Égypte: un an après les inondations meurtrières en Libye, le deuil des familles de migrants
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À Derna, en Libye, des inondations sans précédent faisaient plusieurs milliers de morts, il y a un an de cela, dont 145 ressortissants égyptiens, de jeunes hommes venus travailler sur la côte libyenne. Plus de la moitié de ces victimes égyptiennes étaient originaires d’un seul village, Nazlat Al Sharif, niché dans la vallée du Nil, à quelques heures de route au sud du Caire, un village qui a perdu à lui seul 75 jeunes hommes, des pères, des fils, des frères. Un an après, la douleur des familles est toujours vive et la situation financière de toute la communauté est en jeu.

Gamal tremble de colère au souvenir de la catastrophe qui a brisé sa famille, au cours de laquelle il a perdu son fils unique, emporté par le torrent meurtrier à Derna, en Libye. « Mon fils est mort en Libye, mon fils Ayman ! se lamente-t-il. Il laisse derrière lui trois enfants et sa femme, une de ses filles est née après sa mort. » Adossés au mur d’une des petites maisons de terre du village, Gamal et ses voisins sont toujours sous le choc : « C’est un jour qui a marqué notre histoire, un jour affreux, affreux pour le village… », explique Gamal, adossé au mur d’une des petites maisons de terre de ce petit village de la vallée du Nil, en Égypte, dans lequel tous les habitants sont encore sous le choc. « Il y a trois morts dans certaines maisons, trois morts, quinze pour la seule rue là-bas », pointe du doigt Youssef, une jeune homme du quartier.
Au total, Nazlat Al Sharif, qui compte à peine un millier d’habitants, pleure la mort de 75 jeunes hommes. « C’est difficile pour les mères et les épouses, et les enfants sont encore jeunes, c’est vraiment une situation difficile et un sujet permanent, quelque chose qu’on ne peut évidemment pas oublier, pas au bout d’un an, ni même de deux ou je ne sais combien d’années. C’est dans le cœur et dans l’esprit des gens, c’est dur et c’est impossible à oublier », raconte Hind, qui a perdu son mari Mohamed.
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Outre la perte de leurs proches, les habitants du village comptaient sur l’argent qu’envoyaient ces jeunes travailleurs depuis la Libye, dont la disparition est tragiquement synonyme d’absence de revenus, pourtant essentiels pour tout le village et la communauté. « L’un d’eux avait 18 ans, l’autre 23 ans, décrit Fawzya en parlant de ses deux fils disparus. De très jeunes hommes, l’un s’appelait Emad, l’autre Mohamed… Le corps d’Emad est resté là-bas, il est enterré là-bas. Quant à celui de Mohamed, il nous est revenu. Nous n’avons plus rien, nous n’avons plus de revenus, nous sommes désormais des gens pauvres. Nous n’avons reçu aucun revenu depuis que nos fils sont morts. »
Dans ce village de paysans, le travail dans les champs environnants paie peu, à peine 2 000 livres égyptiennes par mois, soit presque 40 euros. Un travail dont la tâche physique est rude, trop rude pour que des personnes âgées ou de jeunes mères ne puissent y prétendre. « Les gens sont épuisés, épuisés… Le gouvernement nous a aidé une fois à hauteur de 100 000 livres égyptiennes, mais on a besoin de revenus mensuels », explique Gamal.
Si ces 100 000 livres, pour chaque famille de défunt, constituent une somme importante, ils ne pallient pas à l'absence de revenu régulier pour les foyers Nazlat Al Sharif et n’estompent guère la tristesse des familles. « Nous voulons nos enfants, pas de l’argent, se désole Fawzya. Chaque jeudi, nous nous rendons ensemble sur leurs tombes, je ne vais même plus sur la tombe de mon père ou ma mère, je vais sur la tombe de mon enfant, de mon fils, c’est tout. »
Une nouvelle génération de jeunes hommes quitte peu à peu Nazlat Al Sharif pour la Libye, en quête de revenus pour leurs proches endeuillés. Très peu osent toutefois sauter le pas, encore traumatisés par le spectre funeste de ces inondations, meurtrières pour leurs aînés.
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