Malaisie: préserver et protéger les connaissances des ulams, ces plantes qui apportent plaisir et santé
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En Malaisie, les « ulams » sont des plantes utilisées pour la cuisine et la médecine depuis des siècles. « Ulam » est un terme malais, mais leur utilisation et la connaissance de ces plantes viennent de tous les groupes ethniques de Malaisie. Seul problème : avec la mondialisation, une perte de savoir sur ces plantes se fait sentir, et inquiète certains chercheurs. Si les populations autochtones sont de moins en moins nombreuses, la déforestation et le réchauffement climatique accentuent aussi l’urgence de répertorier et de préserver ces plantes « historiques ».

Dans le jardin botanique de Kuala Lumpur, Lucie Benoit, chercheuse ethno botaniste française, regarde attentivement les plantes avec un objectif en tête : identifier les ulams. Ces derniers sont partout : en ville, dans les parcs, les jardins et même sur les trottoirs. Ces plantes sont aussi au cœur de la culture malaisienne, une culture multiethnique.
Lucie Benoit ne quitte jamais son carnet de notes et son appareil photo lors de ses déplacements en Malaisie. La chercheuse fait en effet partie de la Ulam School de Kuala Lumpur, et participe notamment à la sauvegarde du savoir des ulams. En les identifiant, elle tente ainsi de comprendre comment ces plantes s’intègrent dans la culture : « Mes recherches ont pour but de lister les ulams, et sauvegarder la connaissance autour de ces plantes. Elles nous apportent beaucoup choses très utiles pour notre époque, en termes de nutrition par exemple, pour combattre le diabète et l’obésité ».
Un point de vue partagé par Karen Yap, cheffe malaisienne à Kuala Lumpur. Dans son restaurant, les assiettes défilent et mettent souvent à l’honneur les ulams, au plus grand plaisir des clients : « Les légumes que nous consommons aujourd’hui sont issus de l’agriculture, mais on oublie que ces derniers étaient dans notre jardin, dans notre arrière-cour », explique la cheffe. « À côté de ça, nous surconsommons, car nous achetons beaucoup plus que ce que l’on devrait. À cause de l’agriculture de masse, nous perdons l’habitude de consommer de manière responsable, donc j’essaye de revenir vers les ulams. Les ulams sont consommés frais, ils sont généralement proches du consommateur. »
Karen Yap discute en effet régulièrement avec les Orang Asli (les populations autochtones de Malaisie) dans ses recherches culinaires, et se déplace aussi dans la forêt : « Je leur demande quels sont les ulams qu’ils sélectionnent naturellement... Et en fait, ils n’en consomment que quelques-uns, parce qu’ils sont proches d’eux. Quand on y pense, la vraie sécurité alimentaire, c'est d’avoir accès à tout, tant que c’est bon pour toi et bien pour la nature. Vous ne pouvez pas me dire qu’aller dans la jungle et trouver votre nourriture, ce n’est pas de la sécurité alimentaire » souligne-t-elle. Selon la cheffe, les Orangs Asli sont moins dans les villages tribaux avec la modernisation, et n’échangent plus autant qu’avant avec les anciens. Le risque d’une perte de transmission de savoir sur les ulams est donc réel : « Ce n’est pas juste les ulams, mais c’est plus globalement un héritage culinaire qui peut se perdre », s’inquiète Karen Yap. Préserver la connaissance autour de ces plantes comestibles est aussi source de belles découvertes gustatives, selon Sapna Anand, cheffe au Cordon bleu de Sunway, et auteure de plusieurs livres de cuisine : « À chaque fois, je découvre de nouveaux ulams au marché... Il y a des centaines et des centaines d’espèces. Les goûts sont à chaque fois différents. J’adore aller au marché et avoir les conseils des Malaisiens qui les vendent. Ils me disent comment ils les cuisinent » raconte-t-elle.
Chez les Orang Asli aussi, la préservation du savoir des ulams est une préoccupation. Le Major Kalam Pie, cofondateur de la Jungle School Gombak Malaysia, a vécu toute son enfance dans la jungle, et connaît bien les ulams, à des fins comestibles ou médicinales : « J’ai grandi dans la jungle où on apprend et on survit parce qu’on prend soin de la nature. Vous savez, pendant la Seconde Guerre mondiale, ma mère a survécu alors que les japonais nous ont confisqué tout le riz. Avec sa famille, ils ont survécu grâce au tapioca, au « Pra » aussi… C’est un fruit que tu trouves dans la jungle. C’est un peu toxique, mais nous, on sait comment procéder pour enlever la toxine », raconte-t-il, « La jungle produit l’oxygène, l’eau, la nourriture, tout. Et c’est suffisant pour que tout le monde puisse vivre. Détruire la nature, c’est une grosse erreur qu’on doit admettre dès à présent. »
Et dans un monde qui se dirige vers plus 4 degrés, les Orang Asli et les chercheurs le répètent : la préservation des ulams est aussi mise en danger par le risque de disparition de leur habitat.
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