La menace d’un affrontement entre les Corées inquiète les habitants de Yeonpyeong
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À moins de deux kilomètres d’une frontière maritime contestée avec la Corée du Nord dans la mer Jaune, 2 000 Sud-Coréens vivent avec la peur d’un affrontement. Depuis le début de l’année, les tensions se sont intensifiées dans la zone et Pyongyang envoie des signaux inquiétants pour les habitants, bombardés en 2010.

De notre correspondant de retour de Yeonpyeong,
Sur le ferry reliant la petite île de Yeonpyeong à l’agglomération de Séoul, impossible de ne pas remarquer les uniformes des Marines sud-coréens. Des groupes de jeunes soldats discutent, jouent sur leur portable, profitent des dernières heures de permission avant le retour au service militaire. Ils représentent 30% des habitants de l’île, à deux heures de bateau de la capitale, mais située seulement à 12 km des côtes nord-coréennes.
Théâtre d’affrontement
Dans le petit port, les bateaux sont vides. Entre décembre et fin février, les pêcheurs ont l’interdiction de ramasser du crabe, la spécialité de l’île. Malgré le calme ambiant, Kim Yeong-sik est agité. Ce gérant d’une petite pension de l’île décrit une situation « particulièrement tendue » depuis le début de l’année. Car 2024 a débuté par un traumatisme pour l’homme de 73 ans. « Le 5 janvier, les hauts parleurs de la ville ont retenti pour nous dire de nous rassembler dans les abris après des tirs d'artillerie nord-coréens. On était très inquiets après l’expérience tragique de 2010 ». Une année ou après des mois d’escalade dans cette zone frontalière, Pyongyang avait bombardé l’île, faisant deux morts civils et deux morts militaires. Séoul avait répliqué sans que le régime nord-coréen ne communique sur un bilan des victimes. En 1967, 1999, 2002, la région avait aussi été le théâtre d’affrontements intercoréens.
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« En colère contre le gouvernement »
Ce passé trouble s’explique par la situation géographique de l’île, en bordure de la NLL (zone de limite nord en anglais) frontière proclamée par Séoul et la de facto ligne de démarcation entre les Corées dans la mer Jaune. Pyongyang rejette cette interprétation. Dans son discours face à l’assemblée populaire suprême le 15 janvier, Kim Jong-un a qualifié la NLL d’« illégale » et indiqué que toute violation de la frontière par le Sud serait une « déclaration de guerre ». Des mots qui inquiètent les habitants de l’île, car le Nord plaide pour une ligne de démarcation nettement plus au Sud. « Pendant 13 ans, on a entendu parler de l’amélioration de l’arsenal nord-coréen donc s’ils attaquent de nouveau il y aura nettement plus de dégâts, estime Kim Yeong-sik. Propriétaire d’une petite pension, il déplore le manque de clients, effrayé par la perspective d’un conflit qui débuterait à Yeonpyeong. « Nous sommes en colère contre le gouvernement, assure-t-il épousant ainsi les thèses de l’opposition démocrate. Nous risquons notre vie, notre emploi en vivant près de la frontière et c’est notre gouvernement qui fait se dégrader les relations intercoréennes »
L’arrivée du conservateur Yoon Suk-yeol au pouvoir au printemps 2022 a coïncidé avec une nette escalade militaire. Partisan d’une stratégie semblable à la loi du talion (œil pour œil, dent pour dent), il prône la réponse forte face aux opérations militaires du voisin. Après les prés de 200 tirs d'artillerie nord-coréens proches de la frontière le 5 janvier, Yoon a ordonné l’envoi de 400 obus sud-coréens dans la zone. Ce changement de stratégie par rapport à l’administration précédente ne s’est toutefois pas accompagné d’une évolution notable dans les procédures d’évacuation de l’île. « Nous nous efforçons à bien communiquer avec les habitants afin de pouvoir les évacuer et les mettre à l’abri à temps, explique Lee Hyeon-jun, employé municipal. On s’organise pour qu’ils se rendent dans l’un des abris, mais les mesures d’évacuations sont toujours similaires ».
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« Avant-poste »
Il faut dire qu’au gré de sept décennies de vie au bord du dernier vestige de la guerre froide, les habitants de Yeonpyeong ont intégré certains réflexes. « Je suis tellement habitué à cette situation, j’ai l’impression d’avoir vécu une vie entière en guerre » explique Kim Jin-hwa, 90 printemps et mémoire vivante de l’île. Née en Corée du Nord, elle est arrivée à l’âge de 16 ans, a survécu à la colonisation japonaise, à la guerre de Corée, et aux différents soubresauts qui ont agité la péninsule. Après le bombardement de 2010, elle a dû reconstruire les vitres de son restaurant, soufflées par les explosions. Cet investissement permis par les aides du gouvernement. « Si nous sommes soutenus par le gouvernement, c'est parce que nous sommes l’avant-poste de la Corée du Sud, assure Jin-hwa, un large sourire aux lèvres. Si l’endroit n’est pas habité, les nord-coréens débarquent ici en cinq minutes ».
Un scénario que refusent les autorités sud-coréennes. Pour éviter un exil, elles versent chaque mois entre 70 et 110 euros aux habitants. L’objectif est de créer les meilleures conditions de vie pour les habitants des cinq îles frontalières dans la mer Jaune, à l’image de la gigantesque école de Yeonpyeong qui accueille pourtant seulement 70 élèves de la primaire au lycée. « Nous sommes tous très vieux ici, et nous n’avons pas peur de mourir, explique Kim Jin-hwa, mais je ne veux pas transmettre cette situation à nos enfants et à nos petits-enfants. C’est très douloureux une vie au milieu de la guerre ».
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