Guerre en Ukraine: à Kramatorsk «On ne sait pas ni où ou ni quand ils vont nous bombarder»
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Les forces russes maintiennent la pression sur le front dans l’est de l’Ukraine, en particulier dans la région de Donetsk. L’armée ukrainienne a déployé des renforts dans le secteur de Tchassiv Iar pour défendre cette cité stratégique du front oriental, porte vers les grandes villes minières du Donbass.
De nos envoyés spéciaux à Kramatorsk, Anastasia Becchio et Boris Vichith
Dans une zone agricole à la sortie de Kramatorsk, deux volontaires dans un minibus sont venus chercher Tatiana, une sexagénaire, atteinte de cataracte et qui a perdu la vue il y a quelques jours. Elle sera emmenée à Dnipro, pour y être soignée :
« Je ne suis plus autonome, je ne peux plus me préparer à manger, je me suis déjà brûlé tous les doigts. C’est Lena qui me porte à manger. Je ne veux pas partir, ma fille est enterrée ici, ici, j’ai un toit et mon chien. Ces derniers temps, c’est assez calme ici. Mais vous voyez, on est sur la route qui mène à Tchasiv Iar et dans ce quartier, on sera les premiers si les Russes avancent sur Kramatorsk. »
C’est l’heure du départ. Lena, la voisine, qui a travaillé dans la même exploitation agricole que Tatiana, gardera un œil sur le chien : « Toute cette situation joue sur le moral et sur la santé psychique. Aujourd’hui, un avion militaire est passé au-dessus de nous, mon sang n’a fait qu’un tour, on a eu très peur, parce qu’on ne peut jamais savoir à quel moment, ni où, ni comment, ils vont nous bombarder. Bien sûr, qu’on a peur. »
Dans la ville de Kramatorsk, un avion survole le ciel. À l’entrée de son église, à deux pas d’un bâtiment détruit par un missile, le pasteur Evhen Pavlenko dégaine son téléphone. « Dès que j’entends un avion, je transmets l’information sur cette application spécialisée dans la défense anti-aérienne. De cette façon, on aide l’armée. À la place des radars, on a des gens. Je ne sais pas si c’est un avion russe ou ukrainien. J’ai transmis l’info, maintenant, c'est à eux de traiter. »
« On vit au jour le jour »
Kramatorsk, vidée d’une partie de ses habitants, mais investie par de nombreux militaires en repos ou en transit, vit au rythme des alertes aériennes, souvent ignorées. Les abris anti-bombe, ces grosses structures en béton qui ont été installées un peu partout dans la ville, servent plutôt à se cacher du soleil et de la chaleur, en attendant le bus. Ania, 39 ans, sort d’une consultation au dispensaire avec son bébé de 13 mois dans la poussette :
« Pour l’instant, on vit au jour le jour, on espère le meilleur. Au début, quand ça bombardait fort, on se cachait dans les caves, mais là, c’est plus calme. Du coup, on essaye de vivre comme avant. Mais bien sûr, on a des conditions de vie très différentes de ceux qui vivent dans d’autres parties du pays. Je pense que ceux qui n’ont pas vécu ça ne peuvent pas comprendre. On a eu beaucoup de morts. Et les gens qui n’ont pas vu ça, ils ne comprendront jamais. Ils savent, oui, qu’il y a une guerre quelque part, mais c’est tout ».
Un petit café situé au sous-sol d’un immeuble déserté : c’est ici qu’Oleksij Ladyka et des amis ont organisé des collectes pour les militaires dans les premiers mois de 2022. Journaliste au Kramatorsk Post, il raconte au quotidien la vie dans la dernière grande ville du Donbass encore contrôlée par les Ukrainiens.
« On n’a pas autant de bombardements qu’à Kharkiv et l’atmosphère est relativement calme. Mais ça fait un peu "calme avant la tempête". On comprend qu’on peut être la prochaine cible si Tchassiv Iar venait à tomber. Donc, on essaye de vivre au mieux, peut-être nos derniers mois paisibles. » Une paix toute relative, avec un front à une vingtaine de kilomètres
Conserver une vie culturelle
Quelques heures plus tard, dans une maison privée, Oleksij répète avec des amis, en vue d’un concert. Il y a même une chanson française au programme. À la guitare se trouve Serguei Savenkov, une figure de la scène musicale locale mais qui a dû changer de profession : il est devenu chauffeur de véhicule de secours. Un travail dont il se dit fier. Mais la scène lui manque, sa chanteuse est partie et dans son salon transformé en studio d’enregistrement, il tente de conserver un semblant de vie culturelle.
« Les musiciens que vous voyez ici jouaient tous avant dans divers groupes. Ce sont des fragments de ce qui reste des groupes de musique. Notre studio a été détruit. Une partie du matériel est conservée ici, une autre partie, on va l’évacuer, on ne sait jamais…. Mais moi, je resterai jusqu’à la fin. La seule chose qui pourrait me pousser à partir, c’est la menace de notre capture physique. Je suis une personne qui exprime clairement ses vues pro-ukrainiennes, je suis actif dans la ville. S’ils arrivent ici, ce sera bien s’ils me tuent tout de suite. Les bombardements, oui, ça fait peur, mais pas à ce point, mais s’il y a un risque d’être capturé, alors je prendrai mes jambes à mon cou. »
Dans la ville garnison, les rassemblements publics sont interdits pour raisons de sécurité, mais les musiciens espèrent quand même trouver un moyen de se produire prochainement devant un vrai public sans le mettre en danger.
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