Reportage international

Irak: dix ans après, la difficile réinsertion des familles de l'EI

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Ce 29 juin marque le 10ème anniversaire de la proclamation du califat de l'organisation l’État islamique par Abu Bakr el-Baghdadi depuis la mosquée al-Nouri à Mossoul. En 2014, des milliers d’Irakiens ont rejoint les rangs des combattants ou ont collaboré à différents niveaux à la gestion du califat autoproclamé. Aujourd’hui, beaucoup sont morts, portés disparus ou en prison. Mais ils ont laissé derrière eux des familles qui payent encore le prix de leur allégeance. Reportage sur la difficile réinsertion des familles de membres l’État islamique.

Des membres de la famille de combattants du groupe État islamique au camp d'al-Hol, en Syrie, le mercredi 8 mai 2024.
Des membres de la famille de combattants du groupe État islamique au camp d'al-Hol, en Syrie, le mercredi 8 mai 2024. AP - Baderkhan Ahmad
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De notre envoyée spéciale à Bagdad, 

Dans cette maison de Mossoul, où résonnent les rires des cinq enfants, le souvenir de l’État islamique est indélébile. Quatre lettres en arabe, inscrites à l’encre rouge sur les documents officiels : Daesh, soit l'acronyme en arabe de l'organisation terroriste.

« Ça, c'est un document pour obtenir de l’aide alimentaire, explique un homme. Ils ont bien gardé son nom sur la liste, mais au stylo rouge, ils ont précisé qu’il appartenait à l’État islamique. » Le frère de cet homme, aujourd’hui disparu, a rallié l’État islamique il y a 10 ans. Il en ignore les raisons : « Pour les idées, pour l’argent... Je ne sais pas. Mon frère était avec Daesh, de quoi suis-je coupable ? ».

Cette famille a été disculpée de tout lien avec le califat. Pourtant, ils n’ont pas pu récupérer leur maison : « Ils ont dit que c’était "une maison de Daesh, vous ne pouvez pas entrer et vivre là". »

Des familles contraintes de s'adapter

En 10 ans, selon les Nations Unies, 250 000 personnes déplacées pendant la guerre n’ont pas pu rentrer chez elles. Parmi elles, des milliers de familles associées à l’État islamique qui craignent, entre autres, des représailles. Épouse d’un combattant du califat, cette jeune femme est rentrée dans la région de l’Anbar, il y a deux ans : « Quand nous sommes arrivés au début, les gens réagissaient à notre présence. On a entendu des choses, des mots qu’on ne peut pas répéter. Mais avec le temps, on s’est adapté à la situation. »

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Elle, comme des milliers d’autres femmes mariées sous le califat autoproclamé, est confrontée à un flou juridique qui l’empêche d’avoir accès aux services publics. Une procédure dite de « répudiation » ou un dépôt de plainte contre son mari pourraient être une solution, mais il lui manque les papiers nécessaires. « La chose la plus difficile pour moi, c’est que je n’ai aucune preuve que je suis mariée ou veuve. Mon fils n’est pas déclaré et il a bientôt 5 ans », déplore-t-elle.

La peur d'un retour de Daesh

Dans l’Anbar, certains maires, comme Sharhabel al-Obeidi, maire de la commune de Baghdadi soutiennent la politique du gouvernement irakien de rapatrier ses ressortissants de Syrie : « L’isolement est la voie la plus dangereuse. Si on les laisse enfermés dans le camp d’al-Hol, et qu’on les laisse s’entraîner, une armée se reformera et nous massacrera tous. »

Mais dans cette province où la loi tribale est incontournable. Aucun retour ne peut se faire sans l’accord des chefs de tribus. Le sheikh Awad Said, du district de Haditha, est radicalement opposé au retour de ces familles : « Cette génération garde les idées de l’organisation, les meurtres. Ni le gouvernement, ni nous, ni personne ne pourra maîtriser les réactions. »

Les habitants de Haditha, qui ont combattu pendant trois ans pour empêcher l’État islamique d’entrer dans la ville, ne pardonnent pas. Fihan a perdu deux de ses fils : « Les familles de Daesh ont choisi leur chemin quand elles sont parties avec eux. Si je vois celui qui a tué mes fils, je ne pourrais pas rester sans rien faire, je le tuerais, même si je suis condamné à mort pour ça. »

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