Reportage international

Non-voyant, Patrick voit les choses en grand avec ses amis sur le marathon de Paris

Publié le :

La 47e édition du marathon de Paris a lieu dans les rues de la capitale française ce dimanche 7 avril 2024. Plus de 50 000 coureurs amateurs vont s’élancer, avec un seul et même objectif : franchir la ligne d’arrivée après 42 kilomètres d’effort intense. Parmi ces valeureux aventuriers, un groupe d’amis et membres du même club de course à pied à Bussy-Saint-Georges, dans l’est parisien, n’en est plus à son coup d’essai. Des dizaines de marathons courus cumulés à eux cinq, le tout avec une particularité : l’un d’entre eux est non-voyant depuis plus de 20 ans. Cela n’a pas empêché ces amis de continuer à vivre pleinement leur passion, malgré les obstacles. Cette année, plus que les autres, le message envoyé est fort.

De la gauche vers la droite : Véronique, Hervé, Patrick, Ghislain et Sylvain. Les cinq amis du club de Bussy-Saint-Georges visent quatre heures sur les deux marathons parisiens de 2024.
De la gauche vers la droite : Véronique, Hervé, Patrick, Ghislain et Sylvain. Les cinq amis du club de Bussy-Saint-Georges visent quatre heures sur les deux marathons parisiens de 2024. © Sophiane Amazian / RFI
Publicité

Malgré un fort vent d’ouest et de la pluie par épisodes, rien ne pouvait empêcher Patrick et ses amis de venir réviser leurs gammes près des deux lacs de Bussy-Saint-Georges. L’échauffement est très classique : de la course fractionnée pour augmenter le rythme cardiaque, entrecoupée d’exercices bien précis pour éviter la blessure, à quelques heures du marathon de Paris. Si leur allure tout à fait normale pour un marathonien n’a rien d’étonnant, il est difficile de croire que parmi les cinq coureurs du jour, l’un porte des lunettes noires... car il est aveugle, guidé par deux compères grâce à une ficelle.

« C’est Patrick qui me guidait »

La soixantaine d’années passée, Patrick a encore un physique élancé, reconnaissable parmi les coureurs chevronnés. La course à pied n’a plus de secret pour lui : « Cela fait une quarantaine d’années que je cours. J’ai couru seul jusqu’en 2002. Je suis atteint d’une maladie dégénérative de la vue qui m’a conduit à la cécité totale aujourd’hui », explique Patrick, posé aux alentours du lac. « C’est mon 15e marathon de Paris. On est très content de partager l’aventure avec mon ami Ghislain qui va me guider pour la première fois sur une telle course. J’espère qu’on prendra beaucoup de plaisir », avoue le principal intéressé, adossé à son binôme.

Ce sera une première en tant que guide pour le coureur d’origine réunionnaise, qui confie avoir eu un peu de pression lors des premiers entraînements : « Il m’a fait confiance dès la première sortie. J’ai été surpris car il m’a emmené vers des endroits particuliers, avec des obstacles sur la route. C’est lui qui m’a guidé finalement », lâche Ghislain. Il ajoute : « Il y a un certain nombre de gens porteurs de handicap qui souhaiteraient faire du sport, et par ce qu’on fait là, on peut les aider aussi. Le fait d’être aveugle n’oblige pas à attendre que ça passe, à rien faire. Il faut aller au-delà de ça. »

« J’ai découvert des choses que je n’aurais sûrement jamais connues en étant valide »

Le marathon de Paris n’est que la première étape d’une aventure humaine qui amènera le groupe d’amis jusqu’aux Jeux olympiques dans la capitale cet été. À la clé, une course de nuit avec 20 000 autres coureurs amateurs. Le marathon pour Tous sera l’occasion de reformer un duo. Patrick va retrouver son ami Hervé comme guide, pour boucler la boucle : « J’ai été le premier guide de Patrick en 2002, c’était il y a longtemps. C’est symbolique de se retrouver, car on est en fin de carrière, il ne nous reste plus beaucoup de courses à faire », ironise Hervé, cheveux au vent.

« L’objectif, c'est de se faire plaisir pendant les Jeux, participer à la fête et courir le plus longtemps possible ensemble », annonce Patrick sous le regard amusé d’une de ses camarades. Véronique, elle aussi amatrice des longues courses à pied, lâche : « Les connaissant, ils vont courir ensemble et moi: je serai derrière ! » « Mon surnom sur les marathons ? Miss Turtle [Madame Tortue, NDLR], j’aime prendre mon temps et j’assume ! », avoue la coureuse d’une cinquantaine d’années, casquette vissée sur la tête et large sourire aux lèvres.

Profiter oui, mais ne pensez pas que les cinq aventuriers n’ont pas des objectifs sportifs élevés : moins de 4h10 dix sur le marathon de Paris, pareil sur le marathon pour Tous même si le parcours est différent, explique Hervé, qui s’est bien préparé. « Il y a plusieurs côtes, notamment à Versailles, beaucoup de dénivelé. Ce ne sera pas un marathon facile, on fera ce qu’on pourra, mais sur le papier, c'est quatre heures ! », martèle-t-il.

« La ficelle crée des liens, ce sera fort à Paris »

La cécité de Patrick n’aura pas freiné l’engouement et l’ardeur de ses partenaires de club. Mieux encore, le coureur soixantenaire n’a jamais autant profité de sa passion ces dernières années : « C’est ma passion, j’ai toujours couru. Le handicap visuel m’a fait découvrir des choses que je n’aurais sûrement jamais connues en étant valide. Notamment faire des grandes courses avec les copains. On se fait embarquer dans des défis », lance le coureur. Il poursuit : « Je n’aurais pas fait des parcours de 100 kilomètres si je n’étais a pas atteint de cécité. Alors, si jeux donner un coup de pouce, ce sera gagné. »

L’heure d’entraînement est finie et les chemins doivent se séparer. Certains retournent sur leur lieu de travail. Les autres, comme Patrick, rentrent chez eux au chaud et au pas de course. Jusqu’au bout, la course fera partie de leur vie, handicap ou pas, conclut fermement Patrick, avant de filer à vive allure : « La ficelle crée des liens, ce sera fort à Paris. Il n’a plus de handicap en fait. Quand on boit une bière, on boit une bière. À l’arrivée, on espère faire tous la fête, ensemble. »

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Voir les autres épisodes