Reportage international

Ces femmes venues de Russie pour accoucher d'un bébé argentin

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Pourtant habituée de longue date à recevoir des migrants du monde entier, l’Argentine accueille depuis un an un courant migratoire particulier : des femmes russes qui, par centaines, viennent y accoucher, dans des hôpitaux publics ou privés, où elles forment des files d’attente pour des rendez-vous. Un choix a priori inattendu qui s’explique en deux mots : médecine et passeport.

Quelque 2 000 à 2 500 femmes russes seraient venues accoucher en Argentine en 2022, selon des estimations.
Quelque 2 000 à 2 500 femmes russes seraient venues accoucher en Argentine en 2022, selon des estimations. © Getty Images/Karl Tapales
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De notre correspondant à Buenos Aires,

Combien sont-elles ? Plusieurs centaines, c'est sûr, quelques milliers sans doute. Elles, ce sont ces femmes russes qui, depuis un peu plus d’un an, sont venues en Argentine pour… accoucher. Quelque 2 000 à 2 500 en 2022, estime-t-on. Début 2023, on en attendait entre 10 000 et 15 000 cette année, selon divers recoupements.

Dans certains quartiers de Buenos Aires, on entend parler russe plus souvent qu’avant, et ce ne sont pas des groupes de touristes qui se promènent sous la conduite d’un guide, mais de jeunes mamans qui papotent ou des couples qui échangent dans des cafés des quartiers chics, tout en surveillant leurs bébés en poussette. Et, dans les salles d’attente des maternités de certains hôpitaux, des panneaux en cyrillique viennent doubler les consignes en espagnol !

Plusieurs raisons à l’origine de ce phénomène, nouveau en ce qui concerne les Russes, mais relativement courant en Argentine, pays d’immigration, où il n’est pas rare que des femmes des pays voisins viennent y accoucher. Mais là, il s’agit généralement de personnes d’origines modestes, alors que ces nouvelles et lointaines arrivantes sont manifestement de classe moyenne et plutôt aisées.

Autour d’un brunch, dans un café de Recoleta (l’équivalent du XVIe arrondissement à Paris), Dina raconte, tandis que Sacha (c’est un nom d’emprunt), son mari, trentenaire comme elle, berce la petite Emilia, tout juste six mois : « En février 2022, quand la Russie a commencé la guerre contre l’Ukraine, nous avons décidé de quitter le pays. J’étais alors enceinte et nous avons cherché un endroit dans le monde où notre enfant pourrait grandir dans une bonne ambiance. » Le couple s’est rapidement décidé pour l’Argentine, dont on leur avait vanté la « médecine gratuite et de qualité ».

Un passeport sésame

Emilia est ainsi née dans d’excellentes conditions dans un hôpital public de la capitale argentine, le Fernández. Le couple ne regrette pas son choix : Sacha, ingénieur qui travaille en distanciel pour une entreprise étasunienne et cherche à se placer sur le marché local (mais en visant toujours des multinationales), est enthousiaste : « Nous avons une excellente qualité de vie, le climat est bon, surtout si on le compare à celui de notre pays, et les gens sont accueillants ; dans la rue, il arrive que l’on nous arrête pour nous dire des choses gentilles sur Emilia ! » Sauf accident, Dina et Sacha vont s’installer dans le pays. Cela leur sera d’autant plus facile que, du fait d’y être née, Emilia en a la nationalité, dont les parents, qui ont automatiquement obtenu la résidence, pourront y bénéficier dans deux ans.

C’est ce passeport sésame qui a été la première motivation d’une autre jeune femme russe, Mina (encore un nom fictif) pour venir accoucher en Argentine. Nous prenons un café ensemble, à Barrio Norte (quartier proche de Recoleta), où elle habite. Elle est venue seule, tandis que son mari travaille et que sa mère, qui a fait le voyage de Moscou dès la naissance de David, garde le bébé. Une nounou est en cours de recrutement. « Je voulais un bon passeport pour mon enfant, qui lui permette de circuler librement dans le monde, dit-elle. On m’a orienté vers l’Argentine et j’ai découvert qu’en plus de l’enfant, les parents y avaient droit, c’est encore mieux ! » Très important pour le couple : « Si le russe est désormais un mauvais passeport, compte tenu des restrictions qui ont suivi la guerre, celui de mon mari, qui est africain, est encore pire ! » Qui plus est, Mina a découvert les bontés de la médecine argentine : « Publics ou privés, tous les hôpitaux sont meilleurs les uns que les autres ! Et comme les mêmes médecins travaillent dans les hôpitaux publics gratuits et dans les cliniques privées payantes, nous avons évidemment choisi le public, en prenant simplement une assurance pour l’accouchement ». David est ainsi né à l’hôpital Finochietto.

À la recherche d'une médecine de qualité, gratuite

D’autres femmes, surtout si elles viennent seules, mais aussi des couples, choisissent le privé, dont les tarifs, selon Kirill Makoveev, le fondateur de RuArgentina, « sont loin d’être prohibitifs si on les compare avec ceux en vigueur en Europe ». Cette société de services, qui propose diverses formules d’accompagnement aux Russes qui viennent en Argentine, a fortement augmenté ses activités avec la vague actuelle des femmes qui viennent y accoucher, même si la majorité de celles-ci, en particulier quand elles sont en couple, se débrouillent par leurs propres moyens. Le bouche-à-oreille et les réseaux sociaux (sur WhatsApp et Telegram, de nombreux groupes de mamans et futures mamans russes en Argentine fonctionnent comme des réseaux d’information et d’entraide) suffisent souvent et, une fois sur place, des amitiés se créent (certaines se sont connues en salle d’attente !).

Quels que soient les circuits, c’est l’existence d’une médecine de qualité, gratuite et l’accès généreux à une nationalité dont le passeport est admis sans visa dans 185 pays qui sont les facteurs déterminants de ce mouvement de femmes russes qui viennent accoucher en Argentine. On peut noter que c’est en gros pour les mêmes raisons que des femmes enceintes d’origine modeste des pays voisins (Bolivie, Paraguay, Pérou, Chili…) traversent la frontière. Dans les cas des Russes de classe moyenne, on peut y ajouter l’attrait d’une certaine qualité de vie et l’accueil chaleureux d’un pays habitué à recevoir des migrants de longue date (dont des Russes dès le XIXe siècle, au point que la communauté de cette origine y est la plus importante d’Amérique latine).

Le facteur déclenchant de ce mouvement est évidemment la guerre, qui a bouleversé la vie de beaucoup en Russie. Mais aussi, ajoute Kirill Makoveev, « les sanctions européennes, qui touchent peu le gouvernement, mais affectent les classes moyennes et classes moyennes aisées, en les privant d’un style de vie à l’occidentale, qu’ils retrouvent aussi en Argentine ».

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