Reportage international

Corée du Sud: un an après le drame d’Halloween, les familles attendent toujours des réponses

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Le 29 octobre 2022, une soirée d’Halloween a tourné au cauchemar en Corée du Sud et 159 personnes sont mortes. Les images de personnes compressées les unes contre les autres dans le quartier d’Itaewon ont choqué dans le monde entier. Mais un an plus tard, les familles demandent toujours une enquête indépendante et dénoncent l’inaction des autorités.

Lee Jung-min, président des familles endeuillées, devant le mémorial situé aux abords de la mairie de Séoul.
Lee Jung-min, président des familles endeuillées, devant le mémorial situé aux abords de la mairie de Séoul. © Nicolas Rocca / RFI
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De notre correspondant à Séoul,

« Elle me manque énormément ». Douze mois plus tard, Yoo Hyeong-woo, n’est pas prêt à tourner la page. « L’ambiance de l’automne nous fait penser à cette tragédie, on sent que la population est aussi traumatisée. De plus en plus de gens viennent se recueillir et pleurent devant les portraits. »

Face au mémorial où trônent les jeunes visages des morts d’Itaewon, le vice-président de l’association des familles endeuillées est ému en voyant des passants déposer un message de soutien. « Pour nous, la solidarité de la population est d’autant plus primordiale que le gouvernement essaie de faire oublier ce drame ». Ce père de famille veut pouvoir dire à ses enfants ce qui a entraîné la mort de leur sœur Yoo Yeon-ju.

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Une nuit maudite

Ce premier Halloween post-pandémie devait être une grande fête. Plus de 100 000 personnes s’étaient réunies à Itaewon, le quartier iconique des festivités de fin octobre. Bien trop pour les 137 policiers présents. Un chiffre d’autant plus infime comparé aux 6 500 agents déployés à quelques kilomètres pour encadrer une manifestation. « Les années précédentes, des policiers géraient la circulation, mais pas là », souffle Lee Jung-min, président de l’association qui s’est rendu dans le quartier le soir où sa fille, Lee Joo-young est morte. Alors que le trafic routier n’est pas bloqué dans l’avenue principale, la foule s’amasse dans les étroites allées adjacentes.

Dès 18h34, les secours reçoivent de premiers appels alertant explicitement sur le risque d’accident grave. Dix autres suivront avant 22h20, lorsque la fête s’est transformée en tragédie. Dans la petite allée inclinée, certains commencent à perdre l’équilibre. Les gens tombent les uns sur les autres, des centaines de personnes compressées sont incapables de respirer. « Un an s’est écoulé et rien n’a été révélé ». Lee Jung-min veut qu’on lui explique l’impréparation des autorités, l’absence de réaction malgré les multiples messages d’alertes et la réponse désordonnée des secours. « Ce soir-là, j’ai vu des victimes abandonnées, sans aide, alors qu’elles étaient en train de mourir ».

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Où en est l’enquête ?

En dépit de ces éléments, aucun haut responsable n’a été inquiété. Vingt-trois personnes ont été inculpées, majoritairement des policiers. Mais pour Yoo Hyeong-woo et l’association des familles, la chaîne de responsabilité est claire : « Le maire de l’arrondissement, les officiers de police, le commissaire de la police de Séoul, de la police nationale, le maire de Séoul, et le ministre de l’Intérieur, tous doivent prendre leurs responsabilités et se retirer pour qu’une enquête sérieuse et indépendante soit menée ». Une motion de censure a été votée au Parlement à l’encontre du ministre de l’Intérieur Lee Sang-min, mais invalidé par le Conseil constitutionnel.

Principal point de défense de l’exécutif, l’absence d’organisateur désigné du festival d’Halloween, les empêchant de prévoir une telle foule. Les familles assurent que la présence policière était plus conséquente lors des précédentes éditions. L’administration du président Yoon Suk-yeol refuse de parler de « désastre » ou de « victimes », mais préfère les termes d’« accident » et de « décédés » quand elle évoque la tragédie.

Au mémorial, un mur de messages où chacun peut y laisser un mot de soutien et de compassion aux victimes et à leurs familles.
Au mémorial, un mur de messages où chacun peut y laisser un mot de soutien et de compassion aux victimes et à leurs familles. © Nicolas Rocca / RFI

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Accusés d’être des drogués, des Nord-Coréens

Pour Lee Ju-hyun, survivante du désastre, « le gouvernement cherche à fuir ses responsabilités en accusant les individus qui se sont rendus à Itaewon ». Le soir du drame, plus d’un tiers des effectifs de police étaient dédiés à la lutte contre les produits stupéfiants. « Dès le début, ils ont accusé les enfants d’être des drogués », assure Lee Jung-min. Pour les familles, l’enquête s’est bornée à tenter de prouver que les victimes étaient des consommateurs ou des trafiquants de stupéfiants. « Ils nous ont de nouveau traumatisés en demandant nos relevés de téléphones où de cartes de crédits », assure Lee Ju-hyun. « Six mois plus tard, je devais prouver que j’étais une victime alors que j’avais été transporté à l’hôpital depuis le lieu du drame ».

Un discours culpabilisateur qui a séduit une partie de l’opinion publique. Les familles ont été harcelées et insultées par des organisations d’extrême droite. « Le gouvernement a manipulé la vérité en insinuant qu’ils étaient morts parce qu’ils allaient dans les bars », assure Yoo Hyeong-woo. « Cela donne l’image qu’ils n’avaient pas à être là. Il y a même des youtubeurs qui répandent des fake news, en disant "c'étaient des Nord-Coréens… » Kim Gi-hyeon, le chef du parti au pouvoir, a sous-entendu le mois dernier que la Corée du Nord était derrière les manifestations en soutien aux familles.

Déterminés malgré le désespoir

À ces polémiques s’ajoute l’isolement pour les familles étrangères, selon Nari Kim. « Au début, ils refusaient de me donner le certificat de décès de mon frère, car j’étais étrangère ! » Autrichienne, mais coréanophone, elle tente de faire le lien avec certaines des familles des 26 victimes étrangères. « C’est quasiment impossible d’avoir des informations pour ceux qui ne parlent pas coréen. » Elle demande également que les coupables soient jugés et dénonce l’attitude des autorités sud-coréennes à leur égard. « Lorsque nous sommes venus après le drame. Ils n’arrêtaient pas de nous demander quand on partait du pays ».

Mais malgré le désespoir, les familles et les survivants restent déterminés. Vestes violettes sur les épaules, ils se relaient pour garder le mémorial qui héberge les portraits des victimes et les messages de soutien des passants. Adossée à la mairie, celle-ci le considère illégal et envoie des amendes toujours plus importantes à l’association. Mais elle refuse de quitter les lieux tant que ne débute pas une enquête indépendante.

Malgré leur peine, les familles des victimes souhaitent que la fête puisse avoir lieu

Si cette année les autorités assurent que la sécurité de chacun sera assurée, difficile de prévoir l’ampleur des célébrations. La peine est encore vive pour les familles qui demandent une enquête indépendante pour punir les coupables, mais qui ne demandent pas l’annulation des célébrations d’Halloween.

Lee Ju-hyun est une survivante de la tragédie du 29 octobre dernier, elle a affirmé vouloir retourner à Itaewon ce week-end pour rendre hommage aux victimes et rappeler que ce ne sont pas les fêtes d’Halloween sont responsables du drame. Un point de vue que partage Yoo Hyeong-woo, vice-président de l’association des familles endeuillées.

« Halloween pour moi ce n’est pas grand-chose, mais pour les jeunes de 20-30 ans, c’est une fête qu’ils célèbrent depuis qu’ils sont à l’école maternelle. J’espère qu’ils pourront continuer de se rassembler, de faire la fête avec des gens de partout dans le monde. J’espère que ça sera aussi un moment où l’on pense aux victimes d’Itaewon, qui sont mortes en profitant de leur jeunesse », souhaite Yoo Hyeong-woo.

Mais les familles n’ont pas oublié la longue liste de personnes qu’elles jugent responsable de la mort de leur proche. « Les personnes responsables, sont le ministre de l’Intérieur, tout d’abord car il est garant de la vie et de la sécurité des citoyens, et puis le commissaire de Police principale qui n’a pas géré la foule correctement, celui de la police métropolitaine de Séoul. Le maire de Séoul et le responsable de quartier, tous partagent la responsabilité de cette tragédie », assène Lee Jung-min, président de l’association des familles des victimes.

Suite à l’enquête menée par la police, aucun haut-responsable ne figure dans la liste de 23 personnes inculpées.

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