Kosovo: la difficile tâche de juger les crimes de l'UÇK
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Justice sera-t-elle un jour rendue pour les crimes de guerre imputés à l'Armée de libération du Kosovo ? Le procès de l'ancien Président Hashim Thaçi et de trois de ses lieutenants s'est ouvert en avril dernier à La Haye devant les Chambres spécialisées. Mais cette justice, bien tardive, semble poser plus de questions, que d'apporter de réponses.

De notre correspondant à Pristina,
Comme chaque été, la diaspora, nombreuse, est de retour au Kosovo pour voir la famille restée au pays et marier ses enfants. Cette année, la nouveauté pour celles et ceux qui reviennent, ce sont les grandes affiches à la gloire de l'UÇK, qui proclament « la liberté à un nom » : celui d'Hashim Thaçi, ancien chef politique de la guérilla albanaise, longtemps l'homme fort du petit pays. Son procès, comme ceux des autres anciens commandants, beaucoup le rejettent, explique Visar Ymeri, qui dirige le think tank social-démocrate Musine Kokalari.
« Les gens au Kosovo regardent d'un mauvais œil les procès qui se tiennent à La Haye devant les Chambres spécialisées. Ils ne les acceptent pas parce qu'ils ont le sentiment que l'on juge la guerre de libération qu'a menée l'UÇK pour le Kosovo. Or, pour les gens, juger cette guerre revient à juger le désir des Kosovars de se libérer de la Serbie et d’obtenir l'indépendance. Je crois que si ces accusés étaient jugés pour les crimes qu'ils ont commis en tant qu'élus, pour leur corruption par exemple, les réactions seraient bien différentes. »
« Aucune guerre n'est propre »
De nombreux Albanais du Kosovo ont l'impression qu'on juge les victimes de la guerre de 1999 face à la Serbie, plutôt que les agresseurs.Juste avant que le procès d'Hashim Thaçi et de ses lieutenants ne commence au printemps dernier, une grande manifestation de soutien a d'ailleurs réuni des dizaines de milliers de personnes à Pristina. L'activiste Rron Gjinovci a été l'un des rares à oser publiquement s'y opposer. Cela lui a valu de vives critiques et des accusations de traitrise. Ce trentenaire appartient à la nouvelle génération, plus critique vis-à-vis des anciens de l'UÇK et notamment du mythe de sa guerre propre.
« Aucune guerre n'est propre, c'est certain. Le fait que cette guerre n'a pas été propre a d’ailleurs été confirmé par les avocats des inculpés. Faire la lumière sur certaines affaires, qui ont coûté des vies humaines, est primordial pour toute société, y compris pour le Kosovo. »
Il faut dire que les avocats d'Hashim Thaçi et de ses co-accusés plaident le fait que leurs clients n'étaient pas au courant des exactions commises par leurs troupes. Autrement dit, qu'ils ne commandaient donc pas vraiment l'UÇK, une guérilla à la hiérarchie mal établie, assurent-ils aujourd'hui. Voilà un discours qui agace profondément Rron Gjinovci.
« C'est choquant pour le public au Kosovo parce que ces personnes ont été pendant longtemps au pouvoir, en surfant sur l'héroïsation de la guerre qu'ils ont menée. Entendre leurs avocats dire qu'ils n'ont rien fait est donc scandaleux. Beaucoup de gens se sentent trahis, ils se disent qu'on leur a menti : ces accusés ne seraient donc pas les héros qu'ils prétendaient être puisqu'ils le renient eux-mêmes aujourd'hui. »
Un procès mal accepté
Même si leur légende commence à s'effriter, les anciens commandants de l'UÇK aujourd'hui jugés devant les Chambres spécialisées de La Haye conservent une solide base de fidèles en tant que « héros de guerre ». Beaucoup regrettent que ce procès ne soit qu'un nouveau coup d'épée dans l'eau : jusqu'à présent, la justice n'a pas permis de faire la lumière sur les crimes de guerre, préalable nécessaire pour favoriser la réconciliation au Kosovo. C'est ce que constate Bekim Blakaj, du Centre pour le droit humanitaire, une ONG serbo-kosovare.
« On espérait que ce tribunal nous donnerait des réponses très importantes à nous tous, en tant que société. On pensait par exemple qu'on pourrait peut-être enfin savoir s'il y avait eu ou non du trafic d'organes. Or, ce crime ne figure dans aucun des actes d'accusation émis. Voilà entre autres pourquoi nous ne sommes plus optimistes, comme nous l'étions au moment de son ouverture. »
Les Chambres spécialisées ont en effet été créées, sous pression occidentale, après la publication d'un rapport du Conseil de l'Europe suspectant un trafic d'organes prélevés sur des prisonniers de l'UÇK, surtout les Serbes. La principale difficulté de cette Cour, c'est d'établir des preuves de culpabilité alors qu'il n'existe presque aucune trace écrite des ordres de la guérilla. L'accusation repose donc presque entièrement sur la parole des témoins, anonymisés et très protégés pour éviter les pressions. Sauf que toutes ces précautions alimentent les théories complotistes et limitent la confiance dans l'impartialité de cette justice, déjà mal acceptée. Chaque camp, Albanais comme Serbe, pourra donc exploiter ces failles pour nier les verdicts et camper sur ses positions antagonistes.
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