Reportage international

Finlande-Russie: six mois après, les Finlandais se sont habitués à voir la frontière fermée

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Depuis le 30 novembre dernier, la frontière terrestre entre la Finlande et la Russie est totalement fermée et le gouvernement ne donne plus aucune échéance. Au contraire, avec le retour du printemps, Helsinki, qui accuse Moscou de pousser des migrants vers sa frontière pour déstabiliser le pays, durcit encore les restrictions. RFI s’est rendu au poste-frontière de Raja-Jooseppi, en Laponie, le dernier à avoir fermé.

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Depuis six mois, finis les contrôles de passeports, plus personne ne passe.
Depuis six mois, finis les contrôles de passeports, plus personne ne passe. © Aurore Lartigue / RFI
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De notre envoyée spéciale en Finlande,

Au bout de la route qui serpente tranquillement vers l’est, au milieu des pins, un portail barre l’entrée du poste-frontière de Raja-Jooseppi. Les lieux semblent avoir été désertés, mais les 1 340 km de la plus longue frontière extérieure de l’Union européenne restent bien gardés : patrouilles en motoneige, en quad ou à pied, et vidéosurveillance. Depuis le début de la guerre de la Russie contre l’Ukraine et surtout l’entrée de la Finlande dans l’Otan, la tension est montée d’un cran entre les deux pays.

Le 30 novembre 2023, ce point de passage, le plus au nord du pays, a été le dernier à fermer dans la foulée des autres. Finis les contrôles de passeports et le ballet des barrières automatiques. Avant les restrictions et la fermeture, des dizaines de personnes et véhicules transitaient par ici chaque jour. Désormais, à l’exception des quelques gardes-frontières, personne ne peut plus entrer ici, explique Vesa Arffman, le chef des gardes-frontières de Raja-Jooseppi.

« Aucun mouvement »

Le silence qui règne est presque parfait, alors que le printemps peine encore à percer dans ce décor capitonné de blanc. Depuis six mois, c’est le calme plat : « L’hiver est si rude par ici, on n’a noté aucun mouvement », note Vesa Arffman, bonnet sur la tête et arme réglementaire à la ceinture. Seuls quelques ours alléchés par les troupeaux de rennes finlandais se risquent à ignorer les panneaux jaunes signalant la zone frontalière. Au total, une trentaine d’entrées illégales ont été recensées depuis la fermeture de la frontière.

Temporaire au départ, la fermeture de la frontière semble se pérenniser. Le 4 avril, le gouvernement a annoncé une nouvelle prolongation « jusqu’à nouvel ordre ». Selon la coalition au pouvoir (droite et extrême droite), la situation n’a pas changé. Helsinki accuse toujours Moscou de vouloir déstabiliser son pays en « instrumentalisant l’immigration » et en facilitant l’accès à la frontière à des migrants sans visa. Des allégations que la Russie dément.

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« Les Russes laissaient passer des migrants qui n’avaient pas de visa, explique le chef des gardes-frontières. Pourtant, jusque-là, on avait un accord : ils n’étaient censés laisser passer personne sans visa. Mais quelque chose a changé. Donc, oui, d’une certaine façon, on peut presque dire que les Russes poussaient les demandeurs d’asiles vers la frontière. »

Mais pense-t-il que la Russie soit allée plus loin en aidant des migrants à aller jusqu’à la frontière ? « Les demandeurs d’asiles arrivaient à Raja-Jooseppi avec un vélo parce que c’est interdit de passer à pied. Mais la grande ville la plus proche, c’est Mourmansk, à 300 km ! », rappelle-t-il. « Donc, je ne peux pas imaginer qu’ils soient venus jusqu’ici à vélo, avec ce temps, par -20°C, et si peu de vêtements ! C’est inimaginable. »

Syriens, Irakiens, Afghans… Le dernier jour d’ouverture du point de passage de Raja-Jooseppi, 56 migrants venus de pays tiers ont traversé la frontière ici, rapporte Vesa Arffman. « Nous étions le dernier poste-frontière ouvert, donc bien sûr, on a ressenti une certaine pression. » Au total, entre août et fin novembre 2023, plus de 1 300 personnes sans visa sont entrées en Finlande. Un nombre qui peut sembler modeste, mais qui reste inhabituel pour ce pays de moins de 6 millions d’habitants.

Vesa Arffman, chef des gardes-frontières de Raja-Jooseppi.
Vesa Arffman, chef des gardes-frontières de Raja-Jooseppi. © Aurore Lartigue / RFI

Une façon de « bloquer l’asile »

Avec le retour du printemps, la ministre finlandaise de l’Intérieur, Mari Rantanen, membre du parti d’extrême droite des Vrais Finlandais » disait craindre de voir « la pression s’accroître sur la Finlande » alors que des « centaines, voire des milliers de personnes [seraient] près de la frontière finlandaise du côté russe ». Les restrictions ont donc été étendues au trafic maritime pour éviter des entrées par le golfe de Finlande.  

« La loi autorise la fermeture de la frontière dans une situation de risque aigu pour une courte période. Mais au bout de six mois, on est en droit de se demander si six mois constituent une courte période », s’inquiète Jussi Laine, professeur à l’Université de l’Est de Finlande et spécialiste de la frontière russo-finlandaise. « De plus, la législation stipule qu’il doit y avoir une preuve concrète que le risque est “aigu” et que la fermeture de la frontière constitue un dernier recours. Pour l’heure, les risques sont surtout de l’ordre du potentiel », estime-t-il. Il ajoute : « Fermer la frontière ne résout pas le problème, mais c’est un moyen d’envoyer un message à la fois aux Finlandais et à la Russie. »

Et Helsinki veut aller plus loin. Pour s’armer face à une éventuelle réouverture de la frontière, le gouvernement a présenté le 21 mai un projet de loi qui prévoit d’autoriser les refoulements de migrants. De nouveaux instruments légaux sont nécessaires, a déclaré le Premier ministre Petteri Orpo. Le texte prévoit en particulier que dans certaines zones frontalières, la Finlande pourrait refuser de réceptionner les demandes d'asile pendant une durée d'un mois maximum, afin d'endiguer l'arrivée de migrants sans papiers. Seuls certains groupes de demandeurs d'asile, tels que les mineurs ou les personnes handicapées, seraient alors autorisés à déposer leur dossier dans ces zones, et ce, à la discrétion des garde-frontières.

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Un « migrant instrumentalisé » entré en Finlande « serait expulsé du pays sans délai », a en outre souligné le gouvernement. Pour ce cas spécifique, le gouvernement devra prendre une décision basée sur la « situation tout à fait exceptionnelle », à partir de « la connaissance ou de soupçons justifiés » sur le fait qu'un État étranger tente de menacer la souveraineté et la sécurité nationale de la Finlande, a-t-il ajouté. Cela nécessiterait également l'aval du président du pays.

« Cette nouvelle loi, pour laquelle le gouvernement pousse, est en totale violation avec nos engagements internationaux, elle est en contradiction avec notre propre Constitution », s’insurge Jussi Laine. Pour lui, c’est une façon de « bloquer l’asile ». Pour être adoptée, la loi doit obtenir la majorité des votes (les cinq sixièmes) au Parlement finlandais.

Une population qui se range du côté du gouvernement

Dans la ville la plus proche, Ivalo, à 50 km de là, les habitants semblent s’être habitués à voir la frontière fermée. Les quelques touristes russes de passage qui venaient un peu toute l’année ont disparu, ils ne viennent plus remplir leurs caddies dans les supermarchés de la ville. Les travailleurs qui faisaient la navette entre les deux pays ont dû trouver un autre boulot. « On utilisait aussi beaucoup de bois venant de Russie, et c’était primordial pour notre système de chauffage dans la commune d’Inari, la centrale étant alimentée par du bois venant de Russie chaque jour », précise Tommi Kasurinen, le maire de la municipalité. « Depuis que la frontière est fermée, ça a été compliqué de trouver une solution alternative. »  

Malgré tout, la population ici semble se ranger à l’avis du gouvernement et ne pas être si pressé de voir la frontière rouverte. « Comme beaucoup de gens ici à Ivalo, avec la guerre en Ukraine, on n’a pas envie de voir de Russes ici tant qu’ils n’auront pas arrêté d’attaquer l’Ukraine, estime Tina Friman, qui gère une agence de tourisme locale. Au début de la guerre, quand il y avait encore des Russes ici, certains collaient des autocollants « Ukraine » sur leur pare-brise au supermarché. »  

« De manière générale, on espère que la situation revienne à la normale. Mais on ne peut pas rouvrir la frontière si ce n’est pas le moment », souligne le maire d’Ivalo. « On doit être réaliste et on doit être préparés à toute éventualité. » 

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