Être journaliste à Gaza, ou comment couvrir un conflit quand on le vit en même temps?
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Les traces de la guerre en mai dernier sont encore présentes partout sur la bande de Gaza où vivent plus de 2 millions de Palestiniens. Sur place, il y a aussi tous ces journalistes gazaouis, ceux qui informent le monde les premiers, au risque de leur propre vie. Comme la majorité de la population à Gaza, ils sont épuisés psychologiquement et gardent des séquelles des derniers bombardements et du stress de ces jours.
Il y a eu cette guerre, celle des 11 jours en mai dernier, où les journalistes ne quittaient pas le terrain, ne comptaient plus le temps passé dans les hôpitaux, voyaient les victimes, interviewaient les survivants. « À Gaza, être journaliste, c’est couvrir tout ça, et le vivre à la fois », raconte Hosam Salem, 32 ans, photojournaliste freelance depuis 13 ans. « Il y a aussi l’après-guerre et les difficultés quotidiennes », dit-il.
« Freelance à Gaza, vous n’avez aucune agence internationale ou média qui vous donne des gilets pare-balles ou des casques de sécurité. Alors qu’ici, c’est une zone de conflit, on en besoin pour travailler. L’autre chose, c’est le manque d’équipement à Gaza : avec le blocus israélien depuis 15 ans, il n’y a pas beaucoup d’appareils photo, pas de caméra… tout ça complique les choses.
Notre seule solution, c’est d’acheter ce que le marché de Gaza a en stock et les prix sont vraiment bien plus chers. Et évidemment, on le paie de notre poche quand on est journaliste pigiste. Et puis, le pire, évidemment, c’est qu’on a toujours en tête cette idée cauchemardesque qu’on va, un jour peut-être, devoir prendre une photo d’un ami ou de quelqu’un de notre famille décédé. »
Une peur constante, partagée chez tous ces photographes et journalistes. Car Gaza, c’est petit. « Vous connaissez beaucoup de monde », précise Sami Ajrami, 54 ans, journaliste gazaoui pour une agence italienne.
« C’est très difficile pour nous de faire le travail, car on connait les personnes, ce sont parfois des amis. Et réussir à communiquer avec ces gens, et parfois, devoir poser la question difficile, c’est très compliqué. Ça te pousse vers tes limites. L’un des moments où j’étais si nerveux, et si touché, c’était quand j’ai essayé d’interviewer quelqu'un qui avait passé sept jours en soins intensifs, et il venait de se réveiller. Je voulais l’interviewer, savoir ce qui lui était arrivé. Il avait été blessé le premier jour de la guerre. La famille de cet homme m’a dit : "S’il vous plait non ! Ne l’interviewez pas parce qu’il ne sait toujours pas que son fils a été tué et ça peut le tuer". »
À Gaza, les guerres reviennent toujours, elles font ressortir des traumatismes. L’une des filles de Sami, 17 ans, a été touchée en 2012. Elle a perdu sa main. Il sait qu’elle panique lors des bombardements, mais lui, est sur le terrain. Et il sait ce que c’est, il comprend les habitants qu’il interroge, ceux qui ont des comportements nerveux, agressifs, des yeux dans le vide. « Nous, journalistes, on est tous devenus plus au courant des symptômes post-traumatiques. »
Mais comme lui, tous continuent, avec ce même message : « Si on ne fait pas notre travail, qui s’en chargera ? »
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