Reportage international

En Turquie, des réfugiés syriens dans la crainte de l'expulsion

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Il y a deux semaines, le président Erdogan a annoncé que le « retour volontaire des réfugiés s’accélérerait avec la stabilisation de la situation en Syrie. » Dans les faits, cela se traduit par des expulsions et des reconduites à la frontière. À Istanbul, mi-juillet, près de 5 000 migrants en situation irrégulière ont été arrêtés. De nombreux Syriens ne sortent donc plus de chez eux.

Ces derniers mois, les autorités turques ne renouvellent plus les permis de résidence des Syriens réfugiés dans le pays.
Ces derniers mois, les autorités turques ne renouvellent plus les permis de résidence des Syriens réfugiés dans le pays. © AFP/Can Erok
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De notre correspondante à Istanbul,

Depuis le 9e étage de leur immeuble, Khuder et sa femme Amani ont une vue imprenable sur Istanbul. Ils n’en sont presque pas sortis depuis un an. Car dans leur quartier, les contrôles de police se multiplient. « Vous voyez ce petit coin ? C’est mon seul espace à Istanbul. Je suis assise ici tout le temps, indique Amani. Nous ne pouvons même pas aller nous balader dans le parc, juste là. C’est seulement à trois minutes à pied. C’est comme si nous étions en prison. »

Enfoncé dans son canapé, Khuder passe en revue ses quelques occupations. Ces derniers temps, il n’arrive même plus à passer un coup de fil à ses proches. Il est sous anti-dépresseur. « C’est fou, tu finis par perdre la tête. C’est une situation dingue d'enchaîner les journées exactement de la même façon, explique-t-il. Le jour et la nuit n’ont plus aucun sens, car de toute façon, tu passes ton temps dans ton lit. La vie n’est pas facile, mais j’essaie de rester positif. »

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Climat de suspicion

Ces derniers mois, les autorités turques ne renouvellent plus les permis de résidence des Syriens. Alors Khuder le répète, sa seule solution, c’est de traverser clandestinement vers l’Europe.

« Il y a deux voies depuis la Turquie, soit par la mer jusqu’en Grèce, soit par la terre jusqu’en Bulgarie, puis par la Serbie », décrit-il. Sa femme Amani souligne tout de même que « cela coûte 600 dollars ». « Oui, et il y a souvent des histoires tragiques sur ces routes », ajoute Khuder. « Il y a par exemple cette histoire connue. Des dizaines de migrants étaient cachés dans un camion. Le chauffeur a pris peur en voyant la police et a fui. Les migrants sont morts dans le camion, asphyxiés. » Amani semble catégorique : « Je pense que je ne le laisserai pas partir sans moi, car c’est trop risqué... »

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Dans ce climat de suspicion, rares sont les Syriens rencontrés dans les rues d’Istanbul qui acceptent de parler. L’un d’eux nous invite dans son kebab, à l'abri des regards.

« Les expulsions, c’est vraiment effrayant. On ne sait pas s’ils arrêtent seulement les Syriens sans papier, ou aussi ceux en situation régulière, relate-t-il. Moi par exemple, j’ai trois enfants. Deux d’entre eux, ainsi que ma femme, ont acquis la nationalité turque. Mais moi et mon petit dernier, nous n’avons pas la nationalité. Tous les jours, j'ai peur que l’on m’arrête. Car si cela arrive, notre famille sera éclatée. Une partie restera ici en Turquie, l’autre sera en danger en Syrie. »

Crise économique et montée du nationalisme chez les Turcs

Ces dernières années, les violences contre les quelque 3,6 millions de Syriens se multiplient. Omar est un journaliste originaire de Damas. Cette situation, il l’explique par la crise économique et la montée du nationalisme.

« Les Turcs, jusqu’en 2015, ils acceptaient les Syriens. Petit à petit, les conditions de vie sont devenues insupportables. L’inflation a beaucoup augmenté, les gens ne trouvent pas de travail, il n'y a pas de boulot. Et qu'a dit Erdogan ? Nous allons payer pour les Syriens 40 000 milliards de dollars. Petit à petit, leur position envers les Syriens a changé. »

En mai dernier, le gouvernement turc a annoncé construire près de 250 000 logements dans le nord de la Syrie afin d’y accueillir les réfugiés syriens.

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