Reportage international

Malaisie: le voile, un sujet de débat difficile

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Les mouvements de protestations en Iran sur le port du voile après la mort de Mahsa Amini suscitent des réactions diverses dans les pays musulmans. En Malaisie, le sujet reste difficile à aborder. Le voile n’y est pourtant pas obligatoire pour les musulmanes, mais les derniers sondages à ce sujet notent une pression grandissante à le porter et certaines intellectuelles déplorent, elles, un manque de débat autour de ce sujet souvent plus politique et historique que religieux.

Des femmes musulmanes malaisiennes pendant la prière, lors de la fête islamique de l'Aïd al-Adha dans une mosquée de Shah Alam, en Malaisie, le mercredi 22 août 2018. (Image d'illustration).
Des femmes musulmanes malaisiennes pendant la prière, lors de la fête islamique de l'Aïd al-Adha dans une mosquée de Shah Alam, en Malaisie, le mercredi 22 août 2018. (Image d'illustration). © Yam G-Jun / AP
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Siti Kasim fait partie des rares Malaisiennes à s’être rendue cette semaine devant l’ambassade d’Iran pour déposer une bougie honorant la mémoire de Mahsa Amini. Un bref moment qui a valu à cette avocate d’être interrogée par la police. Quelques jours après cela, cette Malaisienne musulmane qui aime coiffer ses cheveux en chignon déplore le peu d’intérêt pour le mouvement de protestations en Iran dans son pays. « C’est vraiment décevant que le gouvernement, les politiciens, les médias grand public ne parlent même pas de cela, observe-t-elle, heureusement qu’il y a Twitter pour s’informer sur cela ! »

Mais si l’avocate est déçue de ce silence politique dans son pays où désormais la majorité de ses concitoyennes musulmanes sont voilées, elle n’en est pourtant pas vraiment surprise. « D’année en année, poursuit-elle, je vois de plus en plus les politiciens utiliser la religion musulmane comme un outil pour inciter la majorité de la population qui est musulmane à voter pour eux, en se posant comme des défenseurs puritains de l’islam. Or ce qu’il faut bien comprendre, c’est que dans le pays multi-ethnique qu’est la Malaisie, l’islam est toujours étroitement lié avec l’ethnie majoritaire que constituent les Malais. Cette ethnie comme cette religion sont inscrites sur nos papiers d’identité et il est impossible d’en changer. Et ces dernières décennies, l’identité malaise s’est presque entièrement résumée à la religion, à une certaine pratique de la religion. Lorsque j’étais enfant pourtant, dans les années 1980 et 1990, on voyait très peu de femmes malaises voilées, et l’on voyait même des hommes malais sur les publicités boire de la bière Guinness ! Mais aujourd’hui, note Siti Kasim, une femme malaise non voilée comme je le suis est souvent diabolisée, on est souvent perçue comme des femmes sans morales »

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Un ressenti confirmé par l’enquête réalisée auprès de 675 femmes musulmanes par l’association féministe malaisienne Sisters in Islam et l’institut de sondage Ipsos en 2019. 83% d’entre elles pensent que le fait de porter ou non le voile relève d’un choix personnel comme d’un droit, mais 90% d’entre elles considèrent que cela demeure une nécessité en tant que musulmane. 

Maryam Lee est une autrice malaisienne qui a elle changé d’avis à ce sujet, et raconte ce parcours dans un livre, Unveiling Choice : « On m’a dit de porter le hijab à neuf ans et je ne me suis pas posé de question à cet âge-là, se rappelle-t-elle. J’ai juste accepté ça, les gens me disaient de ne pas poser de questions, et comme lorsqu’on est enfant, on cherche l’approbation de ses pairs, on veut être accepté et aimé par la société. Donc, j’ai seulement commencé à me poser des questions quand je suis allée à l’université. Jusque-là, je ne savais pas que je pouvais choisir de ne pas être voilée, on ne m’avait jamais dit ça, on m’avait dit : “Porte le hijab ou sinon tu iras en enfer”. Et, dit comme ça, ce n’est vraiment pas un choix. »

« Soyez invisibles, si vous êtes visibles, vous allez attirer tous les hommes »

À l’université, la jeune femme qui est aujourd’hui trentenaire raconte s’être soudainement passionnée par les raisons historiques de l’évolution du port du voile en Malaisie.

C’est un changement graduel, qui a en fait commencé dans la classe moyenne. Ce sont les étudiantes à l’université qui ont commencé à se voiler en premier dans les années 1970 et 1980. Un mouvement étudiant célèbre à l’époque a commencé à porter le hijab comme un signe de contestation, de refus du contrôle, en fait le hijab était alors un symbole de lutte. Ensuite, la classe ouvrière a imité ces étudiantes, à un moment dans l’histoire où les femmes sont devenues de plus en plus actives dans le monde du travail. Or à cette époque, le travail le plus évident pour les femmes, c'était d’aller à l’usine. Car comme on les payait moins, on les employait massivement. Du coup, beaucoup de jeunes filles qui venaient de la Malaisie rurale partaient vers les grandes villes. Et la société dans son ensemble a commencé à avoir une peur, à se dire : “Qui va surveiller nos filles en ville ?” Donc, la société a commencé à réfléchir à des moyens qui pourraient amener les femmes à se surveiller elles-mêmes, à penser qu’elles ne doivent pas attirer l’attention. Et une des choses qui étaient dites aux femmes musulmanes, c'était “soyez invisibles, si vous êtes visibles, vous allez attirer tous les hommes.” 

Lorsque quelques décennies plus tard, Maryam Lee a finalement décidé de retirer son voile, elle s’est vu devenir l’objet d’une controverse dans sa propre famille. Un émoi qui lui en a rappelé un autre, une génération avant elle. « Ce qui est drôle, développe-t-elle, c’est que ma mère n’a commencé à porter le hijab qu’à l’adolescence, car sa mère à elle ne portait pas de hijab ! Ce n’était pas la coutume à l’époque. Et ma mère m’a dit une fois que quand elle a décidé de porter le voile, sa mère était très énervée. Donc, imaginez : la génération de ma grand-mère était en colère contre la génération de ma mère qui voulait porter le hijab, et maintenant la génération de ma mère est énervée que ma génération puisse vouloir ne pas porter de voile. » 

 Avec cet éclairage historique et familial en tête, Maryam Lee s’attache donc à défendre dans son livre, qui n’a pas manqué de susciter diverses critiques, le choix pour toute femme de se voiler comme de ne pas se voiler, et d’inciter la société en général à veiller à ce que cette décision soit libre et éclairée. 

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