fait avec l’aval de sa hiérarchie, consciente que son maigre salaire ne lui permettait plus de faire vivre sa femme et ses deux enfants. Une tolérance devenue monnaie courante dans l’armée libanaise, pour éviter des vagues de désertions.
« Dans mon unité, avant, nous étions 1 500. Aujourd’hui, nous sommes environ 400 de moins. J’en connais beaucoup qui se sont enfuis en disant qu’ils partaient en week-end à l’étranger et qui ne sont jamais revenus. Alors pour éviter ça désormais, nous avons interdiction de voyager. Ils nous ont même retiré nos passeports. »
Avec fierté, Mazen nous dévoile ses jambes et son torse couverts de cicatrices, stigmates des combats contre les jihadistes de l’organisation État islamique. Mais aujourd’hui, l’armée n’a plus les moyens de soigner ni de soutenir financièrement ses blessés de guerre.
« Moi, je suis devenu militaire parce que j’aimais l’armée, parce que j’aimais mon pays et que je voulais le défendre. Mais nous sommes arrivés à une situation intenable. Je me sens humilié. La meilleure solution maintenant, c’est de quitter ce pays. »
L'armée, un dernier rempart qui se fissure
Mazen a bien conscience que son départ, comme celui de nombre de ses camarades, affaiblira durablement une institution déjà à bout de souffle. Dans un pays failli, rongé par la corruption et le repli communautaire, l’armée libanaise multiconfessionnelle est souvent présentée comme l’un des derniers remparts contre le chaos.
« Il va y avoir une guerre civile, c’est sûr… Et les gens s’enfuiront à l’étranger. Les milices de partis politiques ouvriront les frontières pour que tous les militaires s’en aillent, et pouvoir faire leur guerre tranquille. Chacun défendra son camp. Les chiites défendront les chiites, les sunnites, les sunnites, et les chrétiens, les chrétiens. C’est une évidence. »
Sur les 60 000 soldats du pays du cèdre, 2 500 auraient fait défection depuis le début de la crise. L’armée libanaise vit aujourd’hui sous perfusion de la communauté internationale, dernier filet de sécurité pour maintenir la paix dans un pays en plein effondrement.
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