Au Liban, le spectre de l'insécurité alimentaire
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La guerre en Ukraine menace la sécurité alimentaire de nombreux pays importateurs. Le Liban en est un exemple : 80% de son blé provient d'Ukraine et 15% de Russie. Et ce alors que le pays s’enfonce depuis quelques années dans une crise économique et financière historique. Reportage.

De notre envoyé spécial,
Les pains sortent du fournil situé à l’arrière de la boulangerie. Sagement alignés sur un tapis roulant, ils arrivent en continu dans la boutique où ces pains traditionnels libanais, ronds et plats, sont empaquetés par lot de sept.
Jean Nohra estime qu’il produit 3 000 de ces paquets de pain chaque jour. Il est le patron de cette boulangerie de la plaine de la Bekaa, dans le nord-est du Liban où il emploie 25 personnes. « Depuis la crise ukrainienne, ils ont commencé à nous baisser la quantité de farine. Ça a diminué de moitié. Et ça continue à baisser. »
Le gouvernement libanais contrôle l’utilisation du blé importé. Un quota est réservé aux moulins industriels, mais la farine se fait un peu plus rare et Jean le boulanger se démène pour trouver d’autres fournisseurs.
Il guette également les annonces du mercredi puisque le pain est subventionné et que son prix est fixé par le gouvernement. Le paquet de pain a déjà augmenté, passant à 11 000 livres. Cet aliment de base reste accessible dans un pays confronté à l’hyper-inflation et à la dévaluation, mais jusqu'à quand ?
Antoine Seif possède une boulangerie industrielle dans la région du Mont-Liban. Il estime que le gouvernement n’agit pas assez et pas assez vite. « L’essentiel de notre consommation de blé vient d’Ukraine. Sachant cela, pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas déjà trouvé d’autres marchés pour nos importations ? Il aurait pu le faire depuis un mois et jusqu'à présent, il n’a signé aucun contrat. Il n’y a aucune stratégie. »
Crainte d'une crise alimentaire
Le gouvernement libanais assure le contraire, explorant de possibles nouveaux contrats, avec l’Inde notamment. Le ministre libanais de l’Économie, Amin Salam, nous reçoit dans son bureau. Il ne nie pas le problème. « Le Liban fait partie des pays vulnérables sur le plan de la sécurité alimentaire. Nous voyons que les produits existent : beaucoup de pays fournisseurs nous disent qu’ils ont du blé, du sucre, de l’huile, etc. Mais les prix montent en flèche : 40, 60 parfois même 100%. C’est le résultat d’une accumulation de défis : d’abord le Covid et maintenant la guerre en Ukraine. »
Amin Salam estime que la situation, incertaine aujourd'hui, pourrait devenir problématique dans moins de six mois. Le ministre de l’Économie en appelle à la communauté internationale pour soutenir le Liban qui devra faire face à une inévitable flambée des prix sans capacité financière pour amortir un nouveau choc, dans un pays qui connait une crise économique et financière « l’une des plus graves depuis le XIXe siècle » selon la Banque mondiale.
► À écouter aussi : Liban: comment vit-on dans un pays en crise?
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